Le Forum économique mondial – grand promoteur de la « Quatrième révolution industrielle » qui « brouille les frontières entre les sphères physique, numérique et biologique » – laissait il y a quelques jours la parole à Margot Edelman, directrice générale de la société éponyme spécialisée dans la « construction de la confiance et de la réputation » au service des géants de la « tech » et des « perturbateurs de l’industrie ». Un important sondage réalisé par la société montre en effet qu’à l’heure actuelle, la proportion de personnes qui se méfient de l’intelligence artificielle (IA) est plus importante que celle des enthousiastes – 35 contre 30 % respectivement. Et ça, ça ne va pas du tout : il s’agit de persuader le public que l’IA aura un impact positif « transformationnel », écrit-elle sur le site du Forum de Davos.
Pourquoi ? Raison officielle : l’IA va avoir des retombées financières fabuleuses, la seule IA générative pouvant ajouter – selon Margot Edelman – jusqu’à 4.500 milliards à l’économie mondiale par an. Raison non dite – mais Mme Edelman y pense-t-elle seulement ? – l’IA est l’outil privilégié du véritable « grand remplacement » qui se profile : celui de l’homme par la machine.
L’enquête était en tout cas de grande envergure, puisqu’elle a recueilli les avis de 32.000 interrogés dans 28 pays au sujet des innovations qui s’accélèrent. 76 % de ces personnes ont déclaré faire confiance aux sociétés du secteur de la tech, tout en exprimant leurs doutes quant à l’IA – dont ces sociétés organisent pourtant l’invasion de l’intelligence artificielle à tous les niveaux.
L’IA à la recherche de la confiance populaire
« Le moment est venu de donner à un plus grand nombre de personnes des raisons de passer du rejet à l’acceptation, car l’IA ne va nulle part », affirme Margot Edelman – et ce alors que « l’efficacité et l’éthique de l’IA n’ont pas encore fait l’unanimité ». Comme inverser la tendance de l’opinion publique, qui reste majoritairement circonspecte ? Eh bien, en jouant justement sur la confiance qu’inspire le secteur de la tech : « Le hiatus entre l’IA et la technologie en général donne à penser que les entreprises technologiques peuvent s’appuyer sur la confiance élevée qui existe dans le secteur responsable de l’IA pour la faire accepter à un plus grand nombre de personnes. »
Ces sociétés présentes dans le monde entier « ont une occasion unique et importante de faire en sorte que le public reconnaisse les effets de transformation positifs de la technologie. Si nous ne le faisons pas, nous risquons de créer des divisions plus profondes dans une société déjà polarisée », met en garde cette spécialiste des relations publiques.
Et il faut faire vite, à l’en croire : justement à cause de la montée de l’IA, analyse Mme Edelman, les indicateurs de la confiance dont jouissent ces sociétés perdent des points – en 2016, le secteur bénéficiait encore de l’opinion la plus favorable parmi les industries dans 90 % des marchés ; cette année, cette proportion est tombée à la moitié des marchés intégrés dans l’enquête.
« Construire la confiance » : une opération de travail sur l’opinion
Quant aux sociétés du secteur de l’intelligence artificielle, elles ont vu le degré de confiance qui leur est accordé par le public chuter de 62 à 54 %, pour des raisons qui vont d’inquiétudes par rapport au respect de la vie privée à la potentielle dangerosité de l’IA pour l’homme et pour la société, en passant par le risque de voir dévaluer le sens de l’humanité.
Il est notable que seuls 22 % des sondés citent la peur de voir leur travail menacé par l’IA – signe que les implications réelles des progrès de l’IA ne sont pas perçues par la masse. Cela, Margot Edelman ne le dit pas, même si c’est suggéré dans sa remarque sur le risque de voir surgir « des divisions plus profondes dans une société déjà polarisée »…
Et elle répète : « L’innovation rapide est porteuse de promesses pour l’avenir. Cependant, comme il existe un clivage entre l’acceptation et le rejet de l’IA, l’innovation est en passe de devenir un nouveau sujet de discorde qui contribue à l’instabilité et à la polarisation de la société. Alors que l’IA s’infiltre dans tous les aspects de la société, la confiance et l’acceptation ne sont pas seulement agréables à avoir, elles sont essentielles. »
Sent-on quelque inquiétude de la part des promoteurs de l’IA quant à la réussite de leurs projets ? En attendant de disqualifier les opposants comme populistes ou obscurantistes, ils sont invités à répondre aux appréhensions qui empêchent d’« embrasser » l’IA, puisque les méfiants ont indiqué dans le sondage les facteurs qui pourraient les faire changer d’avis : mieux la comprendre, prendre conscience des « bénéfices » qu’elle pourrait apporter à la société comme à leurs personnes.
Davos promeut la « quatrième révolution industrielle » à travers l’IA
L’effort sera donc didactique : Margot Edelman recommande au secteur de la tech d’expliquer comment l’IA est intégrée dans ses produits et leur développement et de dévoiler les normes qu’elle doit respecter. Au titre des bénéfices potentiels pour la société, tout en affirmant qu’il faudrait « réguler » l’IA pour limiter la perte d’emplois, elle cite la capacité de l’IA à sauver les espèces menacées, à calculer les itinéraires les plus efficaces en énergies et à prédire les événements liés au climat. Car c’est ainsi que l’on est perçu comme étant au service du « bien ».
Sur le plan personnel, il s’agira d’être ouvert sur la présence effective de l’IA dans les outils numériques déjà largement utilisés par les consommateurs, en étant plus « transparent sur le fonctionnement de leur technologie d’IA et sur la manière dont celle-ci rend la vie des individus plus facile, moins coûteuse ou plus agréable ». « Si les gens se sentent plus à l’aise avec la façon dont l’IA s’intègre dans leur quotidien, ils seront plus enclins à y adhérer », prédit Mme Edelman.
Attendez-vous donc à une campagne de promotion sans vergogne de cette technologie qui tend à rendre l’homme – l’homme tel qu’il a été créé – obsolète. C’est « l’acceptation » qu’il s’agit de faire progresser, et c’est possible, dit-elle : le baromètre de la confiance Edelman n’a-t-il pas établi cette année que désormais « 54 % des sondés adhèrent aujourd’hui à l’énergie verte, tandis que seuls 13 % la rejettent » ?