Alors, l’enfer existe-t-il ou non ? Nouvelle confusion autour de déclarations du pape François

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« L’enfer n’existe pas ; ce qui existe, c’est la disparition des âmes pécheresses » : c’est en ces termes que le pape François aurait parlé des fins dernières au journaliste Eugenio Scalfari. Le conditionnel est de mise : ce philosophe et journaliste athée est réputé pour ses interviews du pape François rapportés de mémoire et sans enregistrement. La phrase évidemment hérétique mise dans la bouche du souverain pontife a manifestement provoqué quelques remous au Vatican puisque la Salle de presse a publié un démenti. Mais un démenti assez sommaire, qui ne met pas véritablement fin à cette nouvelle confusion autour de déclarations réelles ou supposées du pape.
 
Voici le communiqué de la Salle de presse, présenté par Greg Burke et daté du Jeudi-Saint (ma traduction) : « Le Saint Père François a récemment reçu le fondateur du quotidien La Repubblica pour une rencontre privée à l’occasion de Pâques, mais sans lui accorder aucune interview. Ce à quoi se réfère l’auteur dans l’article de ce jour est le fruit de sa reconstruction, on n’y trouve pas citées de paroles textuellement prononcées par le pape. Aucune expression citée entre guillemets dans l’article susdit ne doit donc être considérée comme une fidèle retranscription des paroles du Saint-Père. »
 
Point. Basta. Le communiqué est allusif. Il y a certes tout lieu de croire qu’il vise les propos prêtés au pape François à propos de l’enfer – ils ont fait suffisamment de bruit dans les médias catholiques et sur les réseaux sociaux –mais il n’y a pas de clair démenti d’un propos évidemment hérétique ni de clarification par un rappel simple de la doctrine : oui, l’enfer existe et il existera après le jugement dernier. Au contraire, il atteste que la rencontre a eu lieu.
 

Nouvelles confusion autour de déclarations prêtées au pape François

 
Le communiqué officiel a tout de la gestion de crise, et hélas, ce n’est pas la première provoquée par une interview, réelle ou supposée, obtenue par le vieux journaliste Scalfari – 93 ans – de la part de son vieil ami, puisqu’il est coutumier de l’attribution au pape de propos souvent choquants au regard de la doctrine, et toujours sans enregistrement. Par le passé, des rectificatifs publiés par le Vatican ont été suivis du rétablissement des interviews dans des archives ou dans des recueils.
 
La dernière « interview » en date fait suite à la cinquième rencontre en tête à tête entre le pape François et Eugenio Scalfari, chacun étant évidemment conscient du « passif » qui les relie. Quoi qu’il ait dit, on peut au moins s’interroger sur la légèreté avec laquelle le pape s’exprime devant un homme dont il peut avoir toutes les raisons de croire qu’il recommencera à retranscrire des propos approximatifs. A moins qu’il n’apprécie cette manière de lancer des idées sans les assumer à 100 % ? L’interview publiée jeudi par La Repubblica est de ce point de vue tout simplement dans l’ordre des choses.
 
Ce ne sont pas seulement les propos sur l’enfer qui pouvaient choquer le lecteur attaché à la vision traditionnelle du christianisme. Dans son préambule, Eugenio Scalfari confie qu’il a discuté avec le pape François de saint Paul « qui a transformé le christianisme en religion destinée à être la plus suivie, en même temps que la religion musulmane, avec laquelle François a recherché et recherche toujours la fraternité au nom du Dieu unique duquel toutes les religions doivent être inspirées ».
 

L’enfer existe, l’enfer n’existe pas : que pense vraiment François ?

 
Scalfari rapporte sa question à propos de l’enfer : « Votre sainteté, lors de notre précédente rencontre vous m’avait dit que notre espèce disparaîtra à un moment donné et que Dieu créera toujours d’autres espèces à partir de sa semence créatrice. Vous ne m’avez jamais parlé des âmes qui sont mortes en état de péché et qui vont en enfer pour souffrir pour toujours, à cause de cela. Au lieu de cela, vous m’avez parlé des bonnes âmes qui sont admises à contempler Dieu. Mais les mauvaises âmes ? Où sont-elles punies ? »
 
En réalité, il faut le préciser tout de suite, ce n’est pas du tout la première fois que Scalfari évoque ce thème puisqu’il a déjà affirmé en style indirect, en 2017, que le pape croit que « les âmes dominées par le mal, celle qui ne se repentent pas, cessent d’exister tandis que celles qui sont rachetées du mal seront assumées dans la béatitude, pour contempler Dieu ». En 2015, toujours en style indirect, il faisait dire au pape François que le sort de ces âmes non repenties était « l’annihilation », dès la mort physique.
 
Et voici les nouveaux propos attribués au pape François : « Elles ne sont pas punies : celles qui se repentent obtienne le pardon de Dieu et rejoignent les rangs des âmes qui le contemplent, mais celles qui ne se repentent pas et qui ne peuvent donc être pardonnées disparaissent. L’enfer n’existe pas ; ce qui existe, c’est la disparition des âmes pécheresses. »
 

Ces déclarations attribuées au pape François et jamais clairement rectifiées

 
Il y a pour le moins incohérence avec des propos récents du pape François : il a parlé de l’enfer la semaine dernière encore en invitant les membres de la mafia à renoncer au crime et à éviter la damnation éternelle. Mais à d’autres occasions, le pape François tient des propos inverses : il a pu prêcher l’an dernier que « tout sera sauvé – tout ! », assurant qu’à la fin de l’histoire il y aura « une tente immense où Dieu accueillera l’humanité tout entière afin de demeurer avec elle pour toujours ».
 
Et là est le vrai problème : il est dans les approximations, les à-peu-près, l’absence de réponses claires à des questions simples que la doctrine catholique répète pourtant depuis longtemps à la suite de Jésus-Christ lui-même. C’est cet état de confusion qui explique que l’on puisse à chaque fois imaginer que le pape ait effectivement affirmé ce qu’on lui prête.
 
Il est encore dans la répétition : si Scalfari a triché, ce n’est certes pas la première fois puisqu’il y a une continuité remarquable dans l’idée qu’il attribue au pape et que celui-ci n’a jamais pris la peine de dire clairement qu’il n’avait jamais rien affirmé de tel. Ni lui, ni la Salle de presse d’ailleurs, puisque le communiqué de Greg Burke n’infirme ni ne confirme la teneur de propos qu’au demeurant il identifie pas.
 

Jeanne Smits