A Sarajevo, au cœur de la Bosnie, Erdogan tient un discours de conquête devant 15.000 Turcs venus de toute l’Europe

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La prétention impériale du président-dictateur turc Recep Tayyip Erdogan prend une nouvelle dimension en visant l’Europe. Dans un discours électoral de conquête prononcé à Sarajevo, capitale de la Bosnie, un des derniers territoires musulmans européens hérités de la tyrannie ottomane sur le sud-est européen, Erdogan a fustigé le traitement que l’Europe réserve selon lui aux immigrés mahométans et appelé les expatriés turcs à partir à la conquête du pouvoir dans leurs pays d’accueil. Le « sultan » a prétendu que les démocraties européennes, « qui se présentent comme les berceaux de la démocratie », ont « échoué », leur opposant le supposé modèle de la théocratie islamique. Il a été ovationné aux cris de « Allahu Akbar ! » et de « sultan Erdogan ! » par une foule de 15.000 personnes, pour beaucoup venues en bus depuis l’Allemagne, les Pays-Bas ou l’Autriche.
 

En Bosnie, Erdogan appelle les Turcs à la conquête des parlements d’Europe

 
Victimisation, suprémacisme, revanche : ce sont les trois mots-clés qui résument ce discours d’Erdogan en terre d’Europe, dans un pays, la Bosnie, qui pourrait intégrer l’UE dans les années à venir. Pour le président-dictateur, les Turcs qui participent aujourd’hui à des gouvernements européens trahissent leur patrie d’origine en l’attaquant de l’extérieur. Erdogan pose le séparatisme culturel des communautés turques en Europe comme la base d’une reconquête territoriale et politique à peine voilée. « Les Turcs d’Europe doivent prouver leur force », a-t-il lancé. Mais ce doivent être les bons Turcs, ceux qui suivent l’islamisme dominateur prôné par le régime d’Ankara : « Vous devez entrer dans ces Parlements pour remplacer ceux qui trahissent notre pays ». « Etes-vous prêts à prouver la force des Turcs européens au monde entier ? Etes-vous prêts à porter des coups dignes d’un Ottoman aux organisations terroristes et à leurs suppôts ? », a-t-il éructé en visant entre autres l’opposition kurde du PKK et ses succursales européennes.
 
Le stade de Zetra à Sarajevo était tapissé des portraits d’Erdogan mêlés, pour faire bonne mesure, à ceux d’Ataturk. Le rassemblement avait pour prétexte la campagne électorale des prochaines législatives et présidentielle turques du 24 juin auprès de la diaspora turcophone européenne. Les expatriés turcs en Europe émettent en général un vote très favorable au parti d’Erdogan, l’AKP, dont les dirigeants comptent susciter une vague importante en leur faveur sur le continent. Le choix de la capitale de Bosnie-Herzégovine a été posé par les mandarins du régime turc après que l’Allemagne, l’Autriche et les Pays-Bas leur ont interdit de venir faire campagne sur leurs territoires, avivant un peu plus les tensions entre Ankara et Bruxelles.
 

Le choix de la Bosnie par Erdogan ravive le souvenir de la guerre de 1992-1995 et celui de la domination turque sur les Balkans

 
Le choix de la Bosnie, en partie musulmane, ravive le souvenir de la guerre sanglante (1992-1995) qui a suivi la chute de la Yougoslavie avec participation de troupes musulmanes étrangères contre les Serbes et qui fit près de 100.000 morts. Il ravive aussi le souvenir de l’occupation turque des Balkans, amorcée par la victoire de Gallipoli en 1347 puis par celle du Champ des Merles contre la Serbie en 1389. Cette domination ottomane sur l’Europe du Sud-Est ne prendra formellement fin que par le traité de Sèvres en 1920. Erdogan parodie aujourd’hui le califat aboli par Ataturk en 1923, avec en ligne de mire une reconquista à l’envers d’une Europe devenue pour partie apostate.
 
Dans son discours, Erdogan a appelé à donner du travail aux citoyens turcs qui partent à l’étranger et, au chapitre du communautarisme, a exigé de nouveaux programmes pour enseigner le turc à leurs enfants. Il s’est permis de critiquer l’Allemagne et les autres pays qui lui ont interdit de mener campagne sur leur sol et leur a répliqué en révélant que l’agence d’Etat turque TRT allait étendre sa couverture en Europe afin de contrer « la propagande contre les musulmans ». Il a promis que les Turcs qui adoptent la citoyenneté de pays étrangers ne perdraient pas leur droit de vote en Turquie. Les élections turques du 24 juin sont les premières à se tenir depuis les arrestations massives de dirigeants du parti pro-kurde HDP, en 2016, sous prétexte qu’il soutiendrait l’organisation armée kurde PKK. Elles vont intervenir alors que 55.000 personnes ont été incarcérées suite à la tentative de coup d’Etat militaire de juillet 2016. Lundi, 104 militaires accusés d’avoir participé à cette tentative de putsch ont été condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité.
 

Matthieu Lenoir