Le colloque de l’Eglise de France sur la liturgie : Desiderio Desideravi contre la messe traditionnelle

Desiderio Desideravi messe traditionnelle
Quelques dizaines de manifestants sont venus réclamer
leurs droits à la messe codifiée par saint Pie V


La semaine dernière s’est tenu à la paroisse Saint-Honoré-d’Eylau, à Paris, un colloque organisé par le Service national de pastorale liturgique et sacramentelle (SNPLS) de la Conférence des évêques de France sous le signe de la Lettre apostolique du pape François, Desiderio Desideravi, par lequel il appelait il y a un an les catholiques à se former à la liturgie pour mieux la comprendre, la célébrer, et en tirer profit. Derrière cet objectif fortement affiché se tenait en embuscade celui de restreindre le plus possible l’accès à la messe traditionnelle, provoquant dits et non-dits dont le dénominateur commun était bien l’hostilité à une forme de célébration de la Messe qu’on a voulu présenter comme trop centré sur le désir et l’individualisme, voire le « pélagianisme » et le gnosticisme de ceux qui y sont attachés.

Organisé sous la houlette de Monseigneur de Kerimel, qui s’est notamment distingué en bannissant le port de la soutane pour les séminaristes non diacres dans son diocèse de Toulouse, la rencontre a revêtu une certaine importance pour l’Eglise universelle dans la mesure où il devait accueillir de cardinal Arthur Roche, préfet du dicastère pour le culte divin et la discipline des sacrements. C’est pour des raisons de santé que le cardinal n’a pas fait le voyage de Paris – du moins est-ce ce qui nous a été annoncé – mais il a été remplacé par le secrétaire du dicastère, Mgr Vittorio Francesco Viola, OFM, grand admirateur du cardinal Bugnini au point de porter son anneau épiscopal.

 

La peur des promoteurs de Desiderio Desideravi

Peut-être ce petit monde a-t-il peur, en France en tout cas, des réactions d’une communauté traditionnelle jeune et dynamique. Quelques dizaines de manifestants sont d’ailleurs venus réclamer leurs droits à la messe codifiée par saint Pie V en déployant sur le parvis de Saint-Honoré-d’Eylau une banderole avec les mots « Non à la guerre liturgique » au moment où tous les participants se retrouvaient le mercredi pour la messe du soir présidé par Mgr Viola. A peine leur présence décelée, et bien qu’ils ne fassent pas le moindre bruit ni ne menacent d’aucun comportement déplacé la célébration de l’office, des bedeaux sont venus fermer les cinq lourdes portes en bois de la façade de l’église. Tout un symbole, mais il n’est pas nouveau : ceux qui réclament « la messe de toujours », on les enferme dehors, comme les pèlerins de Chartres lors des premiers pèlerinages de chrétienté dans les années 1980.

Derrière les murs des salles paroissiales de Saint-Honoré, la jeunesse et le dynamisme n’étaient pas franchement au rendez-vous : quelques jeunes prêtres venus de toute la France côtoyaient une majorité de baby-boomers, la soixantaine et plus, ordonnés ou non, venus discourir de « liturgie, musique et art sacré, la grâce d’une alliance pour servir la vie spirituelle ».

Sans aucun doute, la principale intervention était celle du Franciscain archevêque, Vittorio Viola, qui dans un discours non exempt d’une certaine grandeur, tout imprégné de la conscience de l’amour infini de Dieu qui va jusqu’à se donner en nourriture aux hommes, a dénoncé l’attachement durable à la messe traditionnelle tout en prétendant justifier théologiquement l’imposition du rite réformé comme « unique rite romain ».

 

Malhonnêteté au sujet de la messe traditionnelle

Pour ce faire il s’est notamment appuyé sur la bulle Quo Primum du saint pape du XVIe siècle, en rappelant que saint Pie V avec écrit : « De même que dans l’Eglise de Dieu il n’y a qu’une manière de psalmodier, de même il est suprêmement convenable qu’il n’y ait qu’un seul rite pour célébrer la messe ».

Sur le premier point, le déroulement du colloque allait lui apporter une contradiction immédiate, puisque les laudes récitées en commun par les participants étaient chantées en français et selon la « psalmodie » hautement irritante qui est celle des communautés modernes.

Pour le deuxième point – l’unicité du rite romain – Mgr Viola oublia opportunément la nuance qui avait été aussitôt apportée par le pape Pie V, permettant la poursuite de la célébration de rites célébrés régulièrement « depuis deux cents ans au moins ». Il ne mentionna pas davantage la validité « à perpétuité » du rite qu’il venait de codifier non en apportant des changements majeurs comme l’a fait celui de Paul VI mais en unifiant des pratiques immémoriales.

L’idée du colloque était notamment de donner aux curés de paroisse et autres agents liturgiques des outils pour attirer un public qui se plaint de la messe de Paul VI, en ancrant tout cela solidement dans un retour aux sources conciliaires, par le jeu d’un va et vient entre Sacrosanctum Concilium et Lumen Gentium.

