Après la guérison totalement inattendue – sauf par elle-même – de Tammy Peterson d’un cancer rare et a priori 100 % mortel, Jordan Peterson, le célèbre psychologue clinicien et conférencier anti-woke, se trouve aux prises avec le surnaturel. Tammy sera baptisée dans l’Eglise catholique à Pâques, non sans s’être lancée dans un apostolat du Rosaire ; Jordan étudie les Evangiles et montre de « l’appréciation » pour la foi catholique : quel que soit le tour pris par les événements il aura attiré l’attention de millions de personnes (tel est le nombre de ses « followers ») sur ce qui ressemble par certains côtés, en ce qui le concerne, à la lutte de Jacob avec Yahweh… Etonnant apostolat, où le scientifique rencontre le mystère. Sur un point, Jordan Peterson n’a aucun doute : l’Eglise s’est décentrée de son message en ne le centrant plus sur la Croix. Il en a parlé avec Colm Flynn de la chaîne catholique américaine EWTN, déplorant la tendance du pape François à s’occuper de « sauver la planète » plutôt que de « sauver les âmes ».
On peut retenir plusieurs pépites de cet entretien. Ainsi, Jordan Peterson dit toujours avoir prié : « J’ai appris en 1982 à éprouver mes paroles et à voir si elles étaient solides. C’est une sorte d’exercice méditatif et c’est une façon d’évaluer si ce que vous dites est en accord avec la vérité et, plus profondément, si la vérité est en accord avec… si la vérité que vous essayez de servir est en accord avec l’objectif le plus élevé possible. » Il est vrai qu’il a toujours placé la véracité en tête de ses « règles de vie »…
Jordan Peterson, la prière et la grâce
« On n’implore pas des faveurs à Dieu », estime-t-il plus loin, « mais on lui demande de la force, du courage, la foi, tout cela. Vous ne pouvez pas demander que les lois de l’univers naturel soient suspendues pour votre convenance temporaire » : ce sont en effet les paroles de quelqu’un qui ne vit pas la foi des baptisés, enfants de Dieu, mais il est intéressant de voir la conclusion qu’il en tire : « La prière qui convient est toujours : “Que votre volonté soit faite.” Qu’elle soit faite, oui. Comme il se doit, point. Quoi qu’il arrive. »
Ce qui lui manque ? Sans doute une meilleure connaissance de la notion de la grâce, la plus grande faveur qui soit, et non un service à bon marché…
Le mystère du mal et de la souffrance, l’enfer, le salut, sont au cœur de sa réflexion, ainsi que le fait qu’il a bien été obligé de constater que sa femme a été guérie, et guérie, qui plus est, à la date qu’elle avait annoncée trois mois plus tôt.
« Ce qui est le plus profond prend inévitablement une forme chrétienne », affirme encore Jordan Peterson, qui ne réfute pas le mystère et semble dire là qu’une vraie réflexion, une vraie expérience, surtout si elle est une épreuve, mène à la croix du Christ quand elle va au fond des choses.
L’Eglise doit se centrer sur la Croix et sur le salut
Pour Jordan Peterson, l’efforts de l’Eglise après 1960 de devenir « pertinente », de s’accorder avec le monde, est « évidemment superficiel, creux et méprisable », car « la grande aventure de la vie », c’est : « Prends ta croix et suis-moi. » Une proposition initiale qu’il trouve « évidemment correcte ». Et d’ajouter : « Vous pourriez dire : pourquoi est-ce évident ? Bien, le Christ a affronté et triomphé de la mort et de l’enfer. Et vous pourriez répondre : “En quoi cela est-il pertinent ?” Et la réponse est : parce que c’est ce que vous avez à faire. Il n’y a pas le choix. »
Il conclut sur des mots durs pour l’Eglise qui n’enseigne plus la voie étroite du salut, des mots qui mettent l’accent sur l’idolâtrie naturaliste qui a cours : « Les jeunes veulent une aventure. Pourquoi diable pensez-vous qu’ils sont si préoccupés par la sauvegarde de la planète ? Le pape François semble en parler constamment, alors qu’il devrait sauver les âmes. C’est comme ça qu’on sauve la planète, pas en adorant Gaïa. (…) Je ne vois pas du tout ce que l’Eglise catholique a à voir avec la crise climatique. La formulation elle-même est erronée. La priorité est fausse. On sauve le monde une personne à la fois. Elle manque de foi en sa propre mission. »
Nous vous présentons ci-dessous la traduction intégrale de l’entretien, il est édifiant et mérite d’être connu dans son intégralité.
