Signe des temps. De plus en plus, les autorités publiques dans le monde développé s’adonnent à l’ingérence au sein des foyers pour toujours mieux contrôler la manière dont les parents s’occupent de leurs enfants. Une tribune publiée par le New York Times révèle l’aventure dont a été victime Kim Brooks, auteur d’un livre sur Les parents à l’âge de la peur. La maternité, dit-elle, fait aujourd’hui l’objet d’un contrôle social qui se traduit en poursuites et harcèlement de la part des pouvoirs publics. Elle-même a eu la surprise de se voir héler par la police alors qu’elle revenait de conduire ses enfants à l’école maternelle pour s’entendre dire qu’il y avait un mandat d’arrêt à son encontre.
Son méfait ? En mars 2011, revenant d’une visite à ses propres parents, pressée parce qu’elle avait un avion à prendre, elle avait laissé son enfant de quatre ans qui ne voulait pas descendre faire une course, seul dans la voiture. Fatiguée, en retard, elle était prête à prendre le risque de « l’abandonner » pendant les petites cinq minutes qu’il lui fallait pour entrer dans le magasin. Il faisait frais ; et puis, elle avait le souvenir des heures passées dans la break de ses parents à lire ou à rêvasser pendant que ceux-ci faisaient telle ou telle course. Au bout des cinq minutes, elle avait d’ailleurs retrouvé son gamin tout content. Et elle n’y pensa plus.
Les grandes peurs de l’âge de Big Mother : une mère de New York se rebelle
Manque de chance, un citoyen très « citoyen » avait profité de l’intervalle pour noter le numéro de la voiture et pour appeler la police. Le soir même, descendant de l’avion à Chicago – la « traçabilité » des individus fonctionne à merveille – elle recevait un message sur son téléphone : la police cherchait à joindre Madame Kimberly A. Brooks à propos d’un « incident » l’après-midi même sur un parking.
Attaquée à propos de sa manière d’accomplir ses devoirs de maman, la jeune femme s’était d’abord sentie « honteuse » et même coupable. Mais elle a fini par se révolter contre cette manière des pouvoirs publics de juger les parents pour leurs moindres actes. Si dans certains Etats des Etats-Unis le fait de laisser un enfant seul dans une voiture constitue un délit à part entière, ce n’est pas le cas en Virginie où « l’incident » avait eu lieu, mais Mme Brooks était poursuivie, la police estimant qu’elle était coupable de maltraitance ou à tout le moins de négligence à l’égard de son propre fils.
Pour finir, le délit retenu contre cette maman d’un enfant de quatre ans est encore plus ubuesque : avoir contribué à la délinquance d’un mineur (son propre fils).
Non contente de préparer son dossier de défense, elle a aussi pris contact avec des femmes qui se sont trouvées confrontées au même type de harcèlement judiciaire. « Nous vivons désormais dans un pays où l’on considère comme anormal, voire criminel, de laisser des enfants échapper à la surveillance directe d’un adulte, même l’espace d’une seconde », constate-t-elle.
Le contrôle serré des parents pour éviter des horreurs qui n’arrivent quasiment jamais
Et de souligner que ce sont les horreurs occasionnelles – l’enfant qui meurt de chaud, abandonné dans une voiture fermée, l’enfant kidnappé, violé, tué – qui justifient une surveillance démesurée sur certains points très précis, alors même que les enfants sont bien plus fréquemment victimes d’autres malheurs, comme le diabète infantile ou la dépression. « Statistiquement parlant (…) il faudrait laisser un enfant seul dans un lieu public pendant 750.000 ans avant qu’un étranger ne l’embarque. Statistiquement parlant, un enfant a bien plus de chances d’être tué dans une voiture en route vers un magasin plutôt qu’en y attendant sur un parking. Nous avons décidé que de tels raisonnements sont hors sujet. »
Le résultat de cette peur, de ce principe de précaution, de cette recherche du risque zéro, est que les enfants ne vont plus seuls à l’école, ils ne jouent plus dans les parcs, n’attendent plus dans la voiture ; ils ne connaissent plus le plaisir d’une promenade à pied ou à vélo dans la forêt, entre copains, ni celui de construire des cabanes ou des châteaux forts secrets pendant que les mamans travaillent, font la cuisine ou vivent leur vie, se lamente l’auteur.
Et de réfléchir aux raisons de ce changement sociétal : « Les gens ne pensent pas seulement que le fait de laisser un enfant seul est dangereux et donc immoral. Ils pensent aussi que c’est immoral et donc dangereux », souligne la chercheuse en sciences cognitives Barbara Sarnecka, qui a pu établir que des personnes sondées estiment plus « dangereux » de laisser temporairement un enfant seul si c’est pour aller voir un amant que si c’est pour faire du bénévolat… « Ce n’est pas une affaire de sécurité, il s’agit de mettre en œuvre une norme sociale. »
Kim Brooks relate les aventures d’autres mères confrontées à ce contrôle. L’une, Debra Harrell, a vu sa fille de neuf ans confiée un foyer d’accueil pendant 15 jours parce qu’elle l’avait laissée jouer à l’extérieur avec de nombreux autres enfants alors qu’elle-même travaillait dans un McDonald’s voisin. Un autre parent s’était mêlé de la signaler à la police.
Maternité surveillée – mais l’avortement est légal !
Dans l’Arizona, une femme qui n’avait pas les moyens d’engager un baby-sitter s’est vue condamner à 18 ans de liberté surveillée parce qu’elle avait laissé ses deux plus jeunes enfants dans sa voiture pendant qu’elle passait un entretien d’embauche.
Mais l’ingérence des pouvoirs publics ne frappe pas seulement les mamans pauvres. Une mère au foyer a été accusée de mise en danger d’un enfant pour avoir laissé sa petite fille de quatre ans dormir dans la voiture pendant qu’elle faisait une course de quelques minutes. La police l’avait vertement tancée en lui disant : » Une femme au foyer trop occupée à faire les magasins pour prendre soin de ses enfants ! Votre mari sait-il comment vous vous occupez de votre enfant pendant qu’il est à l’extérieur, en train de faire rentrer les gros dollars ? »
Mais les choses changent : en mars dernier, l’Etat de l’Utah a voté une loi qui protège les parents qui élèvent leurs enfants « en liberté » (oui, comme les œufs de poule de plein air). Si l’œuvre des parents consiste à éduquer leurs enfants à la liberté et à la responsabilité, c’est une bonne nouvelle. Parce que les enfants ont « droit au danger », et que seuls leurs parents sont capables d’en jauger le degré et la manière.