« Consensus scientifique » : comment manipuler l’opinion

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Si, pour le covid, vous vous êtes interrogé sur la responsabilité du pangolin ou la vraie létalité du virus, puis sur les risques du vaccin, on vous a opposé le consensus scientifique, l’opinion de la majorité des spécialistes sur la question. De même si vous doutez que le présent réchauffement du climat soit exceptionnel, durable ou d’origine humaine. Sur ce dernier sujet, Wikipédia donne un échantillon de 7 mesures du consensus scientifique, étalées de 2004 à 2015 et allant de 91 % à 100 %, avec 4 valeurs à 97 %. Un consensus scientifique écrasant clôt la discussion : quiconque refuse de s’y soumettre sort de la critique raisonnable pour rejoindre « platistes » et « conspirationnistes ». Or, cette notion, d’usage récent, n’est, dans les faits, pas très bien définie. L’économiste Erwan Queinnec analyse les faiblesses évidentes d’une des dernières grandes « méta-études » datant de 2021. Alors qu’elle annonce un consensus scientifique à 99,9 % sur le réchauffement du climat par l’homme, il montre que 69,8 % des articles étudiés sont « sans opinion ». En poussant la réflexion, on s’aperçoit que les politiques agitent l’expression « consensus scientifique » pour manipuler l’opinion.

 

Le consensus, chose politique utilisée par l’ONU

Faisons une brève histoire du mot pour mieux comprendre la chose. Le mot consensus apparaît en France dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, en 1866. Tiré du latin, il signifie alors accord et appartient d’abord au vocabulaire du droit. La dernière édition du dictionnaire de l’Académie française donne : « Accord exprès ou tacite établi entre les membres d’un groupe, d’un parti, d’une conférence diplomatique, sur l’action à mener, la politique à suivre. La reconnaissance du consensus évite le recours au vote. Par extension Accord tacite de la majorité des citoyens d’un pays sur certaines questions. » Le consensus, notion d’abord juridique, devient politique. Le centre national de ressources textuelles et lexicales de Nancy ajoute que « dans l’usage récent, consensus glisse vers la signification opinion ou sentiment d’une forte majorité. Le syntagme large consensus se lexicalise ». La chose se produit au début des années 1970. Cela coïncide avec les progrès politiques de l’ONU, qui utilise massivement, pour ses décisions, la pratique du consensus permettant de « dégager un accord sans procéder à un vote formel, ce qui évite de faire apparaître les objections et les abstentions », ce qui est jugé « préférable ».

 

Avant 1986 Le Monde ne parlait pas de consensus politique

Le dictionnaire des synonymes apporte quelques données en complément. Pour consensus, on trouve, outre accord, accommodement, arrangement, compromis, modus vivendi : le mot appartient manifestement au monde politique. Quand l’expression « consensus scientifique » apparaît-elle ? Curieusement, ni le CNTLF, ni l’Académie, ni Wikipédia, ni nul instrument en ligne ne le précise. Peut-être dans les années soixante-dix, avec les progrès de l’ONU. Une infographie donne cependant une information utile, la fréquence d’apparition du mot « consensus scientifique » dans le journal Le Monde : paru seulement en 1986, il fait deux petites pointes entre 1995 et 2000 mais reste rare avant 2008 avant de grimper en flèche en 2014 puis d’exploser vers 2019 et 2020. Il est permis de lier cet emploi aux discussions sur le climat et sur le covid et de penser que l’expression est utilisée comme argument d’autorité pour clore la bouche aux sceptiques. L’analyse du terme le confirme.

