L’« évaluation psychiatrique », un outil de répression soviétoïde contre les prêtres traditionnels ? Les leçons de l’affaire Kalchik

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L’affaire de ce prêtre que le cardinal Cupich de Chigago a prétendu envoyer en « évaluation psychiatrique » parce qu’il a brûlé un drapeau arc-en-ciel utilisé de manière sacrilège dans sa paroisse avant qu’il n’y soit installé comme curé serait-elle l’arbre qui cache la forêt ? C’est ce que pense le P. John Zuhlsdorf, l’un des blogueurs catholiques les plus influents au monde. Il a mis en ligne mardi un article véritablement terrifiant où il affirme avoir été contacté à plusieurs reprises ces derniers mois par des prêtres, ainsi qu’un religieux, envoyés en « évaluation psychiatrique » par leur supérieur hiérarchique. Sommes-nous en face d’une nouvelle tactique sovietoïde employée par des évêques contre des prêtres qu’il n’apprécie pas – et plus exactement, par des évêques progressistes contre des prêtres affichant leurs préférences traditionnelles ?
 
Le P. Zuhlsorf, auteur de Fr. Z’s Blog, est un ancien luthérien converti, ordonné prêtre par Jean-Paul II en 1991, très attaché au rite tridentin. Ses messages sont habituellement précis, modérés au bon sens du terme, intelligents, érudits. Crédibles en un mot. Ce qu’il écrit sur la pression psychiatrique sur les prêtres ne semble pas, mais alors pas du tout, relever de l’affabulation.
 

L’évaluation psychiatrique des prêtres dépasse largement le cas Kalchik

 
Voici ce qu’il a constaté en écoutant ces prêtres qui s’adressent à lui pour faire part d’une expérience qui a été peu ou prou celle du P. Paul Kalchik, cité plus haut. C’est une réalité marquée par des constantes. Le prêtre concerné se trouve au milieu d’une controverse quelconque – soit qu’il ait prêché contre la contraception, au grand dam de quelque paroissienne, soit qu’un fidèle ou un employé l’ait trouvé « froid » ou « distant ». On s’en plaint à l’évêque. Celui-ci fait pression sur le prêtre afin qu’il aille subir une « évaluation ». Le prêtre, « avec beaucoup d’appréhension », obéit. A l’issue d’une semaine ou deux d’évaluation, il apprend que tout va à peu près bien.
 
« Peu après, il est convoqué au bureau de l’évêque, où on lui dit que le rapport envoyé par la clinique à l’évêque est tout autre. Le diagnostic tombe – toujours à peu près le même : le prêtre souffre de narcissisme et il est borderline bipolaire. Alors l’évêque renforce vraiment la pression pour inciter le prêtre à retourner à la clinique pour un “traitement”. On lui dit que cela prendra environ trois mois. Mais une fois sur place, on lui confisque son téléphone portable et même son rasoir, on lui administre toutes sortes de médicaments, on vérifie et on contrôle ses courriels, et il apprend qu’il est là pour six mois. Le film d’épouvante commence », écrit le P. Zuhlsdorf.
 
Celui-ci constate que ces prêtres sont en général conservateurs ou traditionalistes. Par le témoignage d’un de ses amis qui a subi le traitement, il sait qu’on les incite à lire des choses « incroyables ». « Le fait qu’il sont conservateurs est important, parce que les conservateurs ont tendance à obéir » – chose dont ces évêques profitent.
 

Father Z., John Zuhlsdorf décrit la répression soviétoïde réservée à des prêtres traditionnels

 
Father Z. reconnaît que certains prêtres peuvent effectivement avoir besoin d’aide sur le plan psychiatrique. « Mais des évêques utilisent ce processus pour extirper les conservateurs ou les traditionalistes de leur diocèse. Et je soupçonne l’existence d’une action concertée. Pourquoi ? Au cours de cette dernière année, il y a eu une période de quelques mois au cours de laquelle plusieurs prêtres m’ont contacté pour me dire qu’ils allaient en taule psy sur ordre de leurs évêques. Avant cette date, je n’avais eu aucun appel ou contact de ce type. Cela a commencé subitement, comme si certains évêques avaient décidé entre eux que c’était un bon moyen de se débarrasser des trublions. C’est presque comme si, lors d’une de leurs réunions, en sirotant leur cocktail du soir, l’un d’eux avait marmonné contre tel prêtre vraiment traditionnel répandant ses idées sur le latin et les bancs de communion. Un de ses potes, servant encore un cocktail, se fait soudain entendre : “Je vais te dire ce qui fonctionne. Envoie-le à St. Luke pour une évaluation. Ils te renverront quelque chose qu’on pourra utiliser contre lui, d’une façon ou d’une autre. C’est cher, mais ça marche.” “Dis donc, Bill, c’est une bonne idée, merci ! Je vais dire ça à Bouboule et à Dormeur. Ils ont des types comme ça eux aussi.” »
 
Le « traitement » est onéreux mais l’effet est décuplé : l’infliger à un prêtre constitue à la fois un avertissement à l’ensemble du presbytérat. « Sur le long terme, même si cela coûte cher, la dépense vaut la peine sur le plan idéologique », observe John Zuhlsdorf.
 