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Jordan Peterson, c’est un plaisir de vous rencontrer. Je vous en remercie. Revenons à ce jour où vous étiez assis dans votre bureau avec votre femme et que le médecin vous a annoncé un cancer en phase terminale, avec 10 mois à vivre. Qu’est-ce qui vous est passé par la tête ?
Eh bien, je suppose que la première chose qui m’est venue à l’esprit a été la colère, parce que la colère est une émotion à laquelle il est facile de céder dans le sillage immédiat d’une nouvelle dévastatrice. Le chagrin est une émotion, ou même la terreur est une émotion qui prend davantage de temps pour s’installer.
Et la terreur… Etiez-vous terrifié à l’idée que vous alliez inévitablement perdre celle qui avait été votre femme depuis 35 ans ?
Lorsque vous perdez quelqu’un, lorsque vous perdez votre femme, vous ne perdez pas seulement votre femme. Vous perdez l’avenir que vous aviez imaginé et conceptualisé, vous perdez la mère de vos enfants, vous perdez… Eh bien, je perdrais une amie, une grande amie, et cela en soi bouleverse évidemment les choses.
Nous sommes passés très rapidement en mode actif, je dirais, et avons commencé à aller d’un médecin à l’autre, d’un hôpital à l’autre, comme nous avions la chance de pouvoir le faire.
Vous vous êtes alors dit : « Non, il doit y avoir un moyen. Nous recevons ce terrible diagnostic, mais non, il doit bien y avoir quelque chose. »
Nous n’avions aucune raison de ne pas chercher, de ne pas explorer tous les coins et recoins. C’est ce que nous avons fait. Nous nous sommes rendus dans un certain nombre d’hôpitaux dans différentes provinces et différents Etats afin de nous assurer que nous comprenions la situation aussi précisément que possible. C’est toujours une bonne idée d’obtenir une seconde, voire une troisième opinion et les opinions que nous avons entendues étaient que le diagnostic, le second diagnostic était exact et il ne servait pas vraiment à grand-chose de recourir à la radiothérapie, à la chimiothérapie ou à une intervention chirurgicale.
Avez-vous parlé de la mort avec Tammy ? De sa mort ?
Non, pas vraiment. Nous étions tellement préoccupés par les aspects pratiques de l’urgence immédiate que l’aspect plus métaphysique des choses n’a jamais été abordé, et l’une des choses à faire lorsque vous êtes confronté à une terrible nouvelle est de raccourcir immédiatement votre horizon temporel, sinon cela devient écrasant, n’est-ce pas ? Ainsi, si la perspective de l’année ou des cinq années à venir est incroyablement angoissante, il faut se concentrer sur la semaine à venir, et si c’est trop, sur le jour suivant. Et si vous n’avez vraiment pas de chance, vous pouvez en arriver à vous concentrer sur la prochaine minute. C’est ainsi que notre horizon temporel s’est rétréci de façon spectaculaire et immédiate.
Et même à vous, seul, peut-être tard dans la nuit, peut-être sans en parler à Tammy, cette grande question finale ne vous venait-elle pas à l’esprit ?
Je l’avais en tête depuis des décennies.
Est-ce que ça vous a fait réfléchir différemment, maintenant que Tammy…
Eh bien, c’est plus immédiat ! Je veux dire, c’est plus immédiat parce que cette mort particulière aurait été une perte personnelle catastrophique, et donc cela s’impose à vous d’une manière que de simples considérations philosophiques sont incapables de l’imposer, disons.
Quand Tammy a commencé à prier, en affirmant qu’elle était réconfortée par la prière…
Hé, tout ce qui marche !
Vous priiez, vous aussi ?
Je prie toujours.
Vous priez toujours ?
