Les Chrétiens du Liban et de Syrie

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L’actualité la plus dramatique de ces dernières semaines a amené à s’intéresser particulièrement aux souffrances des Chrétiens d’Irak. Mais ils ne sont pas les seuls menacés au Proche-Orient. Les communautés chrétiennes extrêmement anciennes au Liban et en Syrie – déjà mentionnées dans les Actes des Apôtres – sont aussi en danger, même si c’est de manière un peu moins immédiate que leurs frères d’Irak, et moins au Liban qu’en Syrie.
 

LES CHRETIENS DE SYRIE, MENACES PAR LA GUERRE CIVILE

 
La capitale de la Syrie, antique puis actuelle, Damas, comptait déjà quelques Chrétiens du temps de saint Paul, parti comme persécuteur mandaté par le Temple de Jérusalem, et converti par une apparition du Christ sur le chemin.
 
Comme en Egypte, le christianisme de Syrie, probablement majoritaire dès 350, souffre de grandes divisions entre l’orthodoxie et de nombreuses hérésies, souvent antagonistes entre elles. Ces divisions religieuses recoupent largement les divisions ethniques d’alors, les populations hellénisées demeurant fidèles à la foi définie par les premiers conciles, tandis que les populations araméennes tendent plutôt vers le monophysisme importé d’Egypte, qui prend le nom, en Syrie, de jacobisme. Ce nom provient d’un évêque hérétique, Jacques d’Antioche.
 
Dans les années 640, toute la Syrie, comme le Liban – le terme est alors géographique et désigne deux chaînes de montagnes, le Mont-Liban et l’anti-Liban – sont envahis par les Arabes. Ils y imposent leur langue, et leur religion, l’islam. Les orthodoxes sont à cette époque désignés par le nom sémitique de « melkites », fidèles à la foi du roi, c’est-à-dire l’empereur de Constantinople : un quolibet lancé par les tenants de l’hérésie et non par les musulmans pour qui tous les chrétiens étaient simplement chrétiens. Dans leur grande majorité, ils suivent le schisme grec après 1054. Les jacobites subsistent. Les uns comme les autres souffrent du statut de minorité tout juste tolérée en terre d’Islam. La grande majorité des chrétiens resteront sous domination musulmane durant l’existence des Etats Latins d’Orient (XI-XIIIe siècles).
 
Le nord de la Syrie se situe à la frontière de l’Arménie historique, étendue sur toute l’Anatolie orientale. Il abrite donc des populations arméniennes, converties au christianisme au IVe siècle. A la fin du Ve siècle, dans leur grande majorité, elles refusent le Concile de Chalcédoine et s’alignent à peu près sur le monophysisme des Jacobites.
 
Enfin, le nord-est de la Syrie confine à l’Assyrie, et abrite des Assyriens, chrétiens de langue araméenne, historiquement nestoriens depuis la fin du Ve siècle. Ils ont subi comme leurs proches cousins de l’Irak actuel les massacres du génocide arménien et assyrien, accompli par leurs voisins kurdes et les troupes ottomanes à partir de 1915. Ces populations survivantes, au milieu des Kurdes du nord-est de la Syrie, sont aujourd’hui parmi les plus directement menacées, attaquées par le Califat Islamique, le même qui vient de massacrer ou chasser les Assyriens de la région de Mossoul au nord de l’Irak.
 
Les Chrétiens forment aujourd’hui un peu moins de 10 % de la population de la Syrie. Peu associés au pouvoir pendent les dernières décennies de gouvernement nationaliste arabe baasiste, quelques ministres, notamment ceux de la Défense, sont issus de leurs rangs et ils ont compté des généraux très haut placés. Toutefois, comme dans l’Irak voisin jusqu’en 2003, ils n’ont pas été persécutés. Aussi, ils demeurent globalement loyaux au régime baasiste encore en place à Damas, car les opposants, avec toutes leurs nuances certes, sont avant tout des islamistes sunnites. Ils divergent tout au plus sur le degré de persécution à infliger aux Chrétiens. La branche la plus dynamique sur le terrain durant ces derniers mois s’avère la pire.
 
On a beaucoup parlé de Maaloula, libérée des insurgés sunnites en avril 2014 par l’armée régulière. Mais c’est une affaire trouble, notamment quant au jeu du régime de Bachar el-Assad dans le rôle traditionnel du pyromane pompier, accusé de complicité avec les islamistes qui ont pu facilement entrer dans la ville.
 
Si des milices chrétiennes locales défendent leurs villes et leurs villages, en particulier dans des enclaves au nord-ouest de la capitale syrienne, autour de Maaloula, leur équipement reste sommaire. Si Damas leur a fourni des armes, c’est au mieux des mitraillettes venues s’ajouter au fusil de chasse ou au revolver que le chrétien garde traditionnellement chez lui.
 
