La crise de l’église anglicane

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Née d’une rupture politique, d’un schisme royal, l’église anglicane menace aujourd’hui de mourir d’une désintégration sociétale : encore vivace en Afrique, où elle conserve une certaine force doctrinale et liturgique, elle est en crise profonde en Angleterre et aux Etats-Unis, dans le naufrage intellectuel et moral d’un monde auquel elle s’est soumise. Par Octave Thibault.

 

L’anglicanisme se pense à l’origine comme la religion nationale de l’Angleterre, d’où son nom.
 
Il s’inscrit dans la filiation des combats des rois d’Angleterre depuis le XIIème siècle pour contrôler l’Eglise dans leur pays, d’abord au sein du catholicisme, comme pour le gallicanisme en France (qui, lui, est resté catholique). Il est marqué par la séparation délibérée d’avec Rome au XVIème siècle. La rupture, à l’origine peu glorieuse, le grand nombre des mariages d’Henry VIII empêchant tout apaisement ou régularisation a posteriori, étend ses complications de 1535 à 1570.
 
Durant cette période, l’anglicanisme connaît des variations importantes entre un modèle catholique parfois scrupuleusement conservé (on pense à la liturgie, aux sacrements) malgré le schisme, et une transposition des idées de Luther, ou des velléités d’adoption de celles de Calvin, encore plus radicales : celles-ci triompheront dans les années 1550-60 en Ecosse voisine, mais pas vraiment en Angleterre.
 
La reine Elizabeth I, fille d’Henry VIII, impose définitivement l’anglicanisme dans les années 1560. Le chef de l’église anglicane est le roi ou la reine d’Angleterre, conseillé par l’archevêque de Cantorbéry (en VO Canterbury). Elizabeth affirme son caractère général protestant, tout en demeurant floue sur les articles de foi imposés, vérités chrétiennes alors communément acceptables par les catholiques et luthériens peu regardants, en tordant légèrement les définitions.
 

Un flou qui rappelle Vatican II

Certains auteurs éminents ont comparé le flou liturgique et dogmatique anglican des années 1550-1580 à celui de bien des liturgies créatives postérieures à Vatican II. Du fait de ce vague délibéré, les interprétations multiples de l’anglicanisme ont proliféré dès l’origine, les théologiens de l’église anglicane s’affrontant sur des définitions de leur religion qui vont de Rome, ou quasiment (une curieuse Rome sans Pape), à Genève, en passant par Augsbourg.
 
Les Protestants les plus convaincus rompront d’ailleurs régulièrement au fil des siècles avec des autorités anglicanes soupçonnées bien à tort d’être crypto-catholiques. Parmi les plus célèbres, les Puritains du XVIIème siècle, les Méthodistes du XVIIIème siècle. En sens inverse, des personnalités, ou des groupes réduits, effectuent la démarche courageuse de se convertir au catholicisme, dont le célèbre théologien Newman (1801-1890) en 1845. Contrairement à une légende pieuse, la restauration au XIXème siècle en Grande-Bretagne d’une communauté catholique significative, quoique toujours nettement minoritaire, ne vient pas de conversion massive d’anglicans mais de l’installation d’immigrés irlandais, catholiques pour l’essentiel.
 
L’Eglise catholique a sérieusement étudié deux fois au moins la difficile question de la validité des ordinations conférées dans l’église anglicane. Elle a conclu de la même manière, au début du XVIIIème siècle sous Clément XI, et à la fin du XIXème siècle, malgré une approche alors plutôt bienveillante, sous Léon XIII, à l’invalidité, expliquée dans Apostolicae cura, 1896 ; les prêtres ou évêques anglicans ne sont que des laïcs pour Rome, point de vue qui n’a pas officiellement changé. De même, la grande majorité des Eglises orthodoxes ne reconnaissent pas non plus ces ordinations ; il est vrai qu’ils doutent aussi des catholiques pour beaucoup.
 
Du fait des colonisations britanniques, l’anglicanisme s’implanta durablement en Amérique du Nord, dans les futurs Etats-Unis et au Canada après 1763, puis en Australie et en Nouvelle-Zélande au XIXème siècle, enfin au Nigéria et en Ouganda par un effort missionnaire auprès des populations noires animistes au XXème siècle. Il compte aujourd’hui plusieurs dizaines de millions de fidèles nominaux, de 70 à 80 millions.

