Le gouvernement des Pays-Bas a confirmé qu’un projet en l’air depuis plus d’un an sera traduit en droit avant la fin de cette année : la légalisation de la mise à mort médicale d’enfants ayant entre 1 et 12 ans deviendra ainsi possible dans le cas de « souffrances physiques insupportables et sans perspective » en fin de vie et ne cédant devant aucun traitement. Le terme d’« euthanasie » des enfants a été repris par de nombreux médias mais juridiquement, il s’agira d’autre chose : de l’application d’un protocole de « fin de vie » par décision du corps médical en accord avec les parents. Sur le plan du langage ordinaire, toutefois, le terme d’» euthanasie » correspond bien à ce qui se met actuellement en place.
Mais dans la loi néerlandaise, l’euthanasie fait nécessairement suite à une demande du patient, qu’elle soit actuelle ou qu’elle résulte de ses directives anticipées.
La campagne médiatique qui a précédé cette initiative depuis plus d’un an, et la complicité d’une grande partie de la presse néerlandaise qui insiste sur le « soulagement » des parents qui restent impuissants devant l’épreuve de la maladie de leur enfant, ont rendu possible cette nouvelle transgression. C’est l’illustration du principe du glissement vers toujours plus de barbarie, une fois que l’interdit de tuer l’innocent, point fondamental de la loi naturelle inscrite dans le cœur de tout homme (mais parfois bien obscurcie…) a été écarté. Cela étant acquis, les étapes suivent à leur rythme, selon les pays et l’évolution des mentalités.
La pente glissante de l’euthanasie
Le verrou de l’interdit frappant la mort donnée à celui qui souffre (comme dans l’euthanasie), ou à celui qui arrive au mauvais moment (comme dans l’avortement) a donc sauté. Et les Pays-Bas sont passés par de multiples évolutions déjà : celle du nombre (une mort sur vingt y résulte déjà d’une euthanasie), celle des nouveaux cas justifiant l’euthanasie – souffrance psychique, maladie cognitive en voie d’aggravation, multiplication d’affections dont aucune n’est mortelle, état de démence accompagné d’une déclaration de demande d’euthanasie préalable, euthanasies en couple – celle du regard public sur la mort choisie. L’euthanasie des mineurs (de 12 à 16 ans avec l’accord parental, puis jusqu’à 18 ans sans cet accord, même si les parents doivent être impliqués dans la discussion) est possible depuis que la loi néerlandaise d’euthanasie, la première au monde, est entrée en vigueur en 2002.
Pour les bébés de moins de 1 an, la mise à mort délibérée par voie médicale est possible aux Pays-Bas depuis 2004 selon le « protocole de Groningue » mis sur pied par des pédiatres et des officiers de justice de cette ville pour répondre aux cas où « la seule façon de mettre fin à la douleur » serait de « laisser mourir le patient de manière très minutieuse », sans pour autant encourir une accusation de meurtre.
« Protocole de Groningue » pour les mineurs de 12 ans
Pour autant, l’expression « protocole de Groningue » cherche juste à faire la différence avec euthanasie, pratiquée, comme nous l’avons vu, à la demande du patient. Le protocole de Groningue permet en réalité de tuer ou de « laisser mourir », faute de soins, sans tomber sous le coup des exigences de la loi d’euthanasie proprement dite.
Dans la pratique, depuis la petite vingtaine d’années que ce protocole existe, entre 20 et 100 enfants de moins d’un an ont ainsi été poussés dans la mort avec l’accord de leurs parents, sans que l’on sache si ces statistiques sont exhaustives : ne s’agissant pas d’une « euthanasie » au sens légal, ces actes échappent à la vigilance des commissions régionales chargées d’évaluer chaque euthanasie réalisée, le médecin n’étant pas obligé de les signaler. Leur petit nombre s’explique aussi par la possibilité des avortements tardifs qui sont pratiqués sur la foi des examens prénataux et éliminent les enfants à naître souffrant de handicaps physiques ou mentaux graves.
