La congélation d’ovules pour différer ou garantir une grossesse transforme-t-elle vraiment la vie des femmes ?

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On pourrait parler de « pilule inversée ». La congélation des ovules féminins est un peu le Graal de la maternité autonome, une fois acquis celui de la liberté sexuelle, son pendant logique somme toute. Depuis que la technique existe, l’engouement pour cette « révolution en matière de reproduction » a crû, malgré son prix. Parce qu’elle offre à la femme la possibilité de retarder ou de garantir une grossesse éventuelle, grâce à la préservation d’ovules jeunes, lui laissant le temps de faire carrière, de dénicher le bon « partenaire » pour une éventuelle grossesse, et d’avoir un embryon moins susceptible d’anomalies chromosomiques.

« L’horloge biologique peut bel et bien être battue », lit-on sur le site d’un cabinet indien pour la fertilité féminine. Par-delà, c’est toute l’horloge humaine contre lequel l’Homme se bat et se débat… Cela deviendra-t-il une norme de congeler ses ovules à 25 ans ou 30 ans ? Pourtant l’efficacité de la congélation d’ovules est largement contredite par les chiffres. C’est dire si elle sert, avant tout, des objectifs idéologiques.

 

La congélation d’ovules : un jeu de riches porté par les Etats et les entreprises

La technologie permettant de congeler un embryon existe depuis les années 1980. Mais ce n’est qu’à la fin des années 1990 qu’on réussit à congeler et décongeler, sans l’endommager, un ovule non fécondé. En 2012, les taux de fécondation et de grossesse, grâce à cette technique, étant affirmés similaires à ceux de la fécondation in vitro, l’American Society for Reproductive Medicine cessa de la considérer comme une « procédure expérimentale » et les compagnies d’assurance américaines lui emboîtèrent le pas. Comme le rapportait le New York Times, près de 20 % des entreprises américaines de plus de 20.000 employés offrent une couverture pour la congélation des ovules, contre 6 % en 2015. En France, depuis la loi de bioéthique du 2 août 2021, les actes liés au recueil ou au prélèvement des gamètes sont remboursés…

Et pourtant, c’est « un jeu de riches » ! S’il faut compter seulement 3.000 euros en France pour l’ensemble de la procédure, un seul cycle de congélation des ovules, comprenant la surveillance échographique et la supervision d’un médecin, peut coûter entre 4.500 et 8.000 dollars aux Etats-Unis. Et c’est sans parler du stockage des ovules, qui peut atteindre plus de 500 dollars chaque année : ce dernier n’est d’ailleurs pas (encore) remboursé en France.

Pour rappel, le processus de cryoconservation des ovocytes commence par une stimulation ovarienne d’une à deux semaines. Les ovules sont alors récupérés par une aiguille directement dans le vagin, refroidis à des températures inférieures à zéro pour être décongelés à une date ultérieure. Le moment venu, la personne pourra décider d’une fécondation in vitro (FIV) ou d’une injection intracytoplasmique de spermatozoïdes (ICSI).

 

L’engouement pour cette « technique moderne de grossesse » aux faibles résultats

Et les femmes sont peu à peu séduites par l’idée, bien que le traitement leur offre quelques désagréables effets secondaires, et toujours des risques comme le syndrome d’hyperstimulation ovarienne, ou SHO – on ne manipule jamais impunément la nature. A Tokyo, pouvait-on lire il y a quelques jours dans Time, le gouvernement a eu une avalanche de demandes pour son nouveau programme de subventions à la fertilité, qui offre jusqu’à 2.000 dollars pour couvrir les frais de congélation des ovules… Selon le rapport Fertility Treatment 2021 : Preliminary Trends and Figures, plus de 4.000 femmes ont congelé leurs ovules au Royaume-Uni en 2021, contre 2.500 en 2019. Aux Etats-Unis, on constate une augmentation de 400 % des procédures entre 2012 et 2020.

Mais est-ce que ça fait vraiment des bébés ? Parce que c’est a priori leur objectif ! A vrai dire, les chiffres diffèrent en fonction des critères retenus. En 2016, lors d’une émission de radio à la BBC, Lord Winston, expert en fertilité à l’Imperial College de Londres, avait évoqué une « technologie très infructueuse » en déclarant que le nombre d’ovules qui aboutissent réellement à une naissance vivante après congélation était d’environ 1 % ! Ce qui a donné lieu à une jolie controverse, bien que le chiffre soit parfaitement vrai.

Déjà, parce que tous les ovules, même naturellement, ne donnent pas lieu à un embryon, qu’il y a de la perte lors de la décongélation, de la perte lors de la manipulation par la FIV… Mais surtout parce que la majorité des ovules ne sont pas utilisés par celles qui les ont congelés ! Seulement 8,4 % environ de leurs « propriétaires » sont retournées utiliser leurs ovules congelés pour accoucher, selon une enquête menée auprès de 87 cliniques et hôpitaux par le gouvernement de Tokyo en août : plus globalement, le taux varie d’environ 3 à 9 %.

 

Un merveilleux outil pour les femmes voulant « devenir » des hommes

Mais alors pourquoi les femmes sont-elles motivées par une telle technique aussi peu efficace, qu’elles regrettent d’ailleurs souvent, in fine ?

Pour Marcia Inhorn, anthropologue médicale à l’Université de Yale, auteur de Motherhood on Ice, paru en 2023, les femmes en bonne santé congèlent leurs ovules, aujourd’hui, non pas pour des raisons médicales ou professionnelles, mais parce qu’elles ne parviennent pas à trouver un partenaire ad hoc. Cela prouve d’abord qu’elles entendent bien rassurer leur désir de maternité, dans une société où, malheureusement, les relations humaines ont perdu toute stabilité. Indirectement, cela montre aussi que les hommes jouent toujours un rôle majeur dans l’idée de famille bien que l’on lave le cerveau féminin depuis des décennies sur « son corps, ses choix, ses droits » : les femmes veulent toujours d’un père et d’un foyer constitué pour accueillir un enfant.

Mais ce qui motive le discours ambiant médiatique et gouvernemental est d’un biais évidemment plus idéologique. Comme on peut le lire ici : « La congélation des ovules contribue à remettre en question les rôles traditionnels de genre et les attentes placées à l’égard des femmes. » C’est une question de principe. Eliminer les barrières pour soigner sa liberté, et contraindre la nature en vainquant le temps pour concevoir tardivement, avec l’ovule d’une femme jeune, plus sain que celui d’une femme de 40 ans (ce qui crée d’ailleurs des mamans plus âgées, puisque les mères d’enfants issus d’ovules congelées sont de trois ans plus âgées que les autres).

Il s’agit toujours de disjoindre la procréation de l’acte d’amour entre un homme et une femme, en la manipulant dans le temps et l’espace. C’est d’ailleurs, et là est une raison de cet agenda procréatif, un outil merveilleux pour les transgenres : avant de subir les traitements hormonaux et autres interventions chirurgicales pour devenir une homme, une femme aura soin de congeler ses ovules… afin de devenir un père-mère du 21e siècle. L’époque est décidément épatante.

 

Clémentine Jallais