Atlas des Chrétiens : des premières communautés aux défis contemporains

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Aurélien Girard, Sylvain Parent, Laura Pettinaroli, Atlas des Chrétiens. Des premières communautés aux défis contemporains, Autrement, 100 pages, 24 Euros.
 
L’atlas des Chrétiens, aux éditions Autrement, propose une approche cartographique de 2000 ans de christianisme. Il ambitionne de proposer une série de cartes-repères de la présence chrétienne sur une si vaste période, et dans le monde entier. Le projet, immense, est, selon nous, plutôt réussi. Les cartes indiquent les différentes implantations spatiales et temporelles des chrétiens. Les chrétiens sont tous les hommes et femmes qui se réclament du message du Christ, tel que formulé dans les Evangiles. Le terme « chrétien » est compris de manière large, en incluant catholiques, orthodoxes, protestants, et une infinité de communautés originales comme les mormons – qui ont ajouté des livres prétendument révélés à la Bible, qui sont pour l’essentiel des répétitions de passages de l’Ancien et du Nouveau Testament, mêlés de quelques extravagances, comme la traversée de la Méditerranée et de l’Atlantique par des Hébreux anciens. Il n’y a pourtant aucune confusion dans l’ouvrage entre tous les chrétiens : les différences doctrinales et ecclésiales sont présentées en des tableaux clairs.
 
Les séries de cartes proposées, regroupées de manière temporelle et spatiale, comprennent les cartes les plus attendues et connues, comme la christianisation de l’Empire romain au IVème siècle ou les répartitions confessionnelles chrétiennes majoritaires de nos jours, et d’autres plus originales et fort pertinentes, comme l’Ethiopie médiévale ou la Pologne de la Renaissance.
 

LA DEMARCHE DE L’ATLAS DES CHRETIENS, METHODES ET REPRESENTATIONS

 
Il est relativement facile de relever les implantations de communautés chrétiennes au fil des siècles. Mais il est difficile de mesurer et encore davantage de cartographier le degré d’adhésion réelle des populations : ainsi la France pourrait être considérée en 2016 comme relevant majoritairement du catholicisme, tout comme en 1716, alors que le catholicisme, fondamental en 1716, est malheureusement marginalisé culturellement en 2016. Ce manque d’adhésion peut s’observer sur des cartes des degrés de pratique, peu brillants pour les pays européens, même en ramenant la pratique régulière à une fois par mois, au lieu d’une semaine, alors que la messe hebdomadaire reste d’obligation pour les fidèles catholiques. Quant à l’affiliation brute, le fait qu’il y ait à peu près autant de catholiques théoriques – baptisés – en France, en Espagne et en Pologne, fournit en soi aussi un indicateur sur la présence sociale du catholicisme, plus présent en Pologne, puis en Espagne et enfin en France. La France est un des pays d’Europe à l’athéisme pratique, sinon théorique, le plus répandu, en concurrence avec la République Tchèque.
 

LES AUTEURS : GIRARD, PARENT ET PETTINAROLI, TROIS UNIVERSITAIRES

 
L’approche des auteurs est celle de l’histoire et de la sociologie, sciences humaines comprises de façon honnête. Les trois auteurs du texte, Aurélien Girard, Sylvain Parent, Laura Pettinaroli sont historiens, universitaires, et ont écrits de nombreux ouvrages sur l’histoire du christianisme, indiqués dans le livre ; le cartographe, Mme Aurélie Boissière, est une spécialiste de cet art. La présentation s’appuie sur une bibliographie sérieuse de trois pages, indiquée en fin d’ouvrage. Les erreurs ou coquilles manifestes sont des plus rares, ce qui devrait aller de soi, mais n’est plus forcément le cas hélas.
 