Le protocole de Groningue prévoit plusieurs façons de mettre fin à la vie d’un bébé pendant la première année de sa vie : cela va du refus de soins nécessaires à la vie – et c’est le cas de loin le plus fréquent, qu’on pourrait qualifier l’euthanasie lente – à la mise à mort dite « active » par l’administration d’une substance létale.
Les Pays-Bas et la mort pour tous
Avec la modification souhaitée par le ministre néerlandais de la Santé, Ersnt Kuijpers, et qui devrait être mise en œuvre par l’exécutif après que celui-ci aura recueilli l’avis des soignants sur d’éventuels critères et protocoles d’application, il s’agit d’étendre le recours au protocole de Groningue, et même d’autoriser une « fin de vie active », au « bénéfice » des enfants de 1 à 12 ans, mais sans la condition sine qua non de la volonté personnelle exprimée. Il faudra le feu vert de deux médecins et l’accord explicite des deux parents pour pouvoir passer à l’acte. Le médecin directement chargé de l’enfant devra aussi acquérir la certitude que le protocole de fin de vie ne s’appliquera d’aucune manière contre la volonté personnelle de l’enfant. Une commission d’évaluation sera chargée a posteriori, en lien avec le ministère public, de vérifier le respect des conditions légales au cas par cas.
La lettre par laquelle le ministre Kuijpers annonce sa volonté note que dans certains cas – quelque 5 à 10 par an, pas plus, dit-on – l’enfant souffre d’une manière telle que les soins palliatifs ne parviennent pas le soulager. La sédation profonde peut alors s’employer – et dans ce cas il n’y a pas nécessairement intention de donner la mort ou d’abréger la vie, mais de lutter contre une douleur qui ne cède devant rien d’autre – mais cette solution, pas immorale en soi, n’est pas acceptée par certains. C’est par choix, voire par idéologie que le glissement vers l’euthanasie s’opère.
De même le choix d’une simple décision de l’exécutif a-t-il été dicté par la volonté de ne pas soumettre cette question hautement sensible au Parlement, où la coalition qui soutient le gouvernement n’affiche pas d’unité sur le sujet.
Souffrance des enfants, souffrance des parents
Les exemples qui sont donnés pour justifier la mise à mort délibérée sont terribles : on parle ainsi d’un enfant qui a hurlé à l’aide pendant trois jours en se frappant la tête avant de succomber d’une tumeur au cerveau ; ou d’enfants qui font des crises d’épilepsie quasiment en continu. La souffrance des parents devant ce que vit leur enfant fait évidemment partie de l’équation.
Mais tout se passe comme si l’euthanasie était la seule solution, l’unique horizon. Et on comprend pourquoi dans le contexte : aux Pays-Bas ; l’euthanasie devient peu à peu la norme, ou plus exactement, chose normale. 5 % des décès par euthanasie, c’est une petite proportion, mais elle est suffisante pour que chaque Néerlandais ait eu un proche, un ami, un collègue qui l’a choisie, et que l’approbation sociale se soit ainsi très largement étendue. Et il n’y a pas de raison d’améliorer les soins palliatifs – d’où cette course vers le « toujours plus ».
Ce « toujours plus » est en train d’ouvrir la porte à la mise à mort imposée aux plus faibles en la justifiant par la perception qu’ont des tiers – fût-ce leurs parents – de leurs souffrances. C’est un premier pas vers l’élimination à grande échelle des plus âgés, des plus malades, de tous ceux qui ne peuvent pas encore ou qui ne peuvent plus exprimer leur volonté.
Bien entendu, il n’est pas question ici de dire que l’expression de la volonté justifie l’euthanasie, la « mort choisie ». Mais cette dérive montre bien qu’en légalisant l’euthanasie, on a préparé le terrain à la mort choisie… par d’autres.
Et Dieu dans tout ça ? On n’en parle même plus.