 

Ce n’est pas la vérité mais le meilleur choix est d’y croire

La plus simple et la meilleure définition du consensus scientifique à propos du climat se trouve sur le site du « projet à but non lucratif » GreenFacts. « Le consensus scientifique représente la position sur laquelle la plupart des scientifiques spécialisés dans un domaine se mettent d’accord, à un moment donné. » Le site prend la peine de préciser : « Le consensus scientifique ne signifie PAS que tous les scientifiques ont un point de vue unanime (des désaccords peuvent survenir et être nécessaires pour faire progresser la science), ni que la position est définitive : le consensus peut progresser avec des résultats d’autres recherches et d’opinions contraires. Le consensus scientifique n’est donc pas synonyme de “vérité certaine”. ». Voilà qui est juste et qu’il était nécessaire de relever. Greenfacts n’en conclut pas moins : « Mais lorsque l’on manque de connaissances expertes pour évaluer une prise de position scientifique, le meilleur choix est de faire appel au consensus. » En somme c’est à la fois une école de relativisme et de soumission.

 

Cela sert à nous guider, nous l’opinion des quidams

Tout est dit. Le consensus s’adresse aux non experts, c’est-à-dire tout le monde ! Combien y a-t-il de climatologues sur terre ? Tous les autres, les prix Nobel de physique, vous et moi, ne sommes pas climatologues, nous n’avons pas de connaissances expertes, le meilleur choix est donc pour nous de faire appel au Consensus, avec une majuscule. Le consensus est explicitement une méthode de gouvernement de l’opinion. Elle se veut éclairée, puisqu’elle affirme s’appuyer sur l’opinion des meilleurs spécialistes. Mais deux questions se posent : cette prétention est-elle justifiée d’une part, et d’autre part le mélange politique science est-il sain ? En particulier, est-il conforme aux habitudes mentales dont les scientifiques se prévalent ?

 

Le consensus scientifique d’Aristarque à Copernic

Il est difficile de répondre oui aux deux dernières questions. L’opinion dominante des hommes de science les plus en vue sur un sujet donné a toujours existé, et toujours varié : cela fait traditionnellement l’objet de discussions qui peuvent être vives, ridicules, même, parfois, mais qui gagnent à rester entre pairs. On sait grâce à Archimède que l’astronome Aristarque de Samos émit l’hypothèse au troisième siècle avant Jésus-Christ que la terre tournait autour du soleil, ce qui heurtait le consensus scientifique de l’époque, surtout parce qu’elle était sacrilège, détrônant la Terre Mère, Gaïa, de sa place de foyer du monde. A l’époque de Ptolémée, au deuxième siècle après Jésus-Christ, le consensus scientifique était que la terre était ronde, mais restait le centre autour duquel tournait le soleil. Et quand le moine Copernic publia en 1543 le livre dans lequel il remettait en cause le consensus scientifique du temps en affirmant que la terre tournait autour du soleil, il ne subit aucune sanction politique ni religieuse.

 

Comment manipuler l’histoire grâce à Galilée

Cependant, une controverse banale contre l’Eglise oppose l’esprit d’autorité de celle-ci à la méthode expérimentale et au libre examen de la science. Mais c’est une querelle faussée. Rome revendiquait justement l’autorité en matière de foi et la prudence en matière d’étude des Ecritures : quand enfin elle se prononçait, les fidèles s’inclinaient, Roma locuta, causa finita. Il n’en allait pas de même en matière de sciences. L’affaire Galilée, dont on a dit tant de sottises, l’a montré. On demanda seulement à l’astronome italien, favori du pape, à l’issue de son premier procès, de n’enseigner la théorie de Copernic qu’à titre d’hypothèse : c’était parfaitement juste, puisque Galilée n’y avait rien apporté de solide, ses affirmations sur les marées et les épicycles étant fausses, le problème ne devant être résolu que par Kepler. La liberté d’expression sur la recherche scientifique était plus grande dans l’Italie papiste du XVIIème siècle qu’aujourd’hui.

