L’Académie française estime que l’écriture inclusive est « un péril mortel » pour la langue française. C’est aussi et surtout une façon pour le féminisme de faire la révolution à travers la grammaire. Au nom de l’égalité homme femme, c’est la matrice de notre pensée qu’on prétend bouleverser.
Pour ceux qu’une semaine de controverse n’aurait pas réveillés, l’écriture inclusive vise selon ses promoteurs à lutter contre les stéréotypes liés aux sexes et les inégalités entre les femmes et les hommes. Elle ne se contente pas de féminiser tous les métiers (écrivaine, ingénieure, procureure, etc ;), mais elle entend changer la grammaire en profondeur (e ?). Parmi les moyens qu’elle met en œuvre figure le point milieu, dont voici un exemple. Converti à l’écriture inclusive, le manuel Hattier pour les élèves de CE2 écrit que « grâce aux agriculteur . rice.s, aux artisan.e.s et aux commerçant.e.s, la Gaule est un pays riche.
Des ministres contre l’écriture inclusive
Suivant les recommandations du Haut Conseil à l’égalité hommes femmes datant de 2015, quelques ministères se mettent doucement à l’écriture inclusive. Sur le site de l’Education nationale, on trouve des « professeur.e.s ». Sur celui de la Santé des « chirurgien.ne.s-dentistes ». Enthousiaste, le Conseil économique et social s’est engagé à ne plus utiliser que l’écriture inclusive.
Tous les ministres ne sont pas convaincus. A l’Education nationale Jean-Michel Blanquer « trouve que ça ajoute une complexité qui n’est pas nécessaire », et à la culture, Françoise Nyssen n’est « vraiment pas pour », notamment pour une raison pratique : « Comment font les enfants dyslexiques pour s’en sortir avec cette écriture-là » ?
Quant à l’Académie française, pour une fois unanime, elle voit dans cette réforme un « péril mortel » pour la lecture et la transmission du français.
Le féminisme complique inutilement la grammaire
« La démultiplication des marques orthographiques et syntaxiques qu’elle (l’écriture inclusive) induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité, écrivent les immortels. On voit mal quel est l’objectif poursuivi et comment il pourrait surmonter les obstacles pratiques d’écriture, de lecture – visuelle ou à voix haute – et de prononciation. Cela alourdirait la tâche des pédagogues. Cela compliquerait plus encore celle des lecteurs. »
Et d’ajouter : « Il est déjà difficile d’acquérir une langue, qu’en sera-t-il si l’usage y ajoute des formes secondes et altérées ? Comment les générations à venir pourront-elles grandir en intimité avec notre patrimoine écrit? »
Trissotin : une façon biscornue de faire la Révolution
Ces appels à la prudence des gardiens de la langue et de la culture, qu’ils siègent quai Conti ou au gouvernement, ont provoqué la colère des femmes savantes et des précieuses du féminisme pour qui la grammaire est le moyen d’une révolution sociétale. Eliane Viennot, professeur(e ?) émérite de littérature française et auteur (trice ?) de Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin, s’est fendue d’un billet vengeur dans Libération intitulé sobrement : Débranchons l’Académie française.
Ce Trissotin en jupons prétend justifier son féminisme militant par sa science de l’histoire de la langue. Elle reproche aux académiciens leur « incompétence », leur « ignorance en matière de langue », leur « confusion », leur « arrogance ». Dans une interview au Point, elle développe l’argument en faisant étalage de sa propre connaissance du français. Elle entend « juste renouer avec des règles grammaticales qui ont existé par le passé ». Et de citer, par exemple, l’accord de proximité, hérité du latin, dont le Grand Siècle ne se privait pas (Athalie IV, 1: « Armez-vous d’un courage et d’une foi nouvelle »). Mais cet étalage d’érudition ne règle rien : on peut apprécier tel vers de Racine et constater que la règle de grammaire a évolué. La démarche de Mme Viennot et des autres gourous de l’écriture inclusive est singulièrement anhistorique : elle ne tient pas compte du cours de l’histoire, c’est donc abusivement qu’elle invoque celle-ci.