St. Luke’s Institute est précisément l’établissement où Cupich prétendait envoyer le P. Kalchik – qui a préféré s’enfuir et se cacher. Tout semble indiquer qu’il a fait l’objet de l’ire du cardinal Cupich pour avoir « blasphémé contre l’homosexualité », comme l’écrit avec un remarquable sens de la formule Rod Dreher sur son blog, The American Conservative. L’auteur du Pari bénédictin laisse dans cet article la parole à un prêtre de paroisse qui lui a envoyé ses commentaires sur « l’assistance » psychiatrique « proposée » au P. Kalchik, confirmant l’analyse du P. Zuhldorf.
 

Un prêtre de paroisse confirme la pratique des évaluations psychiatriques

 
En voici la traduction intégrale :
 
« Il n’y a rien que les laïcs puissent faire pour protéger les prêtres. Les évêques ont sur nous une autorité totale. Nous pouvons certes nous en aller. Nous pouvons partir. Mais Kalchick (sic) est un très bon exemple de ce qui se produit lorsqu’un prêtre se dresse contre le projet de son évêque. En tant que prêtre, il est probablement fini.
 
« Il peut se soumettre en allant à St. Luke’s pour se faire évaluer, mais St. Luke’s se trouve aussi dans le cadre d’une alliance avec les évêques. Ce sont les évêques qui paient la note. Lorsqu’un prêtre y va, il est obligé de signer une décharge permettant que tout ce dont il parlera puisse être transmis à l’évêque du diocèse. Par conséquent, comment peut-on supposer qu’il puisse régler les vrais problèmes psychologiques qu’il pourrait avoir s’il sait que tout ce qui le concerne sera communiqué à l’évêque et archivé, voire publié ou utilisé contre lui ? Le fait est que le prêtre n’est pas libre. Il s’agit d’un environnement contraignant. C’est un environnement truqué au détriment des prêtres et l’information qui en sort peut être utilisée par les évêques pour continuer de manipuler ces prêtres pendant des années, toujours au prétexte de vouloir “garder le père X en bonne santé”. Ce qu’ils cherchent réellement à faire, c’est à reconditionner les prêtres afin que ceux-ci agissent dans les limites d’un cadre sécuritaire précis permettant d’éviter la mauvaise publicité ou la survenue de problèmes. Cela a des relents un peu orwelliens, n’est-ce pas ?
 
« Un autre aspect de tout cela est que les évêques sont obligés de prendre une assurance responsabilité pour leurs prêtres, et si les prêtres ont quelque problème de ressources humaines ou un problème professionnel dans leur paroisse, les sociétés d’assurances demandent aux évêques de les envoyer vers des institutions comme St. Luke’s pour y subir une “thérapie de reconditionnement” dont ils n’ont pas du tout besoin. Ces prêtres n’ont aucun besoin réel d’assistance psychologique, mais pour que le diocèse puisse assurer leur couverture par une assurance responsabilité, la compagnie d’assurance fait pression sur l’évêque afin que celui-ci démontre avoir pris des mesures pour réduire les risques. Un programme de St. Luke comportant six mois d’incarcération et de thérapie suivie de cinq années de programmation en ambulatoire constitue exactement ce type de programme. Tout cela est noté dans le dossier du prêtre et pourra lui être opposé tout au long de sa carrière, et répété chaque fois qu’il sortira des rangs.
 
« Notez que rien de tout cela n’a de rapport avec des abus commis sur des enfants. Certaines affaires peuvent être en lien avec un échec moral ou une mauvaise décision. Ce peut même être des décisions qui auraient coûté leur emploi à des laïcs. Mais dans le sacerdoce, on vous infligera la honte de six mois d’incarcération dans une institution fermée, et des traitements psychologiques forcés dont même ces institutions savent que vous n’en avez nul besoin. Mais elles participent à l’imposture parce que cela représente de gros revenus et que cela leur permet de se sucrer grâce à la nécessité où se trouve l’évêque de couvrir sa responsabilité. Cela arrive très fréquemment à des prêtres à travers le pays. »
 

Ces prêtres traditionnels soumis à un traitement psychiatrique forcé alors qu’ils ne sont pas malades

 
Le P. Zuhlsdorf poursuit : « C’est un vrai problème. Soyez aux aguets. C’est ce que faisaient les communistes dans l’ex-Union soviétique. Si une personne était dissidente, c’était forcément qu’elle était atteinte d’une maladie mentale. Il fallait les tuer ou les envoyer dans les camps pour la plupart, mais non sans diagnostiquer chez certains d’entre eux, une “ schizophrénie léthargique” pour ensuite les “traiter”… pour encourager les autres. Les nouvelles vont vite à propos de ce qui attend les dissidents. »
 
Father Z. témoigne pour finir de ce qui est arrivé à prêtre ami passé par une de ces institutions : « Après quelques mois de “traitement” j’avais peine à reconnaître sa conversation, il n’arrivait pas à se focaliser, il peinait à articuler. »
 
Tout cela est-il nouveau ? Au plus fort de la révolution liturgique, des prêtres français étaient soumis à un « recyclage » (c’était le terme officiel) qui modifiait profondément leur discours moral et dogmatique. Les méthodes sont peut-être différentes, celles d’aujourd’hui, cliniques, aux Etats-Unis, semblent plus violentes psychologiquement, mais au fond il s’agit de déclinaisons plus ou moins agressives d’une même chose : le lavage de cerveau.
 

Jeanne Smits