Il faut savoir cependant que tous les Patriarches ont refusé les armes et le principe même des milices. Si elles existent c’est spontanément, au niveau des quartiers, et il n’y a aucune coordination.
 

LES CHRETIENS DU LIBAN, SURVIVANTS D’UN PROJET AVORTE D’ETAT CHRETIEN

 
Les Chrétiens libanais ont été évangélisés aussi tôt que les Syriens. Le sud du Liban a même connu des visites de Jésus-Christ, durant son enseignement terrestre. C’est alors une contrée alors païenne – la Sainte Vierge n’a pas pu y entrer et a dû attendre en un lieu où elle est vénérée jusqu’à aujourd’hui –, où Il enseignait les Apôtres, loin de la foule de Galilée ou de Judée. On retrouve des Melkites au Liban, ainsi que des Jacobites et des Arméniens, mais en proportion moindre qu’en Syrie pour les deux derniers groupes. La dénomination la plus nombreuse, spécifiquement libanaise, est celle des Maronites, qui se réclament de saint Maron. Ils sont catholiques depuis le XIIe siècle au moins, ralliés à Rome à l’époque des Croisades.
 
En 1860 commence une importante tentative de génocide initié par les Druzes avec la passivité des autorités turques et des voisins musulmans. Les massacres visaient les Chrétiens de Syrie comme du Liban. Les plus terribles d’entre eux ont eu lieu dans les zones mixtes peu habitées par les Maronites, comme Deir el Kamar et Damas, ou encore une ville comme Zahlé, ville à 100 % melkite et orthodoxe avec laquelle les Druze avaient un compte à régler et qui représentait alors un nœud routier important.
 
C’est l’intervention armée des troupes de Napoléon III qui a sauvé les Chrétiens de Syrie et du Liban du génocide commencé par les Druzes. Depuis lors, des liens particuliers se sont tissés entre la France et les Maronites.
 
Le Liban s’inscrit dans la filiation d’une histoire très longue. Il se superpose au territoire de la Phénicie antique. Montagne et donc refuge pour les persécutés, il accueille les Maronites au VIe siècle : hérétiques alors, ils fuyaient les Byzantins… Puis vient l’islam et ses persécutions internes : Chiites et Druzes trouvent à leur tour un lieu de repli dans les montagnes du Liban, où ils s’installent, ainsi que des représentants de toutes les autres communautés religieuses de l’Orient chrétien. Pas de Sunnites dans les montagnes et pour cause : majoritaires, ils sont l’islam dominant. Peu à peu les Chiites ont migré vers d’autres axes, seuls les Druzes conservant leur habitat traditionnel dans la montagne. Avec le temps celle-ci est devenue maronite et druze, avec de fortes minorités des autres Chrétiens. Au fil de l’histoire elle a obtenu une certaine autonomie sous l’empire ottoman, particulièrement après les massacres de 1840 et 1860 : une autonomie qui a servi de base à la création du Grand Liban, le Liban d’aujourd’hui.
 
Il n’est donc pas une création « artificielle » de la France, puissance mandataire en 1920, qui aurait divisé la Syrie par simple machiavélisme sans justification profonde historique ou humaine, thèse largement diffusée par les anticolonialistes, les nationalistes panarabes, les islamistes sunnites. En 1920, les autorités françaises espèrent un Etat chrétien allié de la France sur le long terme, face à un environnement musulman supposé, à juste titre, hostile. Mais sous peine d’idéologie, on ne peut faire un parallèle avec la création voisine de l’Etat juif avec l’aide des Britanniques : le Liban est une réalité organique enracinée dans l’histoire.
 
La constitution d’un Etat chrétien était envisagée avec le renforcement de la population chrétienne du Liban par l’installation massive de réfugiés arméniens ou assyriens, survivants du génocide de 1915, et chassés de Turquie par Mustafa Kemal en 1920. Ce renforcement devait permettre une colonisation agricole dense de la Bekaa, alors encore peu peuplée. Or ce plan, intéressant, n’en est resté qu’à l’état de velléité. La franc-maçonnerie française, au pouvoir sous la Troisième République, capable d’envisager le calcul géopolitique, conserve un réflexe antichrétien qui sabote le projet.
 
Face au projet de Grand Liban il y avait aussi la promesse d’Etats chaldéens et assyriens dans leurs terres d’origine en Mésopotamie : là c’est la découverte du pétrole qui a fait capoter le projet, ainsi que la question kurde. On se souvenait trop à l’époque que les Kurdes étaient les exécuteurs des basses œuvres des Ottomans, en particulier dans les massacres de Chrétiens.
 
En outre les réfugiés chrétiens tendent surtout à prendre la mer, vers la France ou le Nouveau Monde. L’occasion essentielle est perdue. A l’inverse, le futur Israël se construit autour d’agences sionistes déterminées, obstinées dans le temps, jusqu’à aujourd’hui d’ailleurs en Cisjordanie occupée.
 