Sous couleur de grammaire, le féminisme fait sa Révolution
Mais les finesses de la grammaire ne sont ici agitées que pour faire progresser la gauche et avec elle le féminisme militant. Dans Libération, le premier reproche que fait Eliane Viennot à l’Académie française est d’être « à droite » et d’avoir compté dans son sein Charles Maurras et le maréchal Pétain : quel cours de grammaire ! Dans l’interview commune donnée au Point, son compère Roland Haddad lâche le morceau : « Une langue phallocentrée traduit une vision du monde dominée par les hommes ». Ici la propagande s’appuie sur une grossière confusion entre sexe et genre : les arbres sont généralement féminins en latin et masculins en français, et cela n’a pas grand chose à voir avec le phallocentrisme présumé de ces deux langues. Eliane Viennot avoue d’ailleurs sans fard la véritable intention de la révolution qu’elle mène : « L’objet du langage inclusif est social et non grammatical. Nous souhaitons promouvoir une société plus égalitaire. Cela passe par la langue et par la déconstruction des stéréotypes « genrés » qu’elle véhicule. Cette démarche habite tous mes travaux… ».
Une patrie menacée par l’écriture inclusive
Ces travaux postulent une révolution sociale sans prendre en compte les lois d’évolution de la grammaire. Certes, la langue évolue, mais de l’intérieur, organiquement, à son rythme, suivant les trouvailles et les besoins de ses locuteurs : ici l’Etat, politisés par des associations militantes, intervient autoritairement. Sous couleur de « déconstruire des stéréotypes », il détruit le fragile équilibre d’une concrétion subtile et complexe, sans respecter en rien le principe de précaution invoqué si bruyamment ailleurs.
Il pète plus haut que son luth : car tout homme qui parle français est l’héritier d’un trésor inestimable légué par les siècles, et ce trésor est l’instrument qui lui permet de former sa pensée. Qu’il y ait dans ce trésor des formes héritées de sociétés disparues, des préjugés en action, c’est l’évidence même : la sagesse est de les laisser perdurer, plutôt que de détruire le trésor. Ceux qui, d’ordinaire, récusent le poids de l’hérédité matérielle, génétique, ethnique, dans l’identité française, rappellent volontiers le mot de Camus lorsqu’il parut devant l’Académie Nobel : « Ma patrie, c’est la langue française ». Cette langue française est un donné qui préexiste aux Français d’aujourd’hui, non un champ d’expérimentation offert à la Révolution rêvée par certains.
Révolution inclusive et grammaire trotskiste
Il reste à dire ce qu’est cette Révolution : elle est inclusive, comme la grammaire et l’écriture qu’elle porte. C’est-à-dire qu’elle a pour objectif de lutter contre l’exclusion, le grand mot des années quatre vingt et quatre vingt dix : contre l’exclusion des étrangers, des homosexuels, etc. Bref, pour l’inclusion de toutes les minorités dites défavorisées, femmes, noirs, musulmans, etc. La grammaire inclusive est trotskiste, elle vise à faire la Révolution par la prise en compte des intérêts supposés des minorités contre le sens commun ancien et majoritaire. Ce n’est pas par hasard que l’écriture inclusive, avec son point milieu, rend impossible, comme l’Académie française l’a noté, toute « intimité avec le patrimoine écrit » : elle organise la rupture de civilisation, elle casse la transmission entre les générations.
Et elle concerne la société dans son ensemble, la Révolution ne portant pas seulement sur les rapports hommes femmes. Microsoft vient de lancer une option « langage inclusif », qui, ne vise pas seulement à remplacer « le langage genré à même d’exclure, de rejeter ou de stéréotyper », mais s’attaques à toutes les expressions qui peuvent paraître discriminatoires. Ainsi par exemple les « Indiens d’Amérique », qui sont jugés « racialement sensibles », deviendront-ils des « autochtones », et les « aveugles » seront-ils remplacés par des « personnes à déficience visuelle ». Trissotin est en train d’imposer le politiquement correct par la grammaire. Molière, réveille toi, vite !