Le Dalai Lama est un chouchou des médias : il incarne à leurs yeux une sagesse bienveillante, écologique et non dogmatique, et sert ainsi à diffuser sans douleur l’idéologie mondialiste. En affirmant qu’il y a trop de migrants en Europe, il a provoqué une véritable révolution chez ses laudateurs, qui se sentent trahis.
Le Dalai Lama a tout pour plaire aux bobos d’Europe et d’Amérique. C’est un océan de sagesse, son nom l’indique, et c’est un immigré : avec cent mille autres migrants tibétains, il a fui la répression chinoise de 1959 pour s’installer en Inde à Dharamsala. Il a publié quatre livres en France, dont Entretiens avec des scientifiques sur la nature de l’esprit et Au-delà des dogmes. Et les amateurs de sagesse en conserve se ruent avec délices sur ses 365 citations où il célèbre les animaux, l’écologie, le vivre ensemble, la maîtrise de soi, l’amour universel etc. Le tout en d’indéboulonnables lapalissades. Ancien chef de l’Etat théocratique tibétain, il a renoncé à sa charge en 2011 après cinquante deux ans d’exil, pour remettre le destin de son peuple à la démocratie laïque. Dans le drapeau arc en ciel qui flotte sur toutes les marches de la fierté de l’homme nouveau, la robe safran et pourpre du bouddhisme lamaïque a une place de choix.
Le Dalai Lama et son train de tolérance
Le Dalai Lama dispose pour la France d’un interprète attitré, Matthieu Ricard, fils du journaliste Jean François Revel, docteur en génétique, et moine bouddhiste de rite tibétain. Cet « agnostique » est l’adepte décidé d’une sorte de panthéisme scientiste couplé au culte de la « compassion » destiné à évincer la Charité. Il fait partie du Mind and Life Institute qui étudie notamment l’effet des exercices bouddhiques sur le cerveau, dans ce qu’il nomme les « neurosciences contemplatives ». Lanceur d’alerte d’un prétendu « zoocide », ennemi de la consommation de viande, il a écrit toutes sortes de plaidoyers, pour le bonheur, pour l’altruisme, pour les animaux. Ce proche du Dalai Lama et de Jane Goodall, l’éthologue britannique qui gomme la frontière entre l’être humain et ses « cousins » singes au point de s’apitoyer plus sur les gorilles que sur les enfants, est un écologiste militant partisan de la décroissance.
Pour lui, le bouddhisme est une manière d’abolir la civilisation occidentale, ses interdits, ses dogmes, au profit d’une sagesse mondialiste du vivre ensemble, qu’il a décrite dans un livre écrit à six mains avec le psychiatre Christophe André et l’essayiste Alexandre Jollien, Trois amis en quête de sagesse. Il se situe à l’opposé de la doctrine chrétienne. Il approuve son maître le Dalai Lama lorsque celui-ci affirme que « la religion est un choix personnel et que la moitié de l’humanité n’en pratique d’ailleurs aucune mais qu’en revanche les valeurs d’amour, de tolérance, de compassion prônées par le bouddhisme concernent tous les humains et que cultiver ces valeurs n’a rien à voir avec le fait d’être croyant ou non ».
Trop de migrants en Europe : le coup de tonnerre
Cette religiosité soft, ce panthéisme sans dogme, convenait très bien au projet mondialiste, et, tout récemment encore, un Matthieu Ricard a été instrumentalisé contre l’identité française et le Front national à l’occasion de la parution de son dernier livre. Mais voilà que le Dalai Lama vient de donner à Till Fähnders, correspondant pour l’Asie du Sud-Est de la Frankfurter Allgemeine Zeitung un entretien choc. « Il y en a trop à présent », dit-il, en parlant des migrants. Une opinion en opposition radicale avec celle que Matthieu Ricard avait donnée au journal le Monde le dix décembre 2015 : « Aujourd’hui, si on recevait 3 millions de migrants en Europe, cela correspondrait à 0,2 % de la population. Quand il y aura 250 millions de réfugiés climatiques qui fuiront pour survivre, une bonne partie arrivera ici. »
Aussitôt les grands médias se sont trouvés gênés, coincés entre l’habitude et l’obligation de dire du bien du Dalai Lama, grande figure de la sagesse mondialiste, syncrétiste et adogmatique, et le côté « inacceptable », à la limite du « nauséabond » de sa prise de position. D’où toute une rhétorique sur ses réponses « maladroites » (Le Monde), une « stratégie de communication imparfaite « (L’Express, La libre Belgique) que l’on suggère dues à son grand âge (« ces dernières années »).
