Lundi, le Conseil de sécurité de l’ONU ainsi que les ministres européens des Affaires étrangères ont entériné l’accord nucléaire signé entre l’Iran et les grandes puissances (États-Unis, Chine, Russie, France, Royaume-Uni), plus l’Allemagne le 14 juillet dernier à Vienne. A la condition expresse que l’Iran respecte l’accord à la lettre, les sept résolutions que l’ONU a adoptées depuis 2006 pour sanctionner et asphyxier l’Iran, notamment dans l’économie et la finance, seront peu à peu « abrogées ». Reste cependant à convaincre le Congrès américain dont la majorité républicaine aidée de quelques démocrates y est violemment hostile et pourrait s’y opposer dans les 60 prochains jours.
Barack Obama a salué cet assentiment onusien qui corrobore son plan d’action. L’ambassadrice américaine à l’ONU, Samantha Power, a parlé de la perspective d’« un monde plus sûr ». Mais est-ce vraiment un accord « qui change le cours de l’histoire » comme l’ont proclamé les grands titres ? Né au forceps, il induit forcément des intérêts des deux parties.
L’ONU lève les sanctions
En Iran, globalement, on se réjouit – des images de liesse tournent dans les grands médias. Le quotidien réformateur iranien Shargh parle de « la victoire sans guerre », laissant à quelques organes de presse ultra-conservateurs le rôle de bougonnants invétérés. L’Iran va, de fait, retrouver sa place à l’international – le vice-chancelier allemand s’est d’ailleurs rendu dès lundi à Téhéran en prévision de futurs échanges économiques. Et le pays aura le droit de développer son nucléaire civil – « le plus grand succès » iranien pour le ministre des affaires étrangères.
Pour gagner cette levée de sanctions, l’Iran devra, en contrepartie, montrer patte blanche à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), via la limitation du nombre de ses centrifugeuses ou de son stock de matière fissile – les inspecteurs auront-ils davantage accès à ses sites ?!
Néanmoins, un embargo sur les armes conventionnelles et un autre concernant les missiles balistiques à capacité d’emport nucléaire resteront en vigueur, pendant cinq ans pour le premier et huit ans pour le second – même si Téhéran a déjà opposé que ses missiles balistiques étaient purement défensifs… Et le moindre écart pourrait, selon les textes, justifier un retour immédiat aux conditions précédentes : un mécanisme, dit « snap back », qui doit s’appliquer pendant toute la durée de l’accord, soit dix ans, apriori prorogés de cinq ans.
L’accord nucléaire : une victoire des États-Unis ?
« Nous avons la main ! » proclament les États-Unis. « Les gages sont là ! » C’est le sens de tous les discours des responsables de la sécurité nationale américaine, depuis hier. Le secrétaire d’État John Kerry a tenté de déminer le terrain rétif du Congrès en continuant à parler de l’Iran comme d’un « adversaire » : « Nous ne sommes pas devenus partenaires. Nous avons des divergences, et nous n’avons pas d’illusions ».
Et le secrétaire à la défense Ashton Carter s’est empressé de se rendre en Israël où il a déclaré que « l’une des raisons pour lesquelles cet accord est excellent est qu’il ne prévoit strictement rien qui pourrait empêcher d’exercer l’option militaire ». Autrement dit, cet accord donne aux États-Unis le droit d’attaquer et ils ne se priveront pas de le faire, le cas échéant : c’est l’essentiel.
Le Moyen-Orient ne croit pas aux promesses de l’Iran
Pourtant, l’Iran – et en particulier le guide suprême Ali Khamenei – n’a pas accepté si aveuglément… Et certains n’y croient guère, en premier lieu, Benyamin Netanyahu, à qui Ashton Carter a dû réaffirmer haut et fort, hier, qu’Israël était toujours le point d’appui essentiel de la stratégie américaine au Moyen-Orient et que Washington était prêt à renforcer son aide militaire. Mais le Conseil a décidément été accusé d’avoir récompensé « le pays le plus dangereux de la planète »… Israël ne veut pas être dupe. La visite du vice-chancelier allemand à Téhéran lui a d’ailleurs donné raison : quand ce dernier a évoqué le droit d’Israël à la sécurité, les Iraniens ont immédiatement clos le sujet.
Les monarchies du Golfe ne sont pas moins préoccupées de ce que des journalistes ont dénoncé comme du « laxisme face à Hitler ». Le secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe a déploré les messages « contradictoires » des dirigeants iraniens. Certes, le président Hassan Rohani a promis l’ouverture d’une « nouvelle page » avec les voisins de l’Iran, mais le numéro un iranien, le chef religieux et donc vrai chef , Ali Khamenei, a déclaré que son pays « ne renoncera pas à soutenir ses amis dans la région, les peuples opprimés de Palestine, du Yémen, les peuples et gouvernements syriens et irakiens, le peuple opprimé de Bahreïn et les combattants sincères de la résistance au Liban et en Palestine » : ne renoncerait donc pas à soutenir les opposants chiites dans les pays arabes, continuerait donc le même rôle joué depuis des décennies face au « gouvernement arrogant américain »…
L’Iran : futur pôle de force régional ?
Alors, vraiment, la communauté internationale espère que cet accord, né au forceps, « stabilisera le Proche-Orient », comme elle l’a déclaré ?
Fait notable, le Congrès américain n’y croit pas vraiment, qui multiplie les déclarations catastrophistes. Le président de la Chambre a accusé le président Obama d’« abandonner ses objectifs ». Un candidat à la primaire républicaine, a parlé d’une « possible condamnation à mort d’Israël », d’une « déclaration de guerre virtuelle aux Arabes sunnites », voire du « pas le plus dangereux et le plus irresponsable » jamais franchi dans l’histoire des relations avec le Moyen-Orient…
De plus, les Israéliens craignent que l’accord ne permette une sorte de passation de pouvoir dans la lutte contre Daesh, contre l’État islamique. Officiellement rassurés sur le nucléaire iranien grâce à l’accord, les États-Unis pourraient avec cette nouvelle garantie, laisser à l’Iran le soin de riposter militairement en Irak et en Syrie – un Iran qui est tout prêt à intervenir, considérant l’État Islamique comme un concurrent de sa propre « République islamiste »…
Une opportunité stratégique pour des États-Unis refusant d’engager toute troupe au sol et se débattant dans des implications politiques et économiques douteuses. Un choix géopolitique majeur dans un Moyen-Orient en pleine décomposition-recomposition : ce nouveau rôle renforcerait pour l’Iran son statut de puissance régionale, en même temps que les États-Unis garderaient un certain contrôle. Une sorte d’inter-dépendance obligée où la composante russe, principal soutien de l’Iran, n’est pas à négliger.