Mai 68 Vu d’en face : Bernard Lugan

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On voit toujours, en photos, sur les barricades et sous les pavés, les « rebelles » et les forces de l’ordre. Mais de ceux qui en vinrent résolument aux mains avec les Rouges, on sait peu de choses, on en entend encore moins… Bernard Lugan a voulu réparer ce tord fait à sa génération dans Mai 68 Vu d’en face, responsable qu’il était alors de l’Action française à Nanterre. Loin du précis d’histoire ou d’un essai songeur, c’est le ressenti condensé en quelques tableaux marquants d’un jeune étudiant de 22 ans.
 
Bernard Lugan parle d’« un livre mousquetaire », je dirais plutôt « à la hussard ». Ça chante, ça cogne, ça saigne, et ça soupire ferme après le sexe dit faible.
 

Mai 68 Vu d’en face : ces irréductibles Gaulois !

 
L’impression majeure qui ressort de la lecture de ce petit livre est que nous sommes, véritablement, à cent lieux de ces journées ensoleillées au goût de Révolution. C’est une autre époque qu’évoque Bernard Lugan. En notre joli mois de mai 2018, il se trouve aussi des universités fermées – une jeune amie a dû, la semaine dernière, enjamber des barrières et se frayer un chemin parmi CRS et gauchistes, pour tenter de passer son examen à la Sorbonne…
 
Seulement, cinquante ans se sont écoulés. L’avancée des idées libertaires et liberticides, et la judiciarisation concomitante de notre société ont eu raison d’une saine réaction populaire et il n’y a plus personne en face, pas même les forces de l’ordre plus inertes que jamais.
 
En 68, il s’est trouvé des irréductibles – qui pouvaient encore descendre martialement dans la rue. Nous étions au lendemain de la guerre d’Algérie, l’Action Française somnolait dans son écœurement, mais le toupet des étudiants rouges acheva de la réveiller et de la faire se dresser aux côtés d’autres mouvements tels Occident et Ordre Nouveau. Les vieilles fidélités se réchauffèrent, les anciens réseaux se réactivèrent – Bernard Lugan décrit tout cela avec un talent certain. Chaque jour, bientôt, l’AF manifesta contre les communistes, sur les Champs-Élysées. Et ses jeunes adeptes fermèrent les poings.
 

« Beaucoup d’ennemis, beaucoup d’honneur »

 
Sur le bitume, il y avait « les enragés », les « maoïstes », les « trotskistes », les « situationnistes », « les doux démocrates antifâscistes », bref, les Bolches, les Rouges. Et pour Lugan et ses comparses d’alors, ce n’étaient pas des adversaires mais des ennemis.
 
De Nanterre à la Sorbonne, en passant par Assas ou Henri IV, ils sont allés les trouver. Avec du bois de cornouiller en guise de gourdin (ce bois si lourd qu’on en faisait des javelots du temps des Perses) et au chant des Lansquenets ou de la Ligue Noire… et souvent à plus de dix contre un.
 
Incrédible image. Il y a un certain romantisme dans ces pages… et du rire, quand notre homme s’attarde sur la « moutonnière douceur » des « invertébrés » de Sciences-Po… De la provocation ? Lugan ne s’en cache pas. Mais on a vingt ans ou on ne les a pas. Et il ne se prive pas non plus d’un ton léger, souvent paillard, qui déborde ici et là – comme si, étonnamment, une (très) vigoureuse virilité était la réponse adéquate au « tout sexe » de ceux d’en face !
 

« Le hideux mariage de la fausse insurrection et de la plus plate soumission à l’air du temps » Bernard Lugan

 
Son avant-propos est néanmoins l’occasion de quelques idées bien senties sur ce phénomène de 68 qui ne fut selon lui qu’un « pastiche de révolution », « un monôme initié par les enfants gavés d’une bourgeoisie ayant perdu ses repères moraux et civilisationnels. Un monôme que le régime gaulliste laissa étrangement se dérouler, et sur lequel se greffèrent opportunément les syndicats et les forces de gauche, dont le Parti communiste ».
 
De fait, c’était bien le coup d’état communiste qu’on craignait alors, et chez un certain nombre de gaullistes aussi : Lugan raconte comment Jacques Baumel, alors député, le reçut en douce pour s’assurer du soutien de ses « troupes » pourtant menues, le cas échéant (panique réelle ou contrôle subreptice, Lugan n’a jamais su au final)…
 
Mais pour ces jeunes de droite, ce combat anticommuniste fut aussi et peut-être avant tout une réaction « esthétique » contre le panurgisme gauchiste.
 

Mai 68 : plus que des barricades

 
Maintenant, est-ce que ces coups de force droitiste ont changé le cours de l’histoire, fors l’honneur bien sûr et la saveur de quelques raclées bien méritées ?! Bernard Lugan croit qu’ils l’auraient pu, pointant la contre-performance des forces de l’ordre qui les empêchèrent, le 3 mai, de marcher sur la Sorbonne… Seulement Cohn-Bendit et ses sbires n’étaient que la pointe d’un iceberg bien plus redoutable qui devait, d’une façon ou d’une autre, fendre la coque du navire et changer les mentalités pour de bon.
 
Sans doute, cette pseudo-révolution a-t-elle eu des effets en apparence inverses aux attentes déclarées des étudiants et des syndicats, comme le rappelle Lugan. La liberté à tout crin a engendré le politiquement correct, la révolution anti-capitaliste le règne de l’argent-roi, et la liberté sexuelle voit la domination parallèle de la pornographie et du mouvement anti-Weinstein.
 
Mais les meneurs, devenus de sages bobos gauchistes mondialistes en ont pris fait et cause, sans sourciller. Signe que leur combat de l’époque en assurait d’autres plus profonds…
 
Seulement, c’est un autre sujet !
 

Clémentine Jallais