Maîtriser la vie depuis son commencement (et même avant) jusqu’à son terme : telle est la tentation mortelle qui s’offre de manière de plus en plus insistante à l’homme – nouvelle déclinaison du mensonge auquel il céda dans le jardin des origines, « Vous serez comme des dieux ». La proposition de loi d’Olivier Falorni est arrivée en commission à l’Assemblée nationale en début de semaine, et par la volonté d’Emmanuel Macron et de son gouvernement, elle sera discutée en séance plénière à partir du 12 mai, avant le vote solennel programmé pour le 27 mai. L’objectif : légaliser, sans le nommer, le suicide assisté et, lorsque celui-ci s’avère impossible du fait d’une incapacité du patient, l’euthanasie. On parle beaucoup, ces jours-ci, de cette fuite en avant vers une nouvelle transgression, en énumérant des critiques fort justes. Mais la principale fait le plus souvent défaut, y compris dans la bouche de nos évêques et cardinaux. Elle est pourtant essentielle : supprimer volontairement une vie humaine innocente, et à plus forte raison supprimer la sienne propre, c’est manifester une révolte contre Dieu, auteur de la vie, par qui tout l’univers créé subsiste. C’est sa loi qui nous dit, en son 5e commandement : « Tu ne tueras pas l’innocent. »
Un mot sur cette innocence. Certes, nul n’est innocent devant Dieu sans sa grâce… Mais il s’agit ici de l’innocence devant les hommes. L’interdit fondateur de toute vraie civilisation ne connaît que quelques exceptions : celui-là peut être tué qui est convaincu d’un crime grave, encourant la peine de mort, ou celui qui menace un innocent, dès lors en droit de se défendre. Ou, sur un autre plan, celui qui participe à une guerre.
Il s’agit, encore, de considérer l’homme tel qu’il est : poussière qui redeviendra poussière, mais aussi personne créée à l’image de Dieu, corps et âme, appelé à devenir enfant de Dieu et à partager, par sa grâce, son ineffable bonheur dans l’au-delà.
Euthanasie ou suicide assisté, c’est la même révolte contre Dieu
C’est pourquoi on ne peut abattre l’homme comme un chien ou un cheval blessé. De par sa nature raisonnable et par sa liberté, il est soumis à une loi morale : à la loi naturelle, à la loi de Dieu. Il est inscrit dans son cœur qu’il n’a pas le droit de tuer : dans une société normalement constituée, on recule en effet d’horreur devant l’assassin, parce qu’il prend ce qui ne lui appartient pas, et que ce faisant, il sème la souffrance et l’effroi, la tristesse et le deuil.
Cette loi qui interdit de tuer n’est pas un poids arbitrairement posé sur les épaules d’une humanité asservie par un Dieu tyrannique : elle est condition de paix et d’ordre social, et si elle est loyalement et pleinement observée – comme tous les commandements de Dieu – elle conduit à la joie qui n’est pas de ce monde, ici-bas comme dans l’au-delà.
« Les décrets de Yahweh sont vrais : ils sont tous justes. Ils sont plus précieux que l’or, que beaucoup d’or fin ; plus doux que le miel, que celui qui coule des rayons. Ton serviteur aussi est éclairé par eux ; grande récompense à qui les observe », dit le Psalmiste. Ses chants sont remplis de cette sagesse qui dans le commandement, voit la bienveillance de Dieu.
Il est fort à craindre, hélas, que dans quelques mois, les parlementaires ajoutent un nouvel affront à cette loi. Quand on a mis une main sacrilège sur le plan de Dieu pour l’homme, en empêchant la conception de nouveaux êtres humains appelés au bonheur éternel, en chassant l’enfant déjà conçu par toutes sortes de sanglants attentats, en séparant l’amour de la vie, mais aussi la vie de l’amour par la procréation artificielle ou la location d’utérus, en soumettant les embryons au tri sélectif en attendant de s’accaparer du message de la vie lui-même, alors toute violence devient possible et la mort règne en maître. Et c’est bien ce qui se passe sous nos yeux.
L’euthanasie et le suicide assisté font du médecin un tueur
L’euthanasie, ou le suicide assisté qui fait aussi du médecin un tueur, ne sont qu’une déclinaison logique et inévitable de l’irrespect de la vie qui depuis un an, a été érigé en liberté constitutionnelle sans que personne, ou presque, n’y prenne garde. La vie dérange-t-elle ? On est en « droit » de la supprimer. Ma vie – souffrante, amoindrie, affaiblie – me dérange-t-elle ? Je vais pouvoir dire « stop ». Signifier au Dieu qui m’a créé que cela suffit, que je détruis ce cadeau trop pesant, qu’Il se trompe et qu’Il m’a trop accablé.
C’est cela, l’autonomie et l’auto-détermination du patient qui sont la véritable trame de la loi Falorni : pouvoir solliciter son médecin pour qu’en quinze jours, il produise un permis de tuer (et s’il ne le fait pas, un tribunal administratif pourrait ensuite le délivrer à sa place), et dès 48 heures révolus, qu’il tende au « suicidé » sa potion létale.
C’est une déification de la volonté de l’homme au mépris de la volonté de Dieu, qui entraîne dans sa course au mal non seulement la principale victime, le malade qui souffre, diaboliquement manipulé, mais le médecin exécutant, les complices qui l’assistent et toute la société qui à travers un vote parlementaire, aura excusé ce crime, et l’aura même jugé bon.
