“Athénée Palace” de R.G. Waldeck : Roumanie, la carte fasciste d’Hitler

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Quand Athénée Palace paraît en 1942, les critiques sont unanimes – ce qui ne l’empêcha pas de sombrer dans le fourbis de l’après-guerre. Près de cinquante ans plus tard, sa réédition aux États-Unis suscite les mêmes ovations. Mené de main de maître par la Comtesse R.G. Waldeck, il ressuscite en un reportage pittoresque et intelligent de cette période clé de l’histoire de la Roumanie lancée dans la seconde guerre mondiale. Paris vient de tomber aux mains des Allemands et les si francophiles Roumains doivent courber l’échine devant leurs alliés du moment.
 
Née en Allemagne dans une famille juive, cette journaliste américaine arrive donc en juin 40 à Bucarest, missionnée par l’hebdomadaire américain Newsweek. Pour séjourner, sept mois durant, dans l’hôtel le plus prisé de toute la ville, l’Athénée Palace, une grande bâtisse copiée sur le Ritz, « la dernière enclave cosmopolite où pouvaient cohabiter l’Europe d’après-guerre et l’Europe du Nouvel Ordre »…
 

A l’Athénée Palace, « les espions de tous les services secrets du monde »… R.G. Waldeck

 
C’était l’endroit rêvé pour toucher du doigt l’histoire en marche. Recevoir au comptoir, autour d’un bon café turc, les confidences de généraux allemands hauts placés. Partager les visions d’une propagandiste « nazissime ». Boire une odorante Maibowle avec les jeunes aristocrates roumains en mal de nationalisme. Fréquenter ces demi-mondaines du hall dont les belles épaules sont les meilleurs outils de renseignements.
 
Le rapport est vif, coloré, à la fois incisif et distancié. Un « document de première main sur la politique expansionniste d’Hitler », dit la préface. Face à l’assurance inébranlable des nazis, la comtesse entrevoit brillamment la chute du système. Nous sommes au cœur même de l’histoire et son talent pour la rendre est remarquable.
 

La Roumanie sous la Garde de Fer

 
R.G. Waldeck donne à voir la Roumanie en prise avec l’Allemagne nazie et sa propre révolution. C’était le pays idéal à « convertir » pour tester le Nouvel Ordre hitlérien : antisémite, appauvri et lassé par un régime corrompu, tenté par le fascisme, et qui plus est, grand céréalier et 5e producteur mondial de pétrole… Certes, il fut aisé de porter au pouvoir contre le roi Carol II et« sa terrible camarilla », le jeune parti fascisant, la Garde de Fer, mené et contenu à la fois par le général Antonescu : elle possédait une aura quasi mystique depuis l’assassinat commandité de son fondateur, en 1938, le célèbre Codreanu.
 
Mais ceux qu’on appelait les chemises-vertes étaient désormais dirigés par l’aile radicale du parti, incarnée par Horia Sima. La révolution gardiste se résuma à cinq mois de terreur, où purges politiques et descentes nocturnes contre les Juifs se succédèrent.
 
Dans ces troubles, l’Allemagne attendait son heure, patiente et tenace, mêlant propagande, missions militaires et soutien industriel. Mais dépassée par les excès de la Garde de Fer, elle finira par jouer la carte Antonesco qui dissout le premier régime fasciste parrainé par les nazis. La Roumanie perd au jeu, bientôt envahie par l’Armée rouge, et qui continuera à l’être en dépit de son changement de camp huit mois avant la fin de la guerre.

Marie Piloquet

Athénée Palace de la Comtesse R.G. Waldeck, éditions de Fallois