L’iconoclasme du XXIe siècle a pour motif l’antiracisme et la lutte contre l’exclusion. En Californie, des sœurs dominicaines – les Dominican Sisters of San Rafael – se sont mises d’accord avec la directrice de leur école San Domenico à San Anselmo pour déboulonner des statues religieuses et enlever autres tableaux et icônes afin de rendre l’école plus « inclusive ». De nombreux parents se sont émus de la démarche, qui altère l’identité de cette école fondée en 1850 en tant qu’école indépendante par des religieuses dominicaines. La direction veut aujourd’hui insister sur son identité d’école indépendante.
De fait, 80 % des familles de cette petite ville cossue près de San Francisco qui confient leurs enfants à San Domenico aujourd’hui ne s’identifient pas comme catholiques. Alors que l’école pratique des tarifs prohibitifs – il faut compter 29.850 dollars pour la scolarité d’une année en maternelle, soit plus de 24.000 euros, et 42.825 dollars pour la demi-pension au lycée – les motifs de la remise à la cave de nombre de statues de la Vierge Marie et des saints sont peut-être aussi mercantiles. Même si cela n’empêche pas le syncrétisme religieux, comme nous allons le voir.
San Domenico à San Anselmo sans ses saints
C’est à la suite d’une enquête réalisée par l’institution dans le cadre de la communauté environnante que la directrice de l’école, Cecily Stock, a constaté que San Domenico était « perçue comme une école catholique et pas nécessairement comme une école indépendante ». « Nous voulons nous assurer que les futures familles intéressées sachent que nous sommes une école indépendante », a-t-elle déclaré. Histoire d’attirer le chaland.
L’école, qui couvre l’ensemble des classes depuis la maternelle jusqu’au lycée, compte aujourd’hui 660 élèves, dont 121 pensionnaires en provenance de la Colombie Britannique, de Pékin, Shanghai, Hong Kong, du Mexique, de Corée, de Thaïlande et du Vietnam. Au nombre des religions représentées parmi l’ensemble des jeunes scolarisés : le judaïsme, le bouddhisme, l’hindouisme et l’islam.
Amy Skewes-Cox, présidente du conseil d’administration de l’établissement, résume la situation : « Si vous marchez sur le campus et que la première chose qui vous saute aux yeux, c’est trois ou quatre statues de saint Dominique et de saint François, cela peut agir comme repoussoir pour cette autre religion, et nous ne voulons pas accentuer ce sentiment. » Et d’ajouter que la mise au rebut des statues est « en complète conformité » avec le nouveau plan stratégique de l’école adoptée à l’unanimité par le conseil et par les religieuses de San Domenico. Sur les quelque180 statues et images religieuses qui se trouvaient sur le campus, il en reste aujourd’hui 18, dont la statue de saint Dominique au centre de la propriété. Largement suffisant, donc… Son seul regret, c’est que l’affaire se soit produite au moment des troubles à Charlottesville à propos de l’enlèvement de la statue du général Robert E. Lee : les deux affaires sont selon elles « totalement différentes » et « Il n’y a absolument aucun lien en dehors du fait qu’il s’agit d’un changement et que les gens ont toujours des difficultés à accepter le changement ».
L’école catholique de Californie qui enlève les statues de la Vierge pour être plus inclusive
Un changement de taille : cette école catholique affiche désormais un énoncé de mission d’où le mot catholique est exclu, tandis que les sacrements ne sont plus proposés dans le cadre scolaire, il n’y a plus d’enseignement du catéchisme mais une initiation aux religions du monde, et aussi bien les logos que l’uniforme ont été modifiés pour paraître moins catholiques. C’est l’inclusion pour tous, sauf les catholiques !
Beaucoup d’anciens parents se sont plaints, y compris certains qui ne partagent pas la foi catholique. C’est ce que note Kim Pipki, dont la fille a quitté l’établissement il y a deux ans : « La statue principale dont la disparition a provoqué la colère est celle d’une Vierge à l’enfant au centre de la cour de l’école primaire. » Tous les ans, les petits élèves participaient au couronnement de la statue, ce qui finalement ne gênait pas les non catholiques. Celle-ci commente par exemple : « Il était moins question de Dieu que de la transmission de traditions. Les gens ont été choqués de savoir que les statues avaient été jetées à la cave. »
Les dominicaines sont au contraire à l’aise par rapport au cours des choses. La sœur Maureen McInerney, prieure générale, estime que tout se passe bien même si elle se refuse à aller tout surveiller dans les détails : « San Domenico est une école catholique ; elle accueille également des gens de nombreuses croyances. Elle fait l’effort d’être inclusive à l’égard de toutes les croyances », a-t-elle insisté. Le plan stratégique développé l’an dernier vise notamment à « renforcer l’identité de San Domenico en tant qu’école indépendante » en affirmant clairement sa « fondation spirituelle inclusive ».
Pour employer des termes moins gazés, il serait plus exact parler d’apostasie.
L’école inclusive qui ne fait pas d’« endoctrinement théologique »
En tout cas, les jeunes élèves dans cette école hors de prix n’y reçoivent plus la proposition de la foi ni la grâce des sacrements, puisque la préparation à la première confession et à la première communion a été définitivement abandonnée l’an dernier, après une première étape qui a consisté à enseigner le catéchisme après les heures d’école. « Peu de familles étaient intéressées. Je crois que l’an dernier, il y en avait moins de cinq », souligne Cecily Stock, la directrice. « C’était tout simplement plus intelligent de laisser les élèves se préparer à la première communion dans leurs paroisses locales avec un groupe plus important de jeunes. »
Le journaliste commente, admiratif : « Plutôt que d’endoctriner les enfants en théologie catholique, San Domenico assure aux élèves une instruction sur les religions du monde et la philosophie. » La directrice lui avait expliqué : « Il s’agit véritablement de rendre chaque élève autonome en lui donnant l’information afin qu’il puisse découvrir le sens de sa propre vie, sa propre vérité. Nous pensons que le meilleur moyen de comprendre sa propre foi, c’est d’être instruit sur les croyances d’autrui. »
Et pour enfoncer le clou, le directeur du département de la philosophie, de l’éthique et des religions du monde de l’école, Mirza Khan, ajoute : « La philosophie de l’enseignement des dominicains et de ne pas enseigner qu’il n’y a qu’une seule vérité. Elle vise à promouvoir la conversation, à inviter délibérément des participants qui ont des perspectives différentes dans un processus très ouvert d’enquête philosophique et spirituelle. Cela a fait partie depuis fort longtemps de la tradition dominicaine. »
On n’imagine pas rejet plus radical du « charisme » dominicain : Veritas, et Contemplata aliis tradere (communiquer aux autres le fruit de ce qu’on a contemplé).
Il est vrai que Khan est fils et petit-fils d’enseignants soufis en Inde. Qu’il a lui-même assisté un professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem. Et qu’il annonce avoir vu en Israël combien le conflit entre religions peut être « dévastateur ».
L’objectif est donc bien là : en finir avec la vérité, et la remplacer par le sentiment d’être bien ensemble. Aussi l’école s’engage-t-elle à ne pas « discriminer illégalement sur le fondement de la race, de la couleur, de l’origine nationale et/ou ethnique, de l’âge, du genre, de l’orientation et de l’identité sexuelle, du handicap… » Tout un programme dont l’affaire de San Domenico n’est qu’une illustration parmi tant d’autres.