Le lecteur catholique n’est nullement choqué par ce qu’il lit, du moins dans 95 % des cas, ce qui est à notre époque assez considérable. Ainsi, l’ensemble du Nouveau Testament a-t-il bien été écrit au premier siècle, comme il est effectivement écrit dans cet ouvrage, contrairement à tant d’erreurs militantes courantes qui veulent absolument le vieillir. De même, l’Eglise a été fondée par le Christ, suivant Sa volonté. Les voyages de saint Paul, les premiers siècles de l’Eglise, sont également présentés de façon juste. Sur les siècles suivants, jusqu’à nos jours, l’ensemble s’avère très honnête. La Chrétienté médiévale n’est pas réduite à des clichés négatifs, ni l’Inquisition espagnole à l’épouvantail libéral d’usage ; le tableau explicatif à son sujet reprend les sources authentiques. Certaines pages oubliées du Christianisme sont à juste titre évoquées, comme la présence chrétienne dans l’Empire mongol aux XIIIème et XIVème siècles, avec un réseau d’évêchés et de monastères de la côte méditerranéenne à Pékin, en passant par la Perse et l’Asie Centrale turcophone. Ces chrétientés ont disparu, comme celles d’Anatolie au début du XXème siècle, avec le génocide des Arméniens, à partir de 1915, et l’expulsion des Grecs en 1922-1923.
 
Pour l’époque la plus ancienne des premiers chrétiens, époque fondamentale, on déplorera toutefois l’imprécision courante ne distinguant pas nettement les Juifs antiques, dont les derniers se trouvent précisément au temps du Nouveau Testament, des Juifs modernes, c’est-à-dire des individus professant la croyance fondée sur les Talmouds, écrits du IIIème au VIème siècle, proposant l’interprétation juive de l’Ancien Testament, et rejetant explicitement l’interprétation chrétienne et la personne du Christ, Dieu fait homme et seule voie de Salut pour le genre humain. De façon plus grave, il faudra aussi rappeler que les sept sacrements ont été institués par le Christ lui-même ; le texte du livre parle de « deux sacrements » institués dès l’origine, baptême et communion, ce qui est faux historiquement, et correspond à la doctrine calviniste traditionnelle sur le sujet ; on veut bien convenir que la forme définitive des sept sacrements a été fixée par l’Eglise catholique au concile de Lyon en 1274, mais ce fait n’enlève rien à leur caractère extrêmement ancien, remontant au Christ lui-même, et qui sont donc tout sauf quelque innovation tardive du XIIIème siècle.
 

Des premières communautés aux défis contemporains : EXPANSION CHRETIENNE, PROTESTANTISME ET RELATIVISME RELIGIEUX

 
En une centaine de pages est proposée une précieuse encyclopédie cartographique du monde chrétien d’hier et d’aujourd’hui. Les différents courants du Christianisme sont présentés, de façon honnête et juste dans les définitions. La rupture de la Chrétienté européenne au XVIème siècle, avec le schisme et les novations théologiques protestantes fournit I’exemple de précieux repères pour l’Europe. Les différents protestantismes sont aussi abordés à l’aide de tableaux explicatifs didactiques. Le lecteur catholique, qui a lu Bossuet, ne pet que songer à ses réflexions sur les croyances protestantes, avec, dès l’origine dans les années 1520, une très grande variété de croyances et de structures ecclésiologiques. Ainsi, les calvinistes sont aussi, sinon davantage, éloignés des luthériens que des catholiques. Les rapprochements actuels, comme l’intercommunion de tous les réformés en principe reconnue en France, traduit bien plus un commun vide théologique qu’une concordance doctrinale en toute logique impossible.
 
De même, le fameux mouvement dit « œcuménique », reprenant un terme antique signifiant « rassemblement universel » et employé dans l’Antiquité comme au Moyen-Age comme un synonyme de « catholique » – c’est-à-dire d’« universel »- peut-il laisser sceptique : sans douter des bonnes volontés entre chrétiens, juxtaposer des croyances différentes ne peut créer de soi-même harmonie et unité. En outre les grands pontifes dont Léon XIII, tout sauf un intransigeant agressif, n’ont cessé de mettre en garde contre le risque de confusion pour les fidèles des rencontres interchrétiennes, ou a fortiori de rencontres interreligieuses, sur le modèle par exemple des rencontres d’Assise, renouvelées à trois reprises depuis 1986. A ce sujet, l’atlas signale le danger, clairement perceptible pour tout esprit honnête, de l’indifférentisme, qui pourrait faire croire que toutes les croyances humaines seraient de valeur équivalente, et que tous les hommes de bonne volonté se retrouveraient facilement pour le meilleur. Il s’agit là d’une utopie maçonnique – le terme n’est pas employé – et d’un processus de sortie du champ culturel du Christianisme, sous couvert d’approche « moderne » et « ouverte ». Ces deux termes sont fortement connotés et tout sauf innocents.
 