 

Le consensus scientifique n’est allégué que quand il n’existe pas

Entendons-nous bien. Il n’est pas absurde de constater un consensus scientifique sur des sujets qui furent chaudement débattus mais ne le sont plus, comme justement l’héliocentrisme, ou la gravitation universelle, ou la mécanique quantique. Mais ce consensus ne fait pas l’objet d’une communication permanente. Il n’existe pas de groupe d’experts international des particules élémentaires, ni de méta-études pour nous rappeler tous les deux ans que 99,99 % des physiciens qui s’occupent de l’infiniment petit ont lu Max Planck ou que la majorité des astronomes savent qu’ils doivent quelque chose à Copernic, et pensent, avec Ptolémée, que la terre est « ronde ». Les platistes n’intéressent personne, sauf les partisans du réchauffement du climat par l’homme, qui se servent d’eux pour discréditer leurs adversaires. Dans la pratique, en effet, on parle de consensus scientifique surtout à propos de covid et de climat, c’est-à-dire à propos de questions d’une part controversées, d’autre part politisées, et enfin de questions sur lesquelles il n’existe pas, précisément, de consensus scientifique ! Tel est le paradoxe du consensus scientifique : il n’est allégué que quand il n’existe pas !

 

Leur consensus scientifique a des taux de dictateurs africains

Voyons cela maintenant de plus près, en répondant à la première question posée plus haut : y a-t-il une majorité des scientifiques compétents en la matière pour affirmer que l’homme est le principal facteur de réchauffement du climat, et les méta-études invoquées pour l’affirmer sont-elles solides ? La réponse est non. Erwan Queinnec a étudié la méta-étude dirigée par Mark Lynas publiée en 2021 dans la revue Environnmental Research Letters qui estime donc à 99,9 % le consensus scientifique attribuant le réchauffement d’aujourd’hui à l’homme. Lynas a repris la méthode d’un article paru en 2013 dans la même revue par John Cook et alii qui concluaient, eux, à un taux de 97 %. Queinnec note que Lynas ne répond pas aux critiques de l’économiste Richard Tol qui, partant des données retenues par Cook, aboutissait à une conclusion radicalement différente : selon lui, 95 % des travaux analysés par l’article de 2013 ne disaient rien des causes du changement de climat !

 

L’incroyable erreur de méthode de la méta-étude !

Mais place à la dernière grande étude en date, celle de Lynas. Les auteurs ont sélectionné un échantillon de 3.000 articles parlant du changement de climat, en ont lu le résumé et les ont classés en 7 catégories qui vont par ordre décroissant de « validation explicite du réchauffement anthropique avec quantification » à « rejet explicite du réchauffement anthropique avec quantification », avec cinq positions intermédiaires. Ils ont ainsi obtenu 2.718 articles répartis dans les sept catégories. Pourquoi pas ? Mais ce qui ne va pas, c’est qu’ils ont mélangé dans cet échantillon les choux, les carottes et les navets : certains articles ont pour objet les méthodes d’investigation (« methods ») portant sur le changement de climat, d’autres ont pour objet les effets (« impact ») de ce changement, d’autres enfin se demandent comment atténuer (« mitigation ») ces derniers. Un enfant comprend sans peine que ce sont trois objets de nature différente : celui qui travaille sur les effets du changement de climat et celui qui s’efforce de les réduire ne disent rien sur les raisons de ce changement, ils prennent ce changement pour donnée de base, situation de départ sur laquelle, par définition, leur travail ne se prononce pas.

 

Dans le consensus à 99 %, 7 études sur 10 n’ont pas d’opinion !

