Après Mgr Romero, l’évêque argentin Mgr Enrique Angelelli sera à son tour béatifié comme martyr – malgré de sérieux doutes

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Le substitut pour les affaires générales de la Secrétairerie d’Etat du Saint-Siège, Mgr Edgar Peña, vient de signifier à l’évêque émérite de La Rioja en Argentine – l’actuel archevêque de Mendoza – que la béatification de Mgr Enrique Angelelli et de ses compagnons martyrs aura lieu le 27 avril 2019. Le cardinal Angelo Becciu, préfet de la Congrégation pour la cause des saints, se rendra à cette occasion dans le diocèse de La Rioja où Angelelli serait mort assassiné le 4 août 1976. Alors que la date de la reconnaissance officielle de son « martyre » approche, la contestation gronde en Argentine parmi de nombreux catholiques pour qui rien de permet d’affirmer avec certitude que Mgr Angelelli a été tué en haine de la foi.
 
On sait au contraire que l’évêque se distinguait par sa proximité avec la théologie de la libération et par son engagement à gauche, qui avait certes pu le faire mal voir lors de ce que celle-ci appelle la « sale guerre » en Argentine alors que les militaires étaient au pouvoir. Angelelli est mort dans un accident de voiture dont on dit aujourd’hui qu’il a maquillé sa mise à mort volontaire. Mais quoi qu’il en soit, l’hostilité dont il faisait l’objet avait trait à ses activités politiques.
 

Sérieux doutes quant aux motifs de la mort de l’évêque argentin Mgr Enrique Angelelli

 
Le dernier sceptique à s’être manifesté est l’évêque émérite aux Armées en Argentine, Mgr Antonio Juan Baseotto, qui a connu l’évêque de la Rioja au cours des années 1970 et qui dans une lettre rendue publique pour un journaliste de La Razón, a exprimé ses « très graves doutes » sur le supposé martyre d’Angelelli. Mgr Baseotto y juge que la béatification de l’évêque « n’est pas seulement erronée mais entraînerait des conséquences malheureuses pour la paix en Argentine ».
 
« Clairement, s’il était vrai qu’il avait été tué par les militaires, cela n’aurait pas été pour sa foi, mais en raison de son engagement avec les forces de la gauche alors présentes à La Rioja et qui sont aujourd’hui au pouvoir, auquel ils sont parvenus de manière très habile », affirme Mgr Baseotto.
 
Celui-ci affirme avoir connu Angelelli alors que celui-ci était évêque auxiliaire de Cordoba et venaient fréquemment rendre visite au couvent rédemptoriste de Villa Allenda : « Il venait voir un de nos prêtres, le Père Félix Casá, professeur d’Ecriture sainte qui nourrissait des idées, sinon subversives, du moins très voisines de celles-ci. Parmi nous, on avait de la considération pour son zèle apostolique et pour sa proximité avec le peuple de son diocèse de La Rioja. Mais c’était avec précaution et inquiétude : il était très proche des groupes d’idéologie subversive. Les photographies que l’on m’a fait parvenir il y a quelques années confirment ce malaise. »
 

Mgr Enrique Angelelli sera béatifié comme martyr – au grand dam de nombreux catholiques argentins

 
Ayant eu par la suite la possibilité de rencontrer le successeur de Mgr Angelelli, Mgr Whitte, Baseotto a pu constater que celui-ci « avait enquêté en faisant appel à des personnes spécialisées sur les faits et gestes de son prédécesseur ». « Il affichait la même crainte : complicité avec des milieux subversifs… mort dans un accident », rapporte Mgr Baseotto.
 
C’est en 2002 que celui-ci a été nommé évêque aux Armées. Lui qui ne connaissait pas ce milieu a pu y constater le malaise suscité par les interprétations données sur la mort supposément violente de Mgr Angelelli.
 
« Je sais que celui qui est aujourd’hui détenu (le Comodoro Estrella) vit sa situation avec hauteur – mais il nie totalement la version officielle de l’assassinat commandité par les Forces armées. (…) Il m’arrive de visiter avec une certaine fréquence les militaires emprisonnés. Je sais que la béatification de Mgr Angelelli comme martyr va en faire trébucher plus d’un dans la foi », avertit Mgr Baseotto.
 
Ces mises en garde interviennent peu de temps après l’expression d’autres doutes de la part d’un groupe d’avocats et d’ex-juges qui ont présenté un dossier à Rome pour mettre un frein à la procédure de béatification de l’évêque de La Rioja. N’ayant toujours pas reçu en octobre de réponse à ce dossier envoyé en juillet dernier, leur association a décidé de rendre leurs objections publiques.
 

L