Interrogé par Armel Joubert des Ouches, le journaliste espagnol José Maria Ballester expliquait il y a bientôt deux mois, à propos des élections prévues pour le 21 décembre, que « le pire scénario serait une majorité absolue des indépendantistes au Parlement régional catalan ; le meilleur, ce serait une victoire des constitutionnalistes, et alors là, on pourrait rentrer dans l’ordre rapidement. » Malheureusement pour l’Espagne et pour la Catalogne, qui a déjà vu fuir environ 3.200 entreprises de son territoire en raison des velléités indépendantistes d’une partie de sa population et de sa classe politique, c’est bien le pire scénario qui s’est réalisé hier. Le très bon résultat du parti constitutionnaliste Ciudadanos, né en 2006 d’une plateforme anti-indépendantiste catalane et arrivé premier avec 25 % des voix contre 18 % en 2015, et la petite progression des socialistes (PSC, 14 % des voix) ne suffit pas en effet pour compenser la déroute du Parti populaire (PP) du premier ministre Mariano Rajoy : 4 % des voix contre 8,5 % en 2015.
Ensemble, ces trois partis constitutionnalistes n’ont en effet obtenu qu’un peu plus de 43 % des voix contre 47,5 % pour le bloc indépendantiste : près de 22 % pour JUNTSxCAT de l’ex-président en fuite en Belgique Carles Puigemont, 21 % pour la gauche républicaine ERC et un peu plus de 4 % pour l’extrême gauche indépendantiste CUP, soit au total 70 députés sur 135.
L’Espagne a un problème : les partis indépendantistes ont à nouveau la majorité absolue au parlement de Catalogne
La majorité absolue étant à 68, les deux partis indépendantistes de centre-droit et de centre-gauche qui totalisent ensemble 66 députés pourront gouverner avec la participation de la CUP (4 députés) ou avec son soutien passif, par exemple si ce parti d’extrême gauche s’abstient lors de l’élection par le parlement du président de la Catalogne. Entre les deux camps, il y a encore la coalition CatComú-Podem (7,5 % des voix) liée au parti d’extrême gauche Podemos, qui est favorable à un référendum d’autodétermination convenu avec Madrid.
Mais les indépendantistes ont toutefois un problème : sur leurs 70 députés élus, 8 sont en prison ou en fuite. Pour élire un président de région, ils doivent être présents lors du vote. Si les fuyards comme Carles Puigdemont rentrent de Belgique, ils seront arrêtés car ils sont sous le coup d’un mandat d’arrêt pour rébellion contre l’État. Et tant que le parlement catalan n’aura pas élu un président, c’est Mariano Rajoy et son gouvernement qui gardent les mains sur les commandes de l’exécutif régional en application de l’article 155 de la Constitution espagnole qui a permis de suspendre l’autonomie de la Catalogne après le référendum illégal sur l’indépendance. Les procureurs et tribunaux espagnols continuent par ailleurs d’enquêter et d’étendre le cercle des personnes inculpées pour l’organisation de ce référendum.
Mariano Rajoy a perdu son pari d’une défaite des indépendantistes en cas de nouvelles élections
Un autre fait mérite aussi d’être souligné : le système électoral catalan favorise les zones rurales par son découpage en 4 circonscriptions électorales. Avec une circonscription unique, les indépendantistes n’auraient pas obtenu la majorité absolue. C’est dire si la Catalogne est divisée sur la question de l’indépendance et à quel point ces divisions, volontairement creusées par les partis indépendantistes depuis des années, rendraient difficile l’existence pacifique d’une Généralité de Catalogne qui choisirait de se séparer du reste de l’Espagne.
Il n’empêche que Mariano Rajoy a clairement perdu son pari en convoquant de nouvelles élections, et c’est ce que soulignait ce matin la presse internationale, mais Madrid promet d’activer à nouveau l’article 155 si jamais un gouvernement catalan composé de séparatistes venait à recommencer ce qui a été fait par le précédent gouvernement régional.
De son côté, le média de l’Etat russe RT en langue espagnole profite de l’occasion pour s’attaquer à l’Espagne qui aurait envoyé ses troupes en Lettonie, dans le cadre du récent déploiement de l’OTAN sur son flanc oriental, en échange de la promesse de Riga de ne pas soutenir le séparatisme catalan. Voilà qui pourrait renforcer dans leurs convictions ceux – il y en a – qui pensent que Vladimir Poutine soutiendrait le séparatisme catalan pour ne pas perdre une occasion d’affaiblir à la fois l’Union européenne et un pays de l’OTAN. Mais comme dans le cas des élections américaines et du référendum sur le Brexit, ces accusations restent vagues et non étayées par des preuves tangibles.