Il n’est donc pas surprenant que 1.869 articles soient rangés dans la catégorie « sans opinion », sans opinion sur l’origine du réchauffement, sans quantification à ce sujet. C’est normal, puisqu’une part importante de leurs rédacteurs s’intéressent à tout autre chose, les effets de ce réchauffement ! C’est normal mais c’est énorme : dans une étude qui affirme sans sourciller que 99,9 % des scientifiques compétents attribuent le réchauffement du climat à l’activité humaine, les auteurs avouent uniment que 70 % des auteurs sont à ce sujet sans opinion ! Cette contradiction pharaonique qui devrait provoquer un rire rabelaisien dans l’humanité entière tient à une « erreur » de méthode gigantesque : avoir mélangé au départ des travaux qui n’avaient rien à voir entre eux. Seules les études portant sur les « méthodes » auraient dû être retenues. Et encore, avec plus d’attention : Queinnec s’est en effet « amusé » à lire quelques papiers classés sous la rubrique « méthodes d’investigation » et a constaté qu’il y était traité de procédés d’atténuation du changement de climat putatif, par exemple le piégeage du carbone.

 

La question posée à l’opinion n’est même pas définie !

Cette incroyable erreur de méthode n’est pas le seul défaut de la méta-étude de Lynas. L’objet même du consensus est mal défini. On ne sait pas très bien si l’opinion testée est « les gaz à effet de serre d’origine humaine contribuent au réchauffement climatique » ou « les gaz à effet de serre d’origine humaine sont le facteur principal du réchauffement climatique ». La différence est pourtant importante, mais elle est encore plus importante du point de vue politique : si l’homme n’est pas le principal responsable, alors toute l’usine à gaz de prescriptions politiques et morales que l’on a bâtie sur l’obligation de sauver le climat s’effondre. Une formulation floue recueillera plus facilement l’assentiment vague d’une communauté scientifique qui a de tout temps travaillé en fonction d’un paradigme dominant et qui s’y trouve aujourd’hui fortement incitée tant par les lauriers académiques, la faculté de publier et les budgets de laboratoire.

 

Les données extrêmement ténues du prétendu consensus

Enfin, l’étude patronnée par Lynas donne quand même une information : considérant les deux extrêmes de sa classification, la « validation explicite avec quantification » et le « rejet explicite avec quantification », il recense neuf articles validant la thèse de l’origine humaine et un la rejetant, soit, cette fois, un « consensus scientifique » de 90 %. Mais un corpus de 10 études (dix) impressionne moins le lecteur que trois mille. Or, dans le combat pour l’opinion mondiale, il faut de grandes masses d’autorités scientifiques – et elles n’existent pas ! On s’en aperçoit en grattant un peu les méta-études censées quantifier des consensus scientifiques intimidants. Prenons l’article de Doran et Zimmerman (2009, Chicago). A la question, les activités humaines « contribuent-elles significativement au changement des températures moyennes globales ? », 47 % des 103 géologues interrogés seulement répondaient oui contre 97,4 % des 79 climatologues revendiqués. 79, pas un de plus. Malgré la ténuité de l’échantillon, les auteurs n’en concluent pas moins : « Il semble que le débat sur l’authenticité du réchauffement global et sur le rôle joué par les activités humaines soit largement inexistant parmi ceux qui comprennent les nuances et les bases scientifiques des processus climatiques à long terme. »

 

Un concept utilisé précisément pour manipuler l’opinion

Cela souligne deux éléments du problème. 1. Le petit nombre de spécialistes des sciences du climat, discipline récente et encore flottante : faut-il leur donner un blanc-seing ? 2. La notion de compétence : quels scientifiques retenir pour faire partie du consensus ? La question n’est pas sans importance au moment où des scientifiques de renom, des prix Nobel parfois, s’insurgent contre le discours sur « l’urgence climatique » tenu par les politiques au nom d’un consensus scientifique dont on les exclut. La solution logique, scientifique pour le coup, serait de mettre de côté la notion de consensus scientifique, qui n’a pas sa place dans un domaine d’études récent et controversé, et d’organiser des débats contradictoires entre les tenants de la thèse officielle et ses adversaires, qui ne sont pas des fantaisistes. Mais précisément, c’est la solution qui ne sera pas retenue, puisque le concept de consensus scientifique, on vient de le montrer, est utilisé en la matière pour manipuler l’opinion, empêcher tout débat et imposer un modèle politique et moral.

 

Pauline Mille