La Banque mondiale ose déplorer la baisse du niveau : la « scolarisation sans l’apprentissage »

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On croit rêver. Si le cynisme des institutions supranationales n’était une affaire entendue, on hurlerait devant le dernier rapport de la Banque mondiale sur l’inefficacité de l’enseignement, tel qu’il est rapporté par la salle de presse des Nations unies. Qui, sinon l’UNESCO et ses semblables, a imposé des pédagogies aberrantes et favorisé le décervelage des jeunes ? Voici que la Banque mondiale se plaint de la baisse du niveau, déplorant à la fois le gâchis humain et le gaspillage des fonds consacrés à l’enseignement. Elle appelle cela « la scolarisation sans l’apprentissage » –  au sens d’absence d’acquisition de connaissances et de compétences. Elle constate les dégâts dans les pays pauvres ou à revenu moyens. Ce n’est qu’une partie de l’histoire.
 
Selon la Banque mondiale, ce sont des millions de jeunes dans ces pays qui risquent de voir leur carrière entravée et leur réussite future tuée dans l’œuf, notamment lorsqu’ils n’apprennent pas à lire convenablement et qu’ils ne savent pas réaliser des opérations simples à la fin du primaire. Cela ressemble beaucoup à ce qui se passe dans de nombreuses écoles de nos pays riches, soumises aux méthodes globales. Mais ce ne sont que les pays en voie de développement qui font l’objet de la sollicitude de la Banque mondiale et de son économiste en chef, Paul Romer. « La seule manière de progresser, c’est de trouver la vérité à partir des faits. Si nous voulons bien les laisser parler, les faits à propos de l’éducation révèlent une vérité douloureuse. Pour trop d’enfants, la scolarisation ne signifie pas l’apprentissage », a-t-il dit.
 

La scolarisation sans l’apprentissage – un marronnier, hélas…

 
Selon le Rapport sur le développement du monde 2018, le problème n’est pas tant celui des occasions perdues que de la « grave injustice à l’égard des enfants et des jeunes dans le monde entier ». « Cette crise de l’apprentissage est une crise morale et économique », a insisté le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim.
 
Que permet l’éducation scolaire ? « L’emploi, de meilleurs revenus, une bonne santé, une vie sans pauvreté. Pour les communautés, l’éducation encourage l’innovation, renforce les institutions et améliore la cohésion sociale », a-t-il ajouté. Oui, c’est enfoncer des portes ouvertes. Mais venir en 2017 se plaindre de l’incapacité de l’école à apprendre aux enfants à lire, écrire et compter en l’espace de six ou douze ans, alors que cela fait des décennies que de nombreux observateurs dénoncent cela avec raison, et que les parents dans de nombreux pays sortent des systèmes conformes aux indications des institutions supranationales pour que leurs enfants reçoivent une véritable formation, est une réaction de pompier pyromane.
 

La Banque mondiale déplore un niveau scolaire en baisse dans les pays pauvres

 
Selon la Banque mondiale, cette crise de l’enseignement élargit les inégalités sociales plutôt que de les réduire – alors même qu’un nombre croissant d’enfants sont scolarisés, faudrait-il ajouter. Et elle recommande sans rougir d’évaluer les méthodes afin de voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, ainsi que de mettre en place un mouvement social fort afin d’obtenir des changements qui puissent favoriser « l’apprentissage pour tous ».
 
La Banque mondiale a constaté que l’élève moyen des pays pauvres affiche des performances inférieures à celles de 95 % des élèves des pays riches ; dans les pays à revenu moyen, les 25 % d’élèves affichant les meilleurs résultats se trouveraient parmi les 25 % les plus mauvais dans un pays plus riche. Pour quelle raison ? Selon le rapport, ce qui fait la différence, ce sont certes les méthodes mais aussi la volonté ou non du pouvoir politique d’assurer l’instruction pour tous.
 
Il se peut bien que la situation soit plus catastrophique dans certains pays pauvres. Le rapport donne l’exemple de l’Inde rurale où près des trois quarts des élèves de neuvième étaient incapable de trouver la solution à une soustraction à retenue telle 46 – 17 ; arrivés en septième, la moitié en était au même point. L’Inde rejoint d’ailleurs le Malawi au rang des 12 pays où un élève de 10e ne parvient pas à lire un seul mot d’un texte court.
 

Bientôt une énième réforme impulsée par la Banque mondiale, l’UNESCO, etc. ?

 
Comment se dispense exactement l’enseignement dans ces pays-là ? Apparemment – c’est une expérience menée dans l’Andhra Pradesh en vue du rapport – les élèves des enseignants gratifiés d’une récompense lorsque leurs élèves ont de meilleurs résultats en mathématiques et en études de langues ont également de meilleurs résultats en sciences et en matières d’éveil même lorsque aucune prime ne vient couronner les efforts des maîtres. Logique : qui sait lire, écrire et compter possède les clefs pour les autres matières. Mais qu’il faille graisser la patte des profs…
 
En attendant, les enfants des pays riches ont eux aussi leurs problèmes, aggravés par le fait que les évaluations sont souvent taillées sur mesure pour correspondre aux méthodes d’apprentissage, sans que l’on puisse avoir une idée claire de la réelle compréhension, fine et analytique – l’ennemie des méthodes globales – à laquelle ils accèdent.
 
L’histoire de ces manipulations pédagogiques incite à la prudence face aux larmes de la Banque mondiale, qui peuvent bien être des larmes de crocodile. Difficile de croire à leur sincérité, si ce n’est que les grands de ce monde souhaitent redresser un peu le tir dans les pays pauvres pour niveler les enfants du monde entier, alors que les réformes se suivent et se ressemblent, et que L’école des illusionnistes, pour reprendre le titre du livre d’Elisabeth Nuyts, a hélas encore de beaux jours devant elle.
 

Jeanne Smits