Ecossais naturalisé américain, professeur d’économétrie à Bristol puis d’économie internationale à Princeton, Angus Deaton est une sommité reconnue dans le monde entier et bien vue dans le camp progressiste, qu’on opposait volontiers à Milton Friedmann. Prix Nobel en 2015 pour ses travaux sur la pauvreté, il prônait à la fois le libre-échange et l’immigration sans frein pour la réduire, et il fut en 2017 l’un des 25 lauréats du Prix Nobel à signer une tribune dans le Monde contre le programme de Marine Le Pen. Or il vient de virer sa cuti dans un message adressé au FMI : il condamne immigration et libre échange sans frein au nom de la défense des pauvres et de la réduction des inégalités.
Le mea culpa d’un Nobel d’économie
Ce spécialiste de la micro-économie vient de s’apercevoir que les « migrations », particulièrement l’immigration, et le libre-échange non régulé entrainent pour les gens ordinaires d’énormes coûts non détectés. Il fait officiellement son mea culpa : « J’ai souscrit à ce qui est presque un consensus chez les économistes, à savoir que l’immigration en Amérique était une bonne chose. Mais une analyse à plus long terme sur un siècle et demi nous raconte une histoire différente. L’inégalité était forte quand l’Amérique était ouverte, beaucoup plus faible quand les frontières étaient fermées (à l’immigration), et a crû à nouveau après l’Immigration and Nationality Act de 1965, quand la proportion de gens nés à l’étranger est remontée vers ses niveaux du Gilded Age » (1865 – 1900).
Pour Deaton l’immigration lèse les pauvres
Poursuivant à propos du libre-échange, il écrit : « De même je ne défends plus l’idée que le mal qu’a fait la mondialisation aux travailleurs américains était un raisonnable prix à payer pour réduire la pauvreté globale, sous prétexte que les travailleurs en Amérique seraient dans une bien meilleure situation que le pauvre moyen dans le monde. (…) J’ai aussi sérieusement sous-estimé l’incidence de mes opinions morales sur mon analyse des ajustements à faire entre travailleurs nationaux et étrangers. Nous avons certainement un devoir d’aider ceux qui sont dans la détresse, mais nous avons des obligations en plus vis-à-vis de nos concitoyens. » C’est une profession de foi en la préférence nationale, ce qui est piquant pour quelqu’un qui a publiquement critiqué Marine Le Pen. Ce qui est encore plus piquant est qu’il se place d’un point de vue de gauche, opposée à la fois au libéralisme économique et à l’internationalisme mondialiste : un point de vue social et national, liant protection des frontières et défense des plus fragiles.
Quand le Nobel se demande à quoi sert l’économie
Il affirme ainsi le bénéfice que les plus pauvres, les Noirs en particulier, ont tiré de la limitation de l’immigration entre 1925 et les années 80 : « Il a aussi été relevé d’une manière plausible que la Grande Migration interne d’Afro-américains du sud rural vers les usines du nord n’aurait pas eu lieu si les industriels avaient eu la possibilité de choisir les migrants européens qu’ils préféraient. » En bon interventionniste réducteur d’inégalités, il cite Keynes, et pose que d’autres qualités que l’efficacité sont à prendre en compte dans l’économie. « L’accent que nous mettons sur les vertus des marchés libres et compétitifs, et sur le progrès technique exogène peut nous faire oublier l’importance qu’il y a à fixer prix et salaires, choisir la direction du progrès technique, ou influencer les politiques nécessaires à changer les règles du jeu. » Que l’on partage ou non ces opinions, on constatera que le pape de la micro-économie de distribution s’est enfin aperçu des dangers du laisser passer des biens et personnes : l’immigration et le libre échange à tout va ne sont plus son credo.