Le Soudan est en proie à un violent conflit qui oppose l’armée régulière au pouvoir, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhan, au groupe paramilitaire des Forces de soutien rapide de Mohamed Hamdan Dogolo, dit Hemedti, qui accuse la première de vouloir ramener au pouvoir le dirigeant déchu Omar al-Bashir. Le chaos est tel que de nombreux ressortissants étrangers, comme les citoyens des pays membres de l’Union européenne, ont été évacués dans un plus ou moins grand désordre, mais les Soudanais, et notamment la minorité chrétienne, n’ont pas cette échappatoire. Selon une association d’information et de défense des chrétiens persécutés dans le monde, les deux millions de chrétiens du Soudan craignent pour leur survie dans un pays où une prise en mains islamiste menace. Et avec elle, l’application renforcée de la charia. Le tout sur fond d’implication soupçonnée du groupe russe Wagner.
Déjà aujourd’hui, les chrétiens du Soudan – qui représentent une petite minorité dans ce pays peuplé d’un peu plus de 45 millions d’âmes – hésitent à parler ouvertement de leur foi, la moindre déclaration pouvant être perçue comme « menaçant » l’islam, voire considérée comme une « apostasie », avec à la clef la mise en danger de leurs propres vies. Mais une persécution plus active n’est pas à exclure à l’avenir.
Deux millions de chrétiens de plus en plus persécutés au Soudan
La section espagnole de l’association Puertas abiertas (Portes ouvertes) cite ainsi son porte-parole pour l’Afrique Orientale, Fikiru Mehari, selon lequel les leaders des différentes communautés chrétiennes craignent un véritable effondrement du pays : « De ce chaos pourraient émerger des extrémistes islamiques qui mettront en place une application stricte de la charia. Ce serait mortel pour les chrétiens. »
Alors que le Soudan a enregistré plusieurs centaines de morts et des milliers de blessés au cours des combats de ces derniers jours, « les responsables religieux chrétiens ne peuvent même pas visiter les membres de leurs congrégations, et ceux qui s’y sont risqués quand même ont mis en jeu leurs propres vies », souligne Mehari.
Le conflit couvait depuis le coup d’état militaire de 2021 et oppose deux parties en lesquelles les chrétiens du Soudan n’ont aucune confiance. « Lorsque le dictateur Omar al-Bashir a été renversé, il y eut des promesses de mise en place d’un gouvernement provisoire chargé de convoquer des élections. Cela nous a donné quelque espoir, étant donné que la persécution des chrétiens a commencé à faiblir. Mais ces espoirs se sont vite évanouis », ajoute-t-il. La persécution se renforce actuellement, et la perspective d’élections en 2023 s’éloigne.
La charia, grande gagnante potentielle du chaos
Et selon Mehari, si le Soudan « s’effondre », les pays voisins en seront « affectés » par une extension de l’instabilité.
Pendant ce temps, on s’interroge sur le rôle du groupe paramilitaire Wagner du « chef » de Poutine, Evgueni Prigojine – le président russe fréquentait volontiers le restaurant moscovite de ce cuisinier multi-tâches – dans le conflit soudanais. Si les mercenaires de Prigojine nient toute présence dans le pays « depuis plus de deux ans », ainsi que tout intérêt financier dans des sociétés locales, ce démenti ne semble pas résister aux faits.
Le Wall Street Journal, invoquant un ancien responsable américain proche de Hemedti, assure cependant que Wagner vient de lui proposer la fourniture d’armes lourdes depuis la République Centrafricaine voisine. Le Washington Post, citant un document « fuité » par les services de renseignement américains, affirme que Wagner a assuré ces dernières années des formations et des ventes d’armes au profit des forces armées soudanaises et se trouve maintenant dans l’embarras à cause du conflit entre factions rivales : laquelle soutenir ? En cause : la poursuite de la construction d’une base navale russe sur la Mer Rouge à Port Soudan, en échange d’armes et d’équipements militaires.
Les deux factions en présence ont évoqué la base lors de la visite du ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, au Soudan en février dernier. A l’heure actuelle, Port Soudan est sous le contrôle de l’armée régulière.
Le groupe de mercenaires russe Wagner joue un rôle peu clair
Or il apparaît que le groupe FSR a récemment reçu 30 chargements de pétrole et au moins un chargement d’équipement militaire depuis la Libye envoyés par le fils du chef de guerre Khalifa Hifter, lui-même en cheville avec des hommes de Wagner qui « sécurisent » son équipement et ses munitions. L’information a été démentie par les troupes de Hifter, mais confirmée par des sources libyennes et diplomatiques. Elle aurait une logique, puisque Wagner veut protéger ses voies de communication entre ses bases logistiques en Libye et la République Centrafricaine.
Par ailleurs, une société soudanaise lié à Prigojine possède des concessions minières et l’accord du gouvernement soudanais pour faire fonctionner une usine de traitement de l’or, via le groupe russe M-Invest qui a acquis la nouvelle société soudanaise Meroe Gold, après que le leader déchu Omar al-Bashir est allé chercher le soutien de Poutine en Russie en 2017, selon Al-Jazeera. Le groupe Wagner serait alors entré en jeu pour « sécuriser les ressources minières », puis pour protéger le pouvoir d’al-Bashir. Lors de sa chute, Wagner s’est rapproché de Fattah al-Burhan, puis s’en est éloigné à l’occasion du massacre de Khartoum en 2019, pour se tourner vers les FSR, dont le chef Dagolo-Hemedti s’est au demeurant rendu à Moscou un jour après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. C’est en tout cas ce qu’avance Samuel Ramadi dans son récent livre Russia in Africa.
Prigojine, quant à lui, a balayé ces affirmations, affirmant selon le Washington Post qu’il n’y a « pas d’or au Soudan qui présente un intérêt industriel », et pas « de gros profits à espérer ». Reste que le Soudan est le troisième producteur d’or africain.
Quoi qu’il en soit, au vu de ces informations, on ne peut que constater la forte implication russe en Afrique et dans les conflits africains, et on ne peut la prétendre désintéressée. Ce sont des intérêts militaires, financiers et liés aux matières premières. Les souffrances de populations – et en l’occurrence, des chrétiens du Soudan – n’en sont qu’un épiphénomène.