 

Méditation contre arguments, ou l’art de brouiller les pistes

Rien de très précis, cependant : il s’agissait de proposer une méditation sur la liturgie en renvoyant les gens à l’étude de ces textes chez eux. C’est « la vision de l’Eglise » qu’il faut considérer, et qui doit s’imposer alors que l’attrait de la messe traditionnelle pour les jeunes désespère la génération précédente tout acquise à l’approche de Vatican II. Mais tout cela fut fait en évitant d’aller dans le dur : pas d’arguments, pas de raisonnements, et même un certain art de l’esquive face aux questions sur la préférence de tant de jeunes pour l’ancienne liturgie.

Mgr Viola a résumé cela ainsi, en évoquant Desiderio Desideravi : « Dans un langage presque narratif, DD nous rappelle tout d’abord ce qu’est la liturgie d’un point de vue théologique. La liturgie est l’aujourd’hui de l’histoire du salut, le lieu de la rencontre avec le Christ ; elle a pour sujet l’Eglise, Corps du Christ ; elle est l’antidote à la mondanité spirituelle alimentée par le gnosticisme et le néo-pélagianisme ; elle ne peut être réduite à l’esthétisme, au rubricisme ou à un fonctionnalisme superficiel ; elle suscite un véritable émerveillement devant le mystère pascal. »

On devine ici les critiques adressées au fidèle fréquentant la messe traditionnelle, et on comprend surtout que rien n’a changé depuis Vatican II : c’est toujours la dialectique du « mystère pascal » artificiellement opposé à la vérité sacrificielle de la messe où notre Seigneur renouvelle de manière non sanglante sa Passion et sa mort sur la Croix.

En se focalisant longuement sur une phrase du Christ : « J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir », Mgr Viola a certes rappelé des aspects essentiels de la célébration eucharistique, mais il est passé à côté de la dimension propitiatoire du sacrifice, ainsi que du devoir de l’homme de rendre à Dieu un culte qui lui est dû et qui lui plaît.

Tout comme les fins du mariage ont été inversées ou privées de leur importance hiérarchique dans leur présentation moderne – le mariage n’est plus présenté comme ayant pour première fin la procréation et l’agrandissement du genre humain – ce sont ici les fins de la liturgie qui apparaissent brouillées, la messe étant d’abord présentée comme une manifestation de l’amour trinitaire, ce qu’elle est en effet, mais sans le rappel clair de sa fin première exprimée par Pie XII dans Mediator Dei : « le culte et l’hommage dus à l’unique et vrai Dieu ».

L’importance du « peuple de Dieu », objet de cet amour, ne peut qu’en être exacerbée. C’est sans doute pourquoi on a entendu à plusieurs reprises lors d’autres interventions au cours de ce colloque parler d’un certain émerveillement devant l’assemblée qui participe à la célébration autour du ministre sacramentel. Mgr Viola lui-même insista lors d’une session de questions-réponses sur les différentes formes de « présence » du Christ, notamment celle « au milieu de l’assemblée », sans les hiérarchiser. Les derniers mots du P. Sébastien Guiziou, clôturant la rencontre par une synthèse, se situent dans cette logique : grâce à Desiderio Desideravi, dit-il, il a pu « apprendre à contempler l’assemblée en prière ».

 

La « réforme de la réforme », c’est fini

Bref, on comprend mieux la phrase de Mgr Viola rejetant explicitement toute idée de « réforme de la réforme » qui fut celle de Benoît XVI : pour lui, la réforme de la liturgie est encore inachevée et doit se faire selon les documents conciliaires, sans laisser de place à un retour à l’usus antiquior dont il dénonce à mots couverts le « rubricisme ».

S’il fallait un autre exemple de cette espèce de fuite en avant, on pourrait citer d’autres interventions à ce colloque, mais deux épisodes très parlants en fournissent déjà une image hélas bien réaliste. Le premier réunissait deux intervenants du diocèse de Strasbourg venus parler de la « liturgie inclusive » – inclusive pour les handicapés et notamment les handicapés mentaux. On notera d’abord la volonté d’adapter la célébration de la Messe au niveau de ceux qui y participent, au lieu de la considérer selon sa fonction et sa grandeur propre. L’illustration musicale évoquée pour illustrer cette intervention était tirée du compositeur avant-gardiste John Cage et ses 4’33″ de silence pour piano, ainsi qu’un concert du même qui doit s’étirer sur 639 ans à Halberstadt, sans que l’on comprenne pourquoi.

Le deuxième épisode montre à quel point l’approche de la liturgie est devenue subjective, snob, tyrannique. Il s’agissait d’un atelier organisé sur le thème de l’art sacré dans les églises, avec des représentants et représentantes de commissions d’art sacré diocésaines, où l’on se lamenta de la difficulté de faire accepter des œuvres d’art contemporain, combattues avec force par des curés ringards, des donateurs trop accrochés à une esthétique XIXe, des communautés religieuses incapables de se départir de leur goût pour des œuvres désuètes. A aucun moment il ne fut question des règles qui doivent s’imposer aux œuvres d’art accueillies dans l’église pour soutenir la liturgie, mais de trouver des moyens de persuader les braves paroissiens d’accepter l’art contemporain, fût-il un peu canalisé dans un sens religieux.

Le drame est bien là : en ôtant Dieu de la première place, on ne fait même pas quelque chose qui plaît au grand nombre – tant d’églises vides en sont les terribles témoins –, on impose au contraire au plus grand nombre un soi-disant ars celebrandi dont ils ne veulent pas.

 

Jeanne Smits