Une étude controversée présente la stimulation du cortex préfrontal du cerveau comme un moyen d’empêcher le comportement violent

empecher comportement violent études imulation cortex préfrontal cerveau
 
Ce n’est pas de la lobotomie, assurent les auteurs d’une récente étude sur la stimulation du cerveau en vue d’empêcher le comportement violent, mais l’idée est quand même d’influer mécaniquement sur les perceptions morales et les actions : cette étude affirme que la stimulation électrique du cortex préfrontal imperceptible par l’individu a des répercussions notables sur son attitude vis-à-vis de la violence.
 
Au terme d’une recherche menée par des scientifiques à l’université de Pennsylvanie, il est apparu que des personnes ayant subi au jour J-1 une stimulation électrique transcrânienne de bas niveau du cortex préfrontal dorsolatéral, supposé contrôler les fonctions hautes comme la maîtrise de soi et les jugements moraux, par le biais d’électrodes, avaient le lendemain davantage tendance à condamner comme immoraux des comportements comme une agression au moyen d’une bouteille de bière ou le viol d’une connaissance.
 
Les participants à l’étude, portant sur 81 adultes d’un âge moyen de 20 ans et choisis au hasard, soumis à une procédure de stimulation électrique dont ils ne pouvaient avoir conscience et qui pour la moitié d’entre eux était factice, ont été invités au lendemain de celle-ci à lire deux courts textes décrivant un comportement violent. Dans le premier texte, il était question d’un homme qui fracassait une bouteille de bière sur la tête d’une autre personne, dans le second, un homme violait une femme qu’il connaissait.
 

La stimulation du cortex préfrontal pour empêcher le comportement violent

 
Puis cette question leur était posée : « En feriez-vous autant ? » Ceux dont le cortex préfrontal avait été stimulé effectivement affichait une probabilité deux fois moindre de commettre de tels actes, affirmant que cette violence physique et sexuelle était moralement condamnable, par rapport au groupe de contrôle.
 
Les auteurs de l’étude ont écrit dans le Journal of Neuroscience que « le fait d’augmenter l’activité du cortex préfrontal peut réduire l’intention de commettre des agressions et améliorer les perceptions du jugement moral » – idée parfaitement matérialiste qui fait d’ailleurs l’économie d’une réflexion sur l’éducation subie par les intéressés, et qui correspond bien à l’idée évolutionniste selon laquelle le sens moral est le fruit du développement de certaines zones du cerveau chez l’homme.
 
Ils se sont lancés dans leur recherche en invoquant de nombreuses petites études d’imagerie neuronale montrant que chez les personnes agressives ou antisociales – ou les deux – cette zone est typiquement plus petite ou moins active que chez les autres, sans que l’on sache si c’est l’agressivité qui modifie le cerveau ou si c’est l’atrophie de cette zone qui cause l’agressivité.
 
Un thomiste répondrait que l’être humain est un, corps et âme, et que le premier est « informé » par la seconde, et que l’activité du corps, la soumission aux passions sensibles affecte l’âme, mais passons.
 

Une étude controversée sur le « zapping cérébral »

 
Ce qui est certain, c’est que cette étude qui est désormais mise en avant pour envisager d’agir directement sur le cerveau des êtres humains pour obtenir un comportement ou une attitude désirés, comporte des lacunes importantes. Il s’est avéré notamment que, soumis par la suite à des tests d’agressivité et de tendance à la violence, les membres du groupe qui avaient « bénéficié » des stimulations électriques n’étaient pas plus inhibés que les autres. Au contraire, lorsqu’ils ont été invités à planter virtuellement des épingles dans une image informatique de poupée représentant un ami proche – test courant pour l’évaluation des tendances à la violence – ils ont été un peu plus diligents encore que les autres, plantant davantage d’épingles que les membres du groupe de contrôle.
 
Réponse d’Olivia Choy, qui a dirigé cette recherche – elle est aujourd’hui psychologue à l’université technologique de Nanyang à Singapour – : les participants n’ont bénéficié que d’une session de stimulation de 20 minutes. « Il se peut que des sessions répétées sur une période plus longue puissent produire des changements de comportement, mais les changements comportementaux commencent par les changements d’intention », a-t-elle avancé.
 
Un autre participant, Adrian Raine, psychologue à l’université de Pennsylvanie, a annoncé la couleur encore plus clairement. « Nous essayons de découvrir des interventions biologiques bénignes que la société voudra bien accepter », a-t-il déclaré, dans le cadre de la lutte contre la violence criminelle : « La stimulation électrique directe transcrânienne présente un risque minimal. Ce n’est pas de la lobotomie frontale. »
 

Empêcher le comportement violent par des traitements électriques : nouveau domaine d’action pour Big Brother

 
Reste que, comme l’a observé une universitaire de l’université de Kent en Angleterre, Robin McKenzie, cette étude « prometteuse et suggestive », qui laisse envisager des avancées « dans domaine des interventions biologiques pour contrer le comportement antisocial et agressif », présente d’importantes zones de flou.
 
Ainsi, le groupe soumis à des stimulations électriques effectives comportait 24 femmes et 15, contre 21 femmes et 21 hommes dans le groupe de contrôle : le groupe « zappé » par une stimulation électrique aurait peut-être eu tout naturellement tendance à condamner le viol ou l’attaque à la bouteille de pierre du fait de « différence de genre ». Par les temps qui courent, il faut sans doute avoir un peu de courage pour mettre le doigt sur une telle évidence.
 
Par ailleurs, elle a noté qu’aucun des participants n’avait une histoire de maladie ou de dommages psychiatriques ou neurologiques associés aux tendances violentes : un malade réagirait-il de la même manière à une stimulation électrique ?, a-t-elle demandé.
 
Mais une question plus grave encore a été soulevée par le Dr Paul Appelbaum, spécialiste en éthique, droit et psychiatrie à la faculté de médecine de Columbia University. Des Etats adopteront-ils demain des thérapies de « zapping cérébral » pour les criminels violents, le feront-ils sur la base du volontariat ? Les gouvernements n’auront-ils pas la tentation d’en étendre l’usage, par exemple pour « induire la passivité chez les groupes politiquement agités ? »
 

Anne Dolhein