Eh bien, j’ai appris en 1982 à éprouver mes paroles et à voir si elles étaient solides. C’est une sorte d’exercice méditatif et c’est une façon d’évaluer si ce que vous dites est en accord avec la vérité et, plus profondément, si la vérité est en accord avec… si la vérité que vous essayez de servir est en accord avec l’objectif le plus élevé possible.
Avec l’état de Tammy, la prière s’est-elle intensifiée ?
Non, j’étais assez sérieux dès le départ. Je n’ai jamais considéré et je ne considère toujours pas la prière comme l’acte de demander une faveur à Dieu. C’est une tentation. C’est la première tentation que le Christ rencontre dans le désert : le diable l’incite à demander à Dieu de transformer les pierres en pain. Eh bien, la mort potentielle de votre femme, c’est une pierre assez lourde. On n’implore pas des faveurs à Dieu, mais on lui demande de la force, du courage, la foi, tout cela. Vous ne pouvez pas demander que les lois de l’univers naturel soient suspendues pour votre convenance temporaire.
Mais n’est-ce pas la réaction naturelle ? « S’il vous plaît, épargnez ma femme. Ne la prenez pas. » La science, le monde naturel vous dit que son temps est écoulé. Dix mois. Personne ne survit à ce cancer. Personne.
Bien sûr !
Je sais que, dans le jardin de Gethsémani, le Christ lui-même a demandé que la coupe soit ôtée de ses lèvres. Je veux dire qu’il est parfaitement compréhensible que les gens espèrent et prient pour qu’il y ait un autre moyen, mais la prière qui convient est toujours : « Que votre volonté soit faite. » Qu’elle soit faite, oui. Comme il se doit, point. Quoi qu’il arrive. C’est vrai, et le prix à payer est élevé. Parce que cela signifie que les choses doivent se dérouler comme elles se déroulent. Et cela signifie inévitablement la mort. Du moins, cela signifie inévitablement la mort sous certaines conditions. On pourrait donc prier pour avoir la force d’accepter cela sans amertume. Ce serait une bonne prière. On pourrait prier pour ne pas aggraver une situation terrible. Ce serait une très bonne prière lorsqu’on a affaire à une personne en phase terminale et à ses propres insécurités. Ce genre de pensées.
Et quand vous priez, Jordan, qui ou quoi priez-vous ou visualisez-vous ou sur quoi vous concentrez-vous ?
La vérité. L’exactitude dans le discours, le soin dans l’action, la gratitude : le contraire de l’orgueil et de l’arrogance. C’est une chose difficile à réaliser au milieu d’une crise. Mais si vous avez un peu de bon sens, il y a des choses pour lesquelles il faut être reconnaissant en temps de crise. Les choses peuvent toujours être pires, et même bien pires. C’est pourquoi l’enfer est un gouffre sans fond. Et vous pouvez certainement les aggraver en adoptant la mauvaise attitude face à une catastrophe, pour justifiée qu’elle soit.
Mais ce désespoir et toute cette misère… Je vous ai entendu dans le podcast avec Mgr Robert Barron, et vous parliez d’un monde où il y a de grandes ténèbres, en disant qu’il doit y avoir une grande lumière. Vous voilà entouré de cette obscurité, que ce soit celle de votre femme, la vôtre ou celle de votre fille. Lorsque vous priez et que vous essayez de trouver l’espérance, cette lumière dont vous dites qu’elle doit exister dans le monde, qu’est-ce que cette lumière pour vous ?