 

la crise profonde de l’église anglicane en Occident

L’anglicanisme serait ainsi en principe l’une des principales dénominations chrétiennes, par le nombre théorique de fidèles. Pourtant, il est divisé en schismes multiples, qui s’aggravent, depuis une vingtaine d’années. Et dans ses bases historiques britanniques et américaines, un processus d’effondrement semble bien entamé.
 
Dès les années 1970, les communautés anglicanes aux Etats-Unis, connues localement sous le nom d’épiscopalisme, se distinguent par leur adhésion massive à la pointe du libéralisme théologique protestant. Parmi les premières communautés chrétiennes au monde, elles ordonnent des prêtresses, puis des épiscopesses, des « femmes-évêques ». Elles ont renoncé à toute condamnation de la contraception ou de l’homosexualité, y compris lorsqu’elle touche publiquement des membres de son clergé. Elles célèbrent des mariages homosexuels au temple pour finir… L’Angleterre suit pour l’essentiel dans les années 1990-2000, avec le soutien des médias antichrétiens ravis.
 
Le problème pour l’église anglicane, même à vue purement humaine, est que cette aimable institution qui ne condamne plus rien – à l’exclusion de l’euthanasie, quand même – ni personne, fait encore plus vite fuir les fidèles que les discours plus traditionnels. Les temples se vident, les ornements se vendent à l’encan, c’est la crise. Une minorité des anglicans, en Angleterre même, a constitué dans les années 1990 une hiérarchie parallèle, qui refuse tout sacerdoce aux femmes, et a fortiori tout épiscopat, et vit dans un quai-schisme de fait. Les libéraux dominent cependant largement à Canterbury. Le discours consensuel du Monde a conduit récemment l’archevêque de Canterbury, primat en principe de tous les anglicans, Justin Wilby, à inviter ses fidèles à lutter contre l’homophobie, c’est-à-dire faciliter des pratiques condamnées absolument dans les Ecritures, et ce de la façon la plus explicite, de Moïse à Saint Paul. Toutefois, il s’affirme contre le mariage à l’Eglise des Sodomites et Gomorrhéennes, pourtant largement pratiqué par les épiscopaliens d’Outre-Atlantique.
 

La réaction africaine

Cet appel général contre l’homophobie a été envoyé à ses frères évêques anglicans du Nigéria et de l’Ouganda, pays concernés au premier chef par des législations réprimant les mauvaises mœurs. Ainsi publiquement interpellés, ceux-ci ont affirmé hautement leur soutien à ces lois ! Les pressions de l’Europe apostate ne sont en effet pas passées du tout en Afrique. Les évêques anglicans du Nigéria et de l’Ouganda, qui avaient déjà excommunié les épiscopaliens américains et refusé tout soutien financier de leur part, ont déclaré leur rupture avec leurs confrères d’Angleterre.
 
A émergé en particulier la figure l’ancien primat anglican nigérian Mgr Peter Akinola ; il définit fermement Jésus-Christ comme seule voie du Salut des hommes, lequel ne saurait être assuré ni par le matérialisme occidental ni par l’Islam, religion majoritaire au Nigéria, au nom de laquelle des milliers de chrétiens ont été massacrés depuis plus d’une décennie. Cet anglicanisme africain, ferme sur le Décalogue, demeure seul en croissance. Partout ailleurs, confus dès l’origine et plus que jamais aujourd’hui, l’anglicanisme s’érode massivement. Y compris dans une Afrique du Sud alignée plus ou moins par Mgr Desmond Tutu, ancien champion de la lutte contre l’Apartheid, sur le modèle épiscopalien américain.
 
L’anglicanisme pourrait perdre dans les années à venir jusqu’à son statut privilégié de Religion d’Etat en Angleterre, soit par sécularisation assumée, soit sous prétexte d’économie sur les finances publiques – le déficit budgétaire est structurellement supérieur à celui de Paris depuis 2008. Le pape Benoît XVI a créé le 9 novembre 2009 une structure d’accueil spécifique pour les anglicans ralliés au catholicisme, dans le respect de leurs traditions liturgiques spécifiques, l’Anglicanorum Coetibus, concrètement organisé en 2011-2012.
 
Elle comprend aujourd’hui quelques milliers de chrétiens ex-anglicans courageux : ils doivent lutter dans leur démarche de conversion tant contre l’esprit détestable de leur époque que, paradoxalement, une certaine loyauté historique.