Le guêpier centrafricain où la France a mis les pieds est une guerre à la fois civile, étrangère, ethnique et religieuse, un carrefour d’animosités et d’intérêts dans un pays immense, très riche, où tous les groupes humains au sud du Sahara se combattent. Croix et coran s’affrontent en Centrafrique. Par Octave Thibault.
En décembre 2013, après un an d’hésitations, François Hollande a engagé la France dans une nouvelle opération militaire en Afrique, alors que celle au Mali est toujours en cours, au cœur du continent, en Centrafrique. On peut comprendre son souci humanitaire et l’urgence invoquée, du fait de massacres dans la capitale Bangui, qui ont causé des centaines de morts. Mais on doit tenir compte de l’épuisement des moyens de l’armée française, toujours plus sollicités, avec des budgets toujours plus réduits et des matériels toujours plus vieillissants – des véhicules terrestres de transport de troupes VAB des années 1970 par exemple.
2.000 hommes sous-armés peuvent-ils contrôler un pays de 4,5 millions d’habitants plus vaste que la France ?
Surtout, avant même cette difficulté matérielle se pose la question fondamentale de la compréhension du conflit en cours, qui détermine le sens de l’intervention militaire française : ne pas saisir les motifs réels du chaos centrafricains conduirait fatalement à l’échec à terme.
Importance du facteur ethnique
Il semble que le discours officiel du pouvoir socialiste soit toujours aussi déconnecté des réalités africaine : à l’en croire il faudrait simplement rétablir la démocratie, troublée par des bandits armés. Les ravages de groupes relevant du pur brigandage, dits localement « coupeurs de routes », présents depuis au moins une décennie, et étendant leur ravage dans la confusion récente, sont indéniables. Pourtant la Centrafrique, loin d’une situation structurelle d’une citoyenneté reconnue par tous et apaisée, reste un regroupement un peu artificiel d’ethnies qui s’estiment peu.
Les travaux de l’africaniste Bernard Lugan rappelant depuis les années 1970 le rôle fondamental de la réalité ethnique en Afrique ne sont pas à ignorer, ou pire à rejeter délibérément par idéologie universaliste comme c’est le cas à Paris. S’opposent en particulier les ethnies méridionale de la forêt dense équatoriale, celles centrales de la savane arborée, celles septentrionales et orientales de la savane claire ; les deux premières cohabitent depuis longtemps dans le cadre de la Centrafrique, usent d’un idiome de communication commun, le sango, contrairement aux dernières, perçues comme étrangères, culturellement soudanaises, ce qui n’est d’ailleurs pas faux.
L’islam, « religion de Satan »
Au-delà des oppositions entre ethnies, très réelles et facilement violentes, il faut compter avec le facteur religieux. Il est fondamental en Centrafrique, ce que ne peut ou ne veut absolument pas percevoir l’athée Hollande. Le pays est aujourd’hui chrétien, à plus de 80%, divisé certes entre catholiques, moins de 40%, et moult obédiences protestantes, plus de 40%, rattachées souvent aux mouvements baptistes ou évangélistes américains, ou appartenant à des communautés chrétiennes africaines totalement autonomes, développant un messianisme noir très populaire – suivant la logique du mouvement célèbre du kimbanguisme dans le Congo voisin.
Du fait du caractère extrême, et peu compréhensible pour les simples fidèles, des divisions entre chrétiens, et singulièrement entre protestants, existe un panchristianisme de base très étendu, qui considère comme fondamental d’être chrétien, indépendamment de la confession. Il proclame des origines très anciennes de la christianisation, remontée au VIème siècle, suivant une filiation mythique avec des royaumes de Haute-Nubie ou du Kanem – bassin du Lac Tchad -, effectivement anciennement convertis au christianisme, dans sa variante égyptienne, monophysite ; ce christianisme africain médiéval, authentique, n’a très vraisemblablement jamais pénétré réellement en Centrafrique, sinon tout au plus dans les marges aujourd’hui paradoxalement islamisées, comme ces anciennes chrétientés soudanaises détruites du XIème au XVIème siècle par l’islam guerrier.
L’origine réelle, volontairement niée, de ce christianisme dominant est en fait la colonisation française, des années 1890 à 1960, avec une conversion massive et poursuivie depuis de populations auparavant totalement animistes, suivant des systèmes de croyances traditionnelles en voie de disparition, ou d’hybridation avec le christianisme ou l’islam. Ce panchristianisme s’oppose violemment aux 10% de musulmans du pays. L’Islam est considéré comme une « religion de Satan ». Cette opinion répandue s’oppose radicalement au dialogue interreligieux à la post-Vatican II, que tente de suivre le clergé catholique local.
L’étranger est musulman
En outre, les musulmans, présents surtout aux marges septentrionales et orientales de la Centrafrique donc, sont souvent considérés dans le reste de la Centrafrique comme les descendants des chasseurs d’esclave du XIXème siècle, qui ont causé des ravages considérables dans les populations visées. A quoi s’ajoute le fait que 80% des forces de la coalition SELEKA, armée qui a balayé les faibles troupes centrafricaines de novembre 2013 à mars 2014, ont été constituées par des mercenaires soudanais ou tchadiens pratiquement tous musulmans, et très antichrétiens. Ils ont été suivis par des installations de civils musulmans venus de ces mêmes pays, ou de Peuls du Nord du Cameroun, rejoignant des communautés ethniques et religieuses musulmanes présentes sur place depuis des décennies, et tous désormais exposés à des représailles.
Le conflit actuel s’explique ainsi fondamentalement par la réaction des populations centrafricaines face à ce qui est perçu comme une invasion musulmane et étrangère. Les milices centrafricaines opposées à la SELEKA expriment par la bouche de leurs combattants leurs aspirations, retransmises parfois à la télévision française, étonnamment : « nous, on va tuer tous les musulmans ». Cette réaction défensive de chrétienté envahie rappelle un peu les croisades médiévales, chose absolument incompréhensible ou épouvantail absolu pour les dirigeants socialistes français actuels. Pour les combattants de base, croix et coran s’affrontent en Centrafrique. La cécité volontaire de ceux-ci, leur discours surréaliste sur la « démocratie » et la « réconciliation », n’augurent rien de bon pour l’avenir, que ce soit pour la stabilisation durable de la Centrafrique, ou pour la vie de nos soldats.