Je peux vous donner un exemple. Quand la mère de Tammy est morte, elle a mis longtemps à s’éteindre. Elle souffrait de démence fronto-temporale, qui est une maladie neurologique dégénérative et représente une façon particulièrement misérable de quitter ce monde. Le caractère de son père, les meilleurs aspects de son caractère se sont révélés, ce qui a été un véritable miracle, parce qu’il s’est occupé d’elle. Il est décédé récemment, je l’aimais beaucoup. C’était plutôt un homme du monde, et pas la personne la plus agréable qui soit, mais il était extraordinaire lorsqu’il s’occupait d’elle, il fallait le voir, et cela a renforcé l’affection et le respect que ses enfants avaient pour lui. Et puis toute la famille s’est serré les coudes à la suite de la mort et des souffrances de leur mère. Et cela a vraiment été une lumière. Beaucoup de choses que l’on considère comme acquises, en fait tout ce que l’on considère comme acquis est un miracle que l’on ne voit pas, mais quand on est sur le point de perdre une chose dont on dépend en grande partie, cela permet de la voir pour ce qu’elle est. Et c’est une manière d’enlever la poutre que vous avez dans l’œil, si je puis dire. Donc, Tammy a certainement découvert l’amour. Je dirais même que c’était la première fois, d’une certaine manière, et c’est surtout grâce à au fait qu’elle a pu comprendre ce que son existence et sa disparition signifiaient pour son fils. Et cela a changé sa vie. C’est un cadeau qui n’a rien d’anodin. Certes, il a été durement gagné, mais beaucoup de cadeaux qui ne sont pas insignifiants sont durement gagnés. Donc…
Tammy croit que la lumière a brillé sur elle et sur sa situation, en récitant le chapelet, et qu’il s’est produit quelque chose d’extraordinaire, certains diraient même miraculeux. En quoi ce qui est arrivé à Tammy a-t-il changé votre vision ou votre compréhension de ce que les gens qualifient de miraculeux ?
Eh bien, je pourrais en parler de manière assez prosaïque pour commencer. J’ai récemment écrit en profondeur sur les Evangiles, et environ un quart des Evangiles sont consacrés à des récits de guérisons miraculeuses. Et pour quiconque a une pensée scientifique conventionnelle, ces récits sont… difficiles à comprendre. Elle a tout fait pour essayer, non pas de survivre, je ne dirais pas cela, mais de cesser toute activité qui irait à l’encontre de la possibilité de sa survie. Et cela a-t-il aidé ? Eh bien, vous pourriez certainement au moins soutenir que cela n’a pas fait de mal, et que si les chances sont contre vous, qui sait quelles forces supplémentaires mineures vous pourriez avoir à aligner derrière vous afin de maximiser la possibilité de faire passer le fil à travers l’aiguille.
Vous dites « mineures » ? Elle est la seule personne au monde connue – est-ce exact ? – à avoir survécu à ce type de cancer.
On nous a dit, et j’ai vérifié, que le taux de survie à un an était de zéro. Par ailleurs ce type de cancer est très rare. Et c’est exactement ce que nous ont dit tous les hôpitaux auxquels nous avons parlé. En général, les médecins, en particulier les spécialistes qui ont confiance en leur spécialité, sont optimistes quant à ce qu’ils peuvent faire. Mais je ne dirais pas que c’est ce que nous avons rencontré dans les différents hôpitaux que nous avons visités : nous sommes allés dans les meilleurs hôpitaux d’Amérique du Nord. Nous avons eu le luxe de pouvoir le faire et ils nous ont tous dit la même chose : il s’agissait toujours des trois mêmes traitements potentiels. Aucune preuve de réussite pour l’un des trois ou pour toute combinaison entre elles. Je ne dirais pas que le fait qu’elle ait réussi à guérir est une preuve de miracle, pas plus qu’il n’y a de preuve de ce qui est miraculeux autour de nous en permanence, mais la chose qui m’a semblé très étrange et que je ne sais pas comment la comprendre, c’est qu’elle m’a dit environ trois mois avant sa guérison qu’elle pensait qu’elle serait guérie pour notre anniversaire de mariage.
Et c’est exactement ce qui s’est passé. Le fait qu’elle survive était très improbable. Mais, vous savez, les choses improbables arrivent. Mais le fait qu’elle ait survécu et qu’elle ait prédit la date de son rétablissement est plus difficile à balayer du revers de la main.
Parce que vous venez d’un milieu scientifique, Jordan. C’est votre gagne-pain. Vous devriez rejeter toute idée d’intervention divine. Vous devriez dire d’emblée que ce n’est pas possible. C’est du hasard, de la chance, une coïncidence.
