Destin de donneur de sperme : « Sans enfant, j’en ai finalement découvert 37 »

donneur sperme enfant 37
 

C’est un article du Telegraph qui nous raconte l’improbable destinée de ce metteur en scène américain qui n’a jamais élevé lui-même aucun enfant et se retrouve contacté par l’un de ses multiples rejetons non projetés. De fil en aiguille, ou plutôt en seringue, l’ancien donneur de sperme fait la découverte heureuse et amusée de sa nombreuse progéniture où il découvre ses traits, son amour de la littérature ou son entêtement… Le type même de la petite histoire qu’on nous vend comme merveilleuse alors qu’elle est, en réalité, totalement ubuesque et fondamentalement monstrueuse, au sens originel du terme, c’est-à-dire contraire à l’ordre naturel des choses.

Si le don de sperme, aujourd’hui, se « réglemente » en Europe et ailleurs, il se démocratise par la même voie, et pousse les gens, qui plus est, vers d’autres pratiques comme les inséminations artisanales tous azimuts. Enfants de personne et de tout le monde : la filiation se dissout. L’expression « citoyen du monde » n’aura jamais été aussi vraie.

 

Au moins 37 enfants sur toute la planète

Il était une fois, à Los Angeles, à la fin des années 1980, un petit producteur de théâtre et directeur artistique qui peinait à joindre les deux bouts. Il trouva alors un bon plan, consistant à visiter régulièrement des banques de sperme : « On me donnait au moins 45 $ par don, jusqu’à cinq fois par semaine. En cinq ou six ans, j’ai dû faire des centaines de dons, ce qui m’a permis de réaliser mon rêve de créer une compagnie de théâtre. » Des enfants conçus par un besoin d’argent et non par un besoin d’amour… quel glamour que cette nouvelle procréation transactionnelle.

Et Peter Ellenstein a d’ailleurs vite oublié ! La clinique l’avait assuré que les dons étaient anonymes, même s’il a accepté de pouvoir être contacté en cas d’urgence médicale (greffe de moelle osseuse ou autre). Il a donc continué sa vie comme si de rien n’était, se mariant sur le tard à 48 ans et n’attendant plus rien, surtout pas des descendants.

Mais une prise de contact par Facebook fait basculer sa vie en 2017 : une certaine Rachel lui apprend qu’elle est née en 1994 grâce à une fécondation in vitro et qu’elle a de sérieuses raisons de penser qu’il est le donneur.

 

Une paternité à retardement qui laisse pantois

La banque de sperme, immédiatement contactée, lui soutient qu’elle n’a révélé son identité à personne, mais que d’autres détails le concernant ont été divulgués comme sa date de naissance, sa taille, son poids, sa carrière dans le monde du spectacle… Le personnage n’était guère difficile à retrouver.

Et Rachel lui fait rencontrer peu à peu le reste de cette filiation biologique qui s’est faite sans lui. Elle avait retrouvé onze autres enfants qui s’étaient tous connectés via le registre des frères et sœurs des donneurs et la société d’ascendance ADN 23andMe. Aujourd’hui, Peter Ellenstein a 37 enfants à sa connaissance – il peut en avoir bien plus ! – et en a rencontré 34.

« Fascination », « émotion »… le vrai-faux père ne craint pas de montrer ces sentiments qui l’assaillent, comme quoi connaître qu’on est père n’est pas rien… « A partir du moment où j’ai croisé les yeux de Rachel – des yeux qui étaient les mêmes que les miens – je n’ai pu penser à rien d’autre. Je voulais la connaître : elle m’a ouvert une partie différente de mon cœur et de mon cerveau qui n’existait pas auparavant, une façon d’être au monde que je n’avais jamais envisagée auparavant. »

Touchant témoignage ? Il rend pour le moins perplexe et songeur quant à la capacité humaine de s’excuser de tout et de trouver encore à une situation plus que bancale des points positifs. « J’ai décidé que je resterais ouvert à tout ce que chacun voulait. » Mais une paternité à retardement est-elle seulement une paternité ? « Mes enfants sont désormais devenus la chose la plus importante de ma vie », déclare-t-il. Il va les voir aux quatre coins de la planète, leur prête de l’argent, les aide professionnellement, y prend un plaisir rare…

Il y a à la fois, dans ce témoignage, une ode sincère à la paternité, et une inconscience absolue du mal, du déséquilibre profond qu’il a pu engendrer, de l’irresponsabilité totale qui a été la sienne. Il se dit d’ailleurs à un moment « un peu gêné » face aux mères et aux pères non biologiques de ces enfants dont il refuse de se dire le « parent ». Qu’est-il donc, au bout du compte ? Il se veut vecteur d’« une force positive », mais il n’est qu’un miroir chromosomique.

 

Les donneurs de sperme sur le devant de la scène

Les deux premières banques de sperme, nous rappelle Wikipédia, ont été ouvertes à Iowa City aux Etats-Unis et à Tokyo au Japon, en 1964. Depuis, elles se sont multipliées (le lobby LGBT n’y est pas pour rien) et si les conditions sont davantage réglementées comme les limitations à un certain nombre d’enfants par donneur (6 en Espagne, 10 en France…), il n’y a pas de fichier centralisé des donneurs dont l’anonymat est de plus en plus critiqué et écarté. Et certains donnent donc beaucoup et partout, mus soit par l’argent, comme outre-Atlantique, soit par un sentiment de puissance humanitaire légèrement dévoyé…

Aujourd’hui, aux Etats-Unis, la banque de sperme représente un important marché, estimé en 2018 à quatre milliards de dollars. Il faut savoir que le flacon d’un donneur peut coûter près de 1.000 dollars, via les grandes banques de sperme, tandis que sur Tinder ou encore TikTok, pullulent les propositions de dons de sperme artisanaux pour environ 135 dollars…

Pour ce qui est du service après-vente, les scandales de « fraude à la fertilité » sont de plus en plus nombreux, les banques de sperme omettant parfois certains antécédents médicaux familiaux regrettables, et les nouveaux parents poursuivent en justice ceux qui ont concouru à la naissance de leur enfant et leur ont légué leurs maladies génétiques beaucoup moins excusables en ce qu’elles ne sont pas les leurs. L’eugénisme pointe le bout de son nez et plus encore. Ce mois-ci la banque de sperme de Londres vient de lancer « Order a Daddy » (« commandez un papa »), une application qui permet de choisir son donneur de sperme, en fonction de caractéristiques pré-cochées. Cette « grande aventure médicale et humaine », comme titrait un article de la revue en ligne lepraticien.fr, risque bien d’y sombrer.

 

Clémentine Jallais