La morale veut que les migrants remigrent
Cette rhétorique ne sert qu’à rassurer le lecteur pressé de la grande presse et n’a nulle valeur, puisque le Dalai Lama a pris soin de préciser d’une part que l’excès de migrants en Europe menaçait l’identité de celle-ci : « L’Europe, l’Allemagne en particulier, ne peut pas devenir un pays arabe, l’Allemagne est l’Allemagne ». Ce qui, une fois écartées les approximations propres à un moine asiatique, ne manque pas d’un certain bon sens. Le Dalai Lama s’est également astreint à regarder les choses de plus haut, et de plus près, étant lui-même migrant : « D’un point de vue moral aussi, je pense que les réfugiés ne devraient être admis que temporairement. L’objectif devrait être qu’ils retournent dans leur pays pour aider à sa reconstruction. »
Cette position rappelle le verset de l’Exode que citait Benoît XVI, comme quoi il ne faut pas maltraiter le migrant, parce qu’on en fut un soi-même, que la migration forcée est un mal et la remigration le bien, que le mal (incarné dans la Bible par Pharaon) veut injustement empêcher. Elle s’oppose à la vulgate mondialiste, aux documents de l’ONU préconisant l’immigration de peuplement en Europe, et aux déclarations du pape François sur l’accueil sans limite des migrants. La question est : pourquoi ce changement de pied, qui a provoqué dans le landernau des initiés une petite révolution ? Comment se fait-il que les autorités morales, qui jusqu’à présent sont apparues toujours soudées sur cette question, comme le prouvent les déclarations communes des hiérarchies catholique, protestante, juive et maçonne de France contre le Front national depuis les années quatre-vingt, comment se fait-il qu’elles divergent aujourd’hui ?
Géopolitique tibétaine et révolution chinoise
On peut penser que la réponse tient plus à la géopolitique tibétaine qu’au souci de l’Europe. Le Tibet, quoique différant par la culture, la religion et la langue de la Chine, fait partie de l’Empire du milieu depuis les Mandchous, et seule la faiblesse de Pékin lui a fait croire à l’indépendance entre 1912 et l’avènement du communisme. Depuis, celui-ci a mis la main sur ce réservoir d’eau avec une férocité que n’avait atteint nul autocrate, mis fin à toute autonomie et envoyé vers Lhassa de nombreuses cohortes de migrants, militaires ou non. Il est possible que pour l’émigré Dalai Lama l’immigré Chinois soit l’ennemi, et qu’au soir de sa vie, délié de toute obligation diplomatique, il le dise. Telle serait la racine de sa conception de la crise des migrants. Milite à cela le refus récent du pape François de recevoir le Dalai Lama, un refus qui a provoqué l’approbation bruyante de Pékin, avec qui le Vatican entretient des relations toutes nouvelles et excellentes, au point de laisser tomber l’Eglise persécutée et de privilégier l’Eglise liée au régime communiste. Dans le conflit sino-tibétain, Obama a choisi le Dalai Lama, et le pape Pékin.
Amour, islam et billard à bandes mondialiste
Mais il peut aussi s’agir d’une manœuvre à trois bandes du Dalai Lama. Il ne faut pas oublier qu’un grand nombre de Tibétains l’accusent d’être un traître à leur cause, et d’avoir permis, en s’en tenant à la non violence absolue, la sinisation galopante du Tibet. Quoi qu’il en soit, les déclarations à la Frankfurter Allgemeine Zeitung ne remettent pas en cause l’engagement dans la révolution mondialiste du Dalai Lama et du bouddhisme qu’il représente. Matthieu Ricard a assisté au séminaire de Davos en janvier de cette année pour y rencontrer longuement Melinda Gates, l’épouse de Bill, pour un joli cocktail d’humanitaire et de recherche transhumaniste. Et le Dalai Lama, dans le corps même de son entretien avec Till Fähnders, a tenu ce propos caractéristiques : « Nous trouvons aussi des individus mauvais parmi les bouddhistes, les chrétiens, les juifs et les hindous (…) Dans toutes les religions, y compris l’islam, le message central est l’amour. »
Dalai Lama, migrants, deux agents de la révolution
Sous couleur de bon sens et en apparence pour éviter tout amalgame indu, deux messages passent ici. Le premier, l’islam est une religion comme les autres, ce n’est pas à bon droit que l’Europe s’en défierait, ou le combattrait. Et le deuxième est encore plus important, il renvoie à la pensée constante du Dalai Lama : « l’amour » est la religion de l’humanité, sans considération de dogme. C’est le credo même de l’humanisme maçon. Celui qui essaie de s’immiscer dans l’Eglise catholique, mais qui y rencontre parfois des oppositions dures, tant est grande la résilience de cette institution déroutante aux yeux du monde. Aussi peut-on imaginer un autre mobile à la manœuvre en cours : le pape François ayant désarçonné un grand nombre de fidèles, en Europe mais pas seulement, avec ses propos sur la famille et les migrants, une déclaration « de bon sens » sur ces mêmes migrants de la part du Dalai Lama serait propre à lui rallier la sympathie de bien des gens. Au profit, paradoxalement, de ce bouddhisme gentil, écologique, éclairé, adogmatique. C’est-à-dire que la maçonnerie mondialiste se servirait provisoirement et à la marge d’une thématique identitaire pour mieux accabler sa vieille et seule ennemie, l’Eglise catholique. Afin de mieux digérer à terme l’Europe que le Dalai Lama prétend protéger, peut-être sincèrement, peut-être pas, Dieu seul le sait, des migrants.