La Chine procède actuellement à son « plus grand effort de dépenses militaires en temps de paix », a averti mardi le ministre britannique des Affaires étrangères, James Cleverly. Mais si une partie de son budget militaire est bien visible à travers la construction de navires de guerre, de dépenses directes au profit de l’« Armée de libération du peuple » ou de l’accroissement de l’arsenal nucléaire, la « guerre hybride » qui mobilise la puissance civile, la cyberguerre et la désinformation rendent plus floues les frontières entre la guerre et la paix et la conduisent à augmenter son pouvoir. Et c’est sans compter les discrètes expansions maritimes et territoriales qui permettent à la Chine d’avancer ses pions sans coup férir.
Rien qu’entre 2014 et 2018, l’armée chinoise a mis à l’eau des vaisseaux militaires dont le tonnage d’ensemble dépasse celui des Marines de la France et de l’Allemagne réunies, note Sophia Yan du Daily Telegraph. Et le budget de ladite armée cette année, estimé à plus de 200 milliards d’euros, est largement plus de quatre fois plus gros que celui de la France. Et si la Chine possède aujourd’hui, selon des estimations occidentales, plus de 400 têtes nucléaires, elle prévoit d’en avoir 1.000 en 2030 et 1.500 en 2035.
Le budget militaire de la Chine renforce sa puissance nucléaire
C’est peu au regard des quelque 3.700 têtes nucléaires que les Etats-Unis reconnaissent avoir, et des 6.000 que la Federation of American Scientists attribue à la Russie. Mais cette puissance est à mettre en regard du soutien que la Chine cherche à obtenir pour sa vision du Nouvel Ordre Mondial où elle compte bien jouer un rôle de tout premier plan, déjà bien préparé par sa présence massive dans les hautes instances de l’ONU et sa place au sein du bloc économique des BRICS. Elle multiplie également les tests de missiles balistiques : en 2021, elle a procédé à 135 essais, plus que tous les autres pays du monde ensemble.
Xi Jinping ne cache pas son ambition de faire entrer l’armée chinoise dans la cour des grands – « la classe mondiale » – d’ici à 2049. En termes de personnel, elle est déjà la plus importante de la planète avec deux millions d’hommes ; elle renforce son arsenal de jets furtifs, teste des missiles hypersoniques et compte bien ajouter un porte-avions aux deux qu’elle possède déjà d’ici à quelques années. L’importance accordée par la Chine à sa puissance militaire est manifeste dans le nombre d’exercices grandeur militaire qu’elle organise, le plus spectaculaire ayant été l’encerclement de Taiwan tout récemment, faisant suite à une augmentation inédite d’incursions dans l’espace aérien de l’ancienne Formose ; au mois de mars, les armées chinoise, russe et iranienne menaient des exercices conjoints dans le Golfe d’Oman.
Des jeux vidéo à la puissance militaire : le budget visible en cache un autre
Mais comme le rappelle Sophia Yan, le plus gros investissement et le plus considérable quant à l’évolution de la puissance militaire de la Chine repose sur la collaboration civile et militaire, la stratégie de Xi Jinping qui vise à fusionner les ressources du pays, en s’appuyant d’ailleurs sur l’intelligence artificielle (AI) pour soutenir sa force militaire. La désinformation, le blanchiment d’argent, la fraude, la surveillance, l’espionnage industriel et bien d’autres activités y sont pleinement assumées. Mais aussi le recours à des « métavers » où tout peut être testé de manière virtuelle – y compris les faiblesses des adversaires potentiels.
Il se trouve que la Chine est à la pointe de l’industrie du jeu vidéo, et que justement, la coopération entre les industries civiles et militaires lui permet de bénéficier des atouts de ces univers virtuels.
Fusion civile-militaire : l’atout du communisme
Xi Jinping appelle cela la « fusion civile-militaire », officiellement promue au rang de stratégie nationale en 2014 et dotée d’un « Comité » spécial en 2017 : c’est l’art de traduire la puissance économique et les avancées technologiques en puissance militaire, et c’est un avatar du système communiste introduit par Mao où l’Etat – ou plus exactement le Parti – contrôle tout. Il s’agit donc notamment d’investir dans des domaines relevant de l’économie domestique pour alimenter en même temps des industries qui alimentent le développement militaire.
A ce titre-là, les dépenses militaires directes peuvent être modérées (ce qui ne les empêche pas d’avoir progressé de manière forte, ainsi que nous l’avons vu), puisque des dépenses civiles viennent les abonder. Un exemple ? L’industrie aéronautique et aérospatiale civile, qui appartient à l’Etat, mène de front la recherche civile et militaire. Ailleurs, des entreprises « high tech » bénéficient de subventions étatiques pour développer des technologies stratégiques et ajouter des contrats militaires à leur activité.
Où en est cette stratégie ? L’information lâchée par la Chine au reste du monde est sous contrôle. Elle peut reposer sur la sur-évaluation ou au contraire sur l’occultation. Ce qui est sûr, c’est que les dépenses militaires de la Chine ne constituent qu’une partie du tableau.