Une éthique de la réalité virtuelle ? Deux chercheurs publient des recommandations

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La réalité virtuelle a conquis les visiteurs du Mobile World Congress 2016.

 
Si la réalité virtuelle n’a pas encore vraiment passé l’épreuve du stade commercial et du large public, elle est presque assurément vouée à se démocratiser dans les années à venir. Et ses parrains, ses pères se focalisent davantage sur l’amélioration de sa technique que sur l’éthique de son usage… Pourtant il est capital. Deux philosophes de l’université Johannes Gutenberg de Mayence, viennent de publier le premier code éthique en la matière : une liste de six recommandations touchant tant aux implications psychologiques sur les usagers qu’aux usages et pratiques potentiels des fournisseurs…
 

« L’illusion de l’incarnation »

 
Publié le mois dernier dans la revue Frontiers in Robotics and AI, le but de cet article avant-gardiste était de « présenter une liste des principaux problèmes éthiques soulevés par l’usage académique et domestique de la réalité virtuelle, et de proposer des recommandations pour limiter ces risques ».
 
Un premier code de conduite en quelque sorte, alors même qu’on nous serine tous les bénéfices présentés comme certains et assurés de l’usage de la réalité virtuelle… Existent bel et bien, pourtant, des risques liés à l’intégration de ces corps virtuels, à cette immersion en dehors de la réalité vraie.
 

Une nouvelle psychologie clinique à mette en place ?

 
Le premier problème, selon ces chercheurs, est que « les modèles expérimentaux traditionnels de la psychologie clinique, qui servent à étudier un sujet qui regarde un film ou joue à un jeu vidéo non immersif par exemple,ne permettent pas d’analyser l’illusion de posséder un nouveau corps ».
 
C’est une donnée inédite qui mérite que l’on s’y attarde autrement que dans des Salons enthousiastes, pourvus de millions de dollars…
 
« La VR [virtual reality] pourrait non seulement changer l’image que nous avons de l’humanité, mais aussi bouleverser des notions importantes comme celles ‘d’expérience consciente’, ‘d’ipséité’, ‘d’authenticité’, de ‘réalisme’ ». Elle fait toute la différence avec les jeux qualifiés de « non immersifs » comme la télévision ou les jeux vidéo.
 

Une éthique à proposer

 
On a pourtant déjà eu largement l’occasion de voir l’étonnante capacité du cerveau humain à être modifié par les interactions avec son environnement – qu’ on se rappelle la sombre et riche expérience de Milgram. Mais jusque-là, aucune n’a pu montrer jusqu’à quel point le contrôle de l’environnement pourrait déterminer l’activité cognitive des sujets dans un système de réalité virtuelle.
 
Si le casque de RV doit vraiment pénétrer dans les foyers, il serait temps de s’en inquiéter.
 
« Contrairement aux autres médias, la réalité virtuelle peut créer des situations dans lesquelles l’environnement de l’utilisateur est tout entier déterminé par les créateurs du monde virtuel dans lequel il évolue » expliquent Madary et Metzinger. « Cela ouvre la porte à des formes particulièrement insidieuses de manipulation mentale et comportementale, d’autant plus lorsque des intérêts commerciaux, politiques, religieux, ou gouvernementaux sont impliqués dans la création et la gestion de mondes virtuels ».
 
Et clairement des expériences ont déjà montré que les comportements se modifiaient… A un faible degré, l’exemple est pris de joueurs ayant utilisé un avatar type Superman pendant plusieurs heures : ils sont, quelque temps, plus enclins à manifester un comportement altruiste. Reste à imaginer pour les avatars type Frankenstein ou Jack l’Eventreur…
 

Leurs six recommandations en matière de réalité virtuelle

 
Madary et Metzinger ont mis en lumière six recommandations pour une éthique des applications commerciales et académiques de cette réalité virtuelle.
 
Il faudra s’assurer qu’elles ne provoquent aucun dommage à court et à long terme chez le sujet. Ce dernier devra être informé des risques (encore largement mal connus) sur son comportement. Et les médias et les chercheurs auront soin d’éviter la surenchère sur les « avantages » de cette nouvelle technologie.
 
Il faudra aussi veiller au champ restreint de son application (les auteurs se méfient tout particulièrement des applications militaires et offensives qui commencent, d’ailleurs, à en être faites), à la diffusion potentiellement évidente des données personnelles des utilisateurs… Enfin à ce formidable nouvel espace publicitaire qui pourrait générer ce qu’on appelle du « neuromarketing ».
 

Un business encore incertain

 
Un joli lot de préoccupations qui semblent sauter aux yeux et dont on ne parle pourtant guère… A noter que les auteurs ne sont pas de fermes opposants à la réalité virtuelle, et qu’ils soutiennent même la recherche en ce domaine : ils veulent simplement « limiter les risques pour le grand public ». Les variables technologiques influencent aussi l’esprit humain : il faut en prendre conscience et en porter la responsabilité.
 
Reste à savoir si les firmes « mères » pensent aussi « éthique » qu’eux… Toute la Silicon Valley s’est lancée à corps perdu dans ce grand et nouveau défi technologique. Google se prépare à sortir un casque de réalité virtuelle dans le courant de l’année selon le Financial Times, après son « Cardboard », écoulé avec succès à 5 millions d’exemplaires. Facebook va bientôt sortir son « Oculus Rift », et Samsung et HTC proposent aussi des solutions de VR, sans compter Microsoft avec son « HoloLens ».
 
L’écueil n’est pas tellement éthique pour elles…. il est avant tout commercial. En cause, le coût de ces joujoux dernier cri et la performance de leurs nécessaires accessoires (PC etc…). Tout cela risque de prendre un certain temps.
 
Le temps de poser des barrières de sécurité, mentales et morales ? Pas si sûr. L’industrie pornographique se frotte déjà les mains de cette « nouvelle manière ». Et, plus globalement, un tel contrôle humain à portée de main, ne peut laisser personne indifférent…
 

Clémentine Jallais