L’époque du schisme protestant, le XVIème siècle en Europe, a été marquée à l’inverse par l’expansion du catholicisme sur des continents entiers, dans le cadre des empires coloniaux espagnols – surtout – et portugais, aboutissant à des conversions majeures de peuples entiers du paganisme au catholicisme, en particulier en Amérique centrale et méridionale, ou de façon plus marginale sur les littoraux de l’Afrique noire ou de l’Asie. A cette époque, l’archipel des Philippines, alors sous la responsabilité de la colonisation espagnoles, est devenu l’unique grand pôle de catholicisme en Asie. Il a subsisté jusqu’à aujourd’hui, mais est désormais menacé par le programme anticlérical et antifamille du nouveau président Duterte.
 
Le chrétien ne peut que parcourir avec émotion ces siècles et ces lieux de présence chrétienne de part le mode. Outre les cas de continuité, et les douloureuses ruptures du schisme grec au XIème siècle et du protestantisme au XVIème siècle, sont abordées, à juste titre, les chrétientés éloignées dans le temps comme l’espace, dont les chrétientés du Proche-Orient qui survivent ô combien difficilement aujourd’hui, ou celles d’Ethiopie. Les chrétiens d’Ethiopie ont résisté, difficilement, mais ont résisté, durant des millénaires à l’assaut constant de l’Islam. Malgré une juste sympathie, dont on ne saurait se défendre, on peut hélas déplorer que ces chrétiens d’Orient ou d’Ethiopie adhèrent souvent à des schismes ou des hérésies, comme le monophysisme – le Fils et son humanité se dissoudraient dans le Père divin – ou le nestorianisme – théorie du Christ à deux natures et deux personnes distinctes – hérésies particulièrement graves puisque anti-trinitaires. Ces ruptures anciennes avec l’unité romaine ont certainement fragilisé ces chrétiens face aux agressions continues des paganismes et de l’islam.
 
Les deux derniers siècles ont été marqués par l’effort missionnaire considérable des chrétiens dans le monde entier. Le catholicisme et le protestantisme sont désormais très implantés en Afrique noire. Il existe aussi un phénomène récent de conversion de catholiques à des sectes protestantes charismatiques, observable depuis plusieurs décennies en Amérique latine et en Afrique noire. Il faut bien le constater, et des cartes et graphiques précisent l’ampleur du phénomène, considérable en certains pays comme le Brésil. Chose peu connue, le néoprotestantisme charismatique érode aussi massivement des Eglises traditionnelles comme l’éthiopienne, elle-même historiquement monophysite et parfois qualifiée « d’orthodoxe » du fait de multiples accords, aux modalités complexes, signés depuis le XIXème siècle.
 
Il est, selon nous, regrettable que le dynamisme missionnaire du christianisme, à vue humaine, soit désormais du côté de ce néoprotestantisme charismatique, et plus du tout du catholicisme : il propose certes à l’ensemble de l’humanité les grandes lignes du message du Christ, mais sans la sûreté doctrinale et des sacrements du catholicisme. Un certain relativisme a gagné beaucoup trop de catholiques, d’où l’affaiblissement considérable de l’esprit missionnaire. Le constat posé lucidement, il faudrait agir, à commencer par prier pour les missions catholiques, et cesser les déclarations ou cérémonies qui sèment la confusion dans les esprits catholiques, et qui sont hélas actuellement plus courantes que jamais.
 

Octave THIBAULT