Bioéthique et manipulation de la mémoire : Matthew Liao voit dans le cerveau humain la « nouvelle frontière »

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Lors d’une réunion organisée par le CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire), le bioéthicien Matthew Liao a souligné dans un entretien avec IP-Watch.org (Intellectual Property Watch) combien les nouvelles techniques d’effacement de souvenirs et autres interventions sur le cerveau humain posent de nouvelles questions morales. Il venait d’évoquer ces nouvelles techniques, déjà opérationnelles, lors de sa conférence. Pour lui, le cerveau est la « nouvelle frontière » de la science et de la technologie – et de la bioéthique.
 
La question n’est plus de savoir si les nouvelles technologies d’intervention et de manipulation neurologique dans le cerveau doivent être utilisées, puisqu’elles le sont déjà, a-t-il souligné. Ainsi, la stimulation profonde cérébrale est déjà utilisée chez des milliers de dépressifs et de victimes de la maladie de Parkinson à travers le monde. Il s’agit de déterminer les considérations éthiques qui doivent être prises en compte à l’avenir – en même temps qu’il convient de s’interroger sur les questions de propriété intellectuelle, de vie privée et de protection des données. Oui, on en est là.
 

Préoccupation bioéthique : la manipulation du cerveau et de la mémoire est déjà parmi nous

 
Aujourd’hui, on sait donc « effacer » des souvenirs : n’est-ce pas un moyen de changer la manière dont chacun comprend sa propre histoire et perçoit son identité personnelle, a demandé Matthew Liao – avec le risque connexe de ne plus pouvoir agir en tant qu’agent moral, ou de pouvoir répondre au devoir légal de témoigner de certains événements.
 
Théoriquement utilisées au service du « bien-être » individuel, ces techniques se permettent de définir en même temps en quoi consiste ce bien-être : raison suffisante pour s’en méfier. En même temps qu’elles peuvent permettre à des victimes de surmonter des traumatismes lourds, elles peuvent modifier et transformer la société en profondeur, a-t-il expliqué au cours de sa conférence.
 
En réponse aux questions de IP-Watch, le chercheur a souligné que les implants dans le cerveau vont probablement devenir de moins en moins chers et pourront être proposés partout, au nom de l’égal accès à la médecine. Mais il a reconnu que de tels implants – les micropuces utilisées pour modifier la mémoire – pourraient récupérer de nombreuses données appartenant à la personne. « La sécurité est un souci de toute première importance dans ce domaine. Elle pose toute une série de questions sur le cryptage des données, et en cas de cryptage, qui doit en posséder la clef », a-t-il souligné. Il y est favorable : « Le risque de voir des gens manipuler le contenu de tel cerveau est trop élevé. »
 

Matthew Liao, bioéthicien, voit dans le cerveau la « nouvelle frontière » de la recherche et de la technologie

 
Au-delà des problèmes de propriété intellectuelle que cela pose, il faudrait peut-être poser la question d’un brevet pour le contenu de la mémoire, et de la monétisation des techniques notamment à travers l’utilisation de données personnelles…
 
Science-fiction ? On serait tenté de le croire, mais c’est avec le plus grand sérieux que Matthew Liao annonce que ces techniques, encore à l’état d’expériences, vont progresser « très vite ». Ainsi DARPA, l’Agence de la Défense américaine pour la recherche avancée, travaille-t-elle déjà sur la création de « prothèses » pour la mémoire, qui permettent de remplacer la mémoire de la même manière qu’on appareille ceux qui ont perdu un membre. « Si l’on tient compte des investissements de DARPA, il est réaliste de penser que ces avancées seront effectives d’ici à 10 à 15 ans. »
 
Ceux qui nous gouvernent considèrent ces recherches avec le plus haut intérêt. Reinformation.tv a évoqué le projet BRAIN Initiative d’Obama comme le Human Brain Project de la Commission européenne, qui a déjà financé les recherches à hauteur d’un milliard d’euros.
 
« Je crois que le cerveau est la nouvelle frontière. Il y a vingt ans nous pensions qu’il était impossible de séquencer le génome humain et aujourd’hui on peut le faire en 20 secondes. Vu tous les investissements dans ce domaine nous apprendrons très vite », selon Matthew Liao. Le Meilleur des mondes reste à découvrir…
 

Anne Dolhein