LE LIBAN FRAGILE DE CES DERNIERES DECENNIES

 
L’indépendance du Liban est obtenue en 1943, sous la pression britannique. Le compromis entre communautés passe par un pacte national qui gère le partage du pouvoir central, fort. Les communautés n’ont aucune autogestion sauf pour le statut personnel, que chacune conserve… Le pouvoir central, lui, est partagé entre les trois grandes communautés en présence : la présidence de la République maronite, celle du conseil est sunnite, celle de la chambre chiite, le commandement de l’armée est aux chrétiens, etc.
 
Les réfugiés palestiniens, quasiment tous sunnites, chassés par l’armée israélienne en 1948-49, s’installent très nombreux au Liban.
 
Le Liban possède encore dans le monde arabe une réputation de terre chrétienne, une exception assurément, la seule. Or, ce n’est plus le cas sur le plan des chiffres depuis les années 1970 et les grandes vagues d’émigration des années de plomb de l’occupation syrienne. Aujourd’hui, les Chrétiens forment au mieux un tiers de la population libanaise, autour de 4 millions. Sinon, les Chiites seraient 40 %, les Sunnites 30 %, les Druzes 7 % – avec une marge d’erreur non négligeable de 5 %. En outre le Liban est déstabilisé depuis les années 1950 par la présence de réfugiés palestiniens, aujourd’hui plus de 600.000, presque tous sunnites. De même, le Liban compte en 2014 plus d’un million de réfugiés syriens, sunnites dans leur très grande majorité. Si ces populations immigrées sunnites devaient rester sur le long terme, et il y a tout lieu de le craindre, elles renforceraient de fait la communauté sunnite, qui deviendrait majoritaire. Mais nul ne parle de naturalisation pour ces masses de réfugiés.
 
Il faut savoir aussi que le pacte national ne repose pas sur la proportion que représentent les communautés. Gravé dans la constitution, celui-ci partage à parts égales le pouvoir entre chrétiens et musulmans. Seuls les Chiites, et avec eux le général Aoun, exigent un partage par tiers : un tiers pour les Chrétiens, un tiers pour les Chiites, un tiers pour les Sunnites.
 
En outre la communauté chrétienne est traversée par de divisions profondes, et ce depuis les années 1950, voire dès les années 1930. Les Maronites sont à la pointe du combat pour l’existence du Liban, tandis que les orthodoxes se divisent plus volontiers entre cette position et la sensibilité au panarabisme, d’où des choix historiques souvent pro-syriens pour ces derniers dans les années 1970-2000. De 1975 à 1990, le Liban est ravagé par une terrible guerre civile, avec intervention massive des deux grands voisins, surtout la Syrie, mais aussi Israël. Les communautés libanaises s’affrontent, entre elles, mais aussi en leur sein, avec une participation massive des réfugiés palestiniens armés. Les Chrétiens sont les grands perdants de cette guerre, perdant tous les territoires chrétiens hors de leur réduit autour de Jounié. Suit une occupation syrienne jusqu’en 2005, qui s’appuie principalement sur le parti-milice chiite Hezbollah.
 
LE LIBAN EN PRE-GUERRE CIVILE AUJOURD’HUI
 
Un canton chrétien de fait subsiste donc aujourd’hui entre Beyrouth au sud, Tripoli au nord, le Mont-Liban à l’est. Le sud de ce canton est allié aux sunnites, derrière Samir Geagea, le nord aux chiites du Hezbollah, derrière le général Michel Aoun. Des dizaines de grandes familles chrétiennes s’engagent dans une alliance ou l’autre. Les Chrétiens, très menacés à terme, seraient donc potentiellement conduits à s’affronter comme auxiliaires des sunnites ou des chiites, soit la pire des situations envisageables. Sauf à conserver le pacte national qui préserve le pouvoir chrétien en lui assurant un poids stable.
 
Actuellement, la situation politique est des plus tendues. Le mandat du président de la République est vacant depuis mai. Les élections législatives à venir risquent de déclencher une nouvelle guerre civile. Le conflit syrien a contaminé le Liban dès 2012, pour l’instant seulement dans ses marges septentrionales ou orientales, avec une extension très possible, sinon probable.
 
La présence des réfugiés de Syrie fait quant à elle peser une lourde charge sur le pays, sachant que c’est le Hezbollah et ses alliés qui ont interdit d’organiser des camps pour eux, seul moyen d’assurer une vraie surveillance. La situation est devenue chaotique : on ne compte plus les routes coupées, et les enlèvements de soldats et gendarmes se multiplient : leurs corps sont rendus décapités ou avec une balle dans la tête.
 
Si les Chrétiens du Liban sont moins immédiatement menacés que ceux d’Irak ou de Syrie, leurs perspectives demeurent très sombres.