D’ailleurs cela peut aller plus loin, comme le montre l’exemple des pays qui ont déjà franchi le pas. Après la mort choisie – et en attendant la mort imposée – vient la mort suggérée, la mort encouragée, la mort qu’on fait miroiter comme un soulagement pour les proches, la mort qui vient résoudre le problème du poids des grands malades et des vieux qui consomment trop de frais de santé et de soins dans des sociétés où la population active n’est plus en mesure de payer pour tous. Le Canada est à cet égard sans doute l’Etat le plus avancé.
La culture de mort est avide de chair humaine, en effet ; elle la ravale au rang de celle de la bête sans âme, sans raison, sans conscience du bien et du mal.
L’euthanasie, mauvaise réponse à l’inhumanité de la mort
« Tu ne tueras pas », disent en substance les partisans de ce nouveau massacre légal qui se profile, est un commandement trop inhumain face à la détresse des grands malades, des handicapés (ou des « fatigués de vivre » dont les Pays-Bas cherchent à légaliser aussi la mort choisie). Pourtant il n’a jamais été aussi possible de soulager la douleur et d’adoucir les agonies. Il est frappant que justement au moment où les soins palliatifs s’étendent et se perfectionnent, cette demande de mort atteigne son paroxysme politique, et qu’une fois légale – comme on le voit au Pays-Bas – l’euthanasie ou le suicide assisté apparaissent comme de plus en plus désirable par la population qui y recourt toujours plus. La propagande vient toujours amplifier les effets de la loi.
Qui ose dire encore aujourd’hui que cette souffrance de la fin est avant tout miséricorde : celle de Dieu qui rappelle ainsi à chacun la réalité de la finitude de cette vie, mais aussi celle de la vie éternelle, et qui offre l’occasion de se reprendre, d’expier ses fautes, de les confesser, de s’ouvrir au dernier examen de conscience et au pardon… Ce pardon qu’Il ne cherche qu’à accorder, pour ouvrir son Paradis aux enfants égarés que nous sommes… tous.
Cet argument-là n’est guère brandi dans le combat contre la mort procurée, la mort choisie ; laïcité oblige. Et pourtant il est au cœur du sujet. Le suicide assisté, l’euthanasie directe, l’euthanasie « passive », déjà légale, qui programme intentionnellement la mort par arrêt des soins et de l’hydratation, sous « sédation terminale », privent très exactement le patient de la « bonne mort ». Pas de derniers sacrements pour les futurs suicidés : on n’obtient pas le pardon de ses fautes par anticipation !
La révolte contre Dieu, par haine de l’homme
Dieu sait pourtant combien de ses commandements sont enfreints par la mort choisie et le débat qui l’accompagne, et pas seulement le cinquième qui interdit l’homicide.
A commencer par le premier. « Un seul Dieu tu adoreras ; et aimeras parfaitement » : c’est la reconnaissance du Créateur par l’être créé, par l’homme capable d’amour. L’infini de l’amour de Dieu, nous le connaissons : il se manifeste visiblement sur la Croix où le Fils de Dieu fait homme accepte la mort et remet son âme au Père dans un grand cri de consentement, pour que nous ayons la vie éternelle… Sa mort donne un sens à toute souffrance : comme le dit saint Paul, « ce qui manque aux souffrances du Christ en ma propre chair, je l’achève pour son corps, qui est l’Eglise ». Dans la souffrance, Jésus-Christ rejoint l’homme et lui accorde son soutien, la grâce nécessaire pour traverser l’épreuve. Refuser cette épreuve, c’est, mystérieusement, refuser l’amour…
Comprendre la souffrance… à tous les niveaux !
Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas soulager la douleur : la religion catholique enseigne le soutien mutuel. Panser les plaies, consoler, adoucir l’épreuve quand on ne peut plus guérir est naturel pour le chrétien, ou devrait l’être. Ne doit-on pas aimer son prochain comme soi-même, selon le commandement qui est semblable au premier ?
En vérité, le débat autour de l’euthanasie met en lumière le manque de charité qui laisse des vieillards, des malades, des mourants crever de solitude et d’abandon. Entourés, écoutés – les spécialistes de soins palliatifs en témoignent souvent – les malades ne réclament pas la mort. Nos générations qui ont détruit tant de vies naissantes ne sont-elles pas particulièrement appelées à protéger et à accompagner les plus anciens et les plus fragiles, dans leurs derniers instants ?
« Tes père et mère honoreras, afin de vivre longuement », dit encore le quatrième commandement. C’est le seul commandement assorti d’une promesse, et cette promesse, c’est la « longue vie », don de Dieu : il ne s’agit donc pas d’y mettre fin, ni en portant atteinte à la vie de nos parents, ni en considérant la longue vie comme un mal.
Et comme toujours, le huitième commandement, « Faux témoignage ne diras, ni mentiras aucunement », est violé à longueur de propagande médiatique : c’est le mensonge odieux qui présente comme « mort douce » les crimes d’homicide et de suicide, et qui parle de mort « digne » alors que la dignité de l’homme est d’obéir aux commandements du Dieu d’amour.
Il y a un autre commandement, ou plutôt une mise en garde, qui vient à l’esprit : « Si vous ne vous changez de façon à devenir comme les petits enfants, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux. » Au moment de la mort aussi, où les portes du salut s’ouvrent ou se ferment pour de bon, il nous est demandé de nous tourner vers le Père comme des enfants confiants : « Endormez-moi dans votre paix certaine, entre les bras de l’espérance et de l’amour. »