Je pense que l’attitude scientifique appropriée est plutôt celle du rasoir d’Occam. Le rasoir d’Occam, qui consiste à toujours préférer l’explication la plus simple. Et le miraculeux est très rarement l’explication la plus simple. Cela me pose moins de problèmes, je suppose, qu’à beaucoup de scientifiques typiques. Je ne suis pas un matérialiste réducteur. Je pense que nous verrions constamment le miraculeux si nous n’étions pas aveugles. Je pense que nous le voyons constamment et que nous sommes aveugles.
Aveuglés par tout ?
Oh, mon Dieu. Le péché, la présomption, l’orgueil, l’arrogance, l’ignorance, l’aveuglement volontaire. Le miracle le plus facile à appréhender est celui de notre propre stupidité, et c’est un miracle plutôt douloureux pour commencer, mais il faut probablement commencer par celui-là.
Voilà un miracle qui peut se reproduire encore et encore !
Ça, c’est sûr. Et si vous ne pensez pas que c’est un miracle, c’est que vous n’avez pas fait beaucoup d’auto-évaluation.
Quand vous avez parlé des miracles dans la Bible, c’était intéressant, vous avez fait une pause, vous avez dit : « Ils sont difficiles à… » Je pensais que vous alliez dire « croire », mais vous avez dit qu’ils étaient difficiles à comprendre.
Oui. Eh bien, je ne sépare pas la croyance de la compréhension. Pas fondamentalement.
Je pense moi-même que l’on peut avoir la foi et savoir que quelque chose est vrai ou croire ou espérer que c’est vrai, mais pour ce qui est d’essayer de comprendre le créateur de l’univers et les mystères de l’Evangile, les mystères de la souffrance dans le monde…
C’est à ce moment-là que, surtout en ce qui concerne, disons, le problème de la souffrance en tant que tel, ou le problème du mal… A un moment donné, toute question se résume à un mystère. Et c’est là que doit se trouver la foi. Vous savez, les gens se moquent du « Dieu des lacunes », du fait que nous évoquons Dieu pour parler des choses que nous ne pouvons pas encore expliquer. C’est une façon très superficielle de rejeter le fait que la foi est nécessaire. La foi est nécessaire en partie parce qu’on ne sait pas tout.
Quand vous avez vu la foi nouvelle de Tammy, et maintenant sa conversion à l’Eglise catholique…
Une foi plus profonde. Avant cela, elle avait une sorte de foi courageuse. Elle avait certainement foi en la vérité.
Mais en quoi avez-vous constaté un changement chez elle ?
Oh, elle est devenue plus profonde. C’est certain. Elle a davantage confiance en elle, ce qui lui a permis de tenter des choses qu’elle s’était interdites auparavant, beaucoup de choses. Elle parle en public, ce qu’elle n’aurait pas fait auparavant, alors qu’elle aurait peut-être aimé le faire. Même si elle se l’était caché, ce désir que les gens cachent, y compris ce désir de faire briller leur lumière. Et ne parlons pas de la lumière elle-même. Ils se la cachent. C’est un manque de foi. Ils ont peur que s’ils avouent leur ambition et la poursuivent, elle n’aboutisse à rien. Tammy est moins troublée dans son âme. C’est une bonne façon de le dire. Elle a retrouvé cet état d’enfance que le Christ associe au royaume. Et c’est une chose remarquable à voir, car j’ai aussi connu Tammy enfant. Je peux donc vraiment voir cette enfance réapparaître. Et ça, c’est un sacré miracle !
La question qui se pose à Tammy et aux croyants du monde entier, dans toutes les religions, est que, comme vous l’avez déjà dit, la foi catholique est ce qui se rapproche le plus de la raison, ou ce qui permet aux gens de rester sains d’esprit…
C’est triste à dire.
Mais, est-ce tout ? S’agit-il juste de règles et de lignes directrices dont nous avons besoin pour ne pas sombrer dans le désespoir ?
Il y a différents niveaux de profondeur.
Y a-t-il quelque chose de plus divin ?
Oui, bien sûr. Vous savez, Tammy s’était engagée dans beaucoup de pratiques disciplinaires avant d’approfondir sa foi chrétienne et ces autres pratiques disciplinaires avaient leur utilité. Tout cela s’est approfondi en partie à cause de l’épreuve qu’elle a subie. Et au fur et à mesure que cela devenait plus profond, cela prenait une forme plus chrétienne. Mais je pense que c’est inévitable, car ce qui est le plus profond prend inévitablement une forme chrétienne. Si vous poursuivez n’importe quel effort disciplinaire, cela vous amènera dans les profondeurs.
Si vous poursuivez une multitude d’efforts disciplinaires au degré ultime, cela vous mènera aux dernières profondeurs et vous découvrirez ce qu’il y a à découvrir dans les dernières profondeurs. Eh bien, c’est la lumière au bout du tunnel. Je suppose qu’on passe d’abord par l’obscurité.
Invitons-nous suffisamment les gens à le faire aujourd’hui ? Quand on regarde l’Eglise catholique et son déclin ces dernières années, on constate que moins de jeunes y vont, moins de personnes s’engagent dans une vie religieuse. Et depuis les années 1960…
Eh bien, s’il n’y a que des guitares et des hippies, qui s’en soucie ?
Mais depuis Vatican II, disons les années 1960, l’Eglise s’est efforcée d’être plus pertinente, plus accueillante. Alors, quel est le problème ?
Cela ne fonctionne pas. C’est évidemment superficiel, creux et méprisable. Vous savez, c’est censé être une invitation à la grande aventure de la vie. Quelle est la grande aventure de la vie ? Prends ta croix et suis-moi. C’est une sacrée invitation. Mais c’est l’invitation. Et l’Eglise a perdu la foi en cela. Il faut être pertinent. Mais qu’y a-t-il de plus pertinent que cela ? Dès que vous dites que vous devez être plus pertinent que cela, ce que vous faites, techniquement, c’est placer quelque chose d’autre au-dessus de cela. Et cela ne marchera pas. Pas si la proposition initiale est correcte. Et il est évident que la proposition initiale est correcte. Vous pourriez dire : pourquoi est-ce évident ? Bien, le Christ a affronté et triomphé de la mort et de l’enfer. Et vous pourriez répondre : « En quoi cela est-il pertinent ? » Et la réponse est : parce que c’est ce que vous avez à faire. Il n’y a pas le choix.
L’Eglise catholique ne met-elle donc pas suffisamment les gens au défi aujourd’hui ?
Certainement pas ; pas assez, quelle que soit la fable qu’on se raconte. La porte du paradis est barrée par des chérubins dont les épées flamboient et tournent dans tous les sens. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie qu’il est difficile d’entrer dans le club ! Tout ce qui n’en est pas digne est coupé et brûlé. Bien sûr, c’est l’enfer, surtout si on résiste. Vraiment. Il n’y a pas moyen d’édulcorer cela, et ce n’est pas cela que les gens veulent de toute façon. Les jeunes veulent une aventure. Pourquoi diable pensez-vous qu’ils sont si préoccupés par la sauvegarde de la planète ? Le pape François semble en parler constamment, alors qu’il devrait sauver les âmes. C’est comme ça qu’on sauve la planète, pas en adorant Gaïa.
Pensez-vous que le pape François met parfois l’accent au mauvais endroit ?
Je vous ai donné cet exemple. Je ne vois pas du tout ce que l’Eglise catholique a à voir avec la crise climatique. La formulation elle-même est erronée. La priorité est fausse. On sauve le monde une personne à la fois. Elle manque de foi en sa propre mission.
Permettez-moi de vous poser une dernière question. Tammy, avec sa foi approfondie, a ressenti cette attraction de l’Eglise catholique, de la foi catholique, disons, du catholicisme. Je sais que vos études sur l’Ancien Testament, les séries de conférences que vous avez organisées, ont connu un succès phénoménal, il y a vos conversations avec Mgr Barron et d’autres personnes au sein de l’Eglise catholique. Est-ce qu’une partie de vous-même ressent aussi une certaine attraction ?
Vers l’Eglise catholique ?
Vers la foi catholique.
Il y a beaucoup de choses que la foi catholique a bien comprises. Alors, y a-t-il une attraction vers elle ? Il y a une appréciation à son égard. Tout le monde a son propre chemin. Tammy est sur le sien. Je suis sur le mien.
Propos de Jordan Peterson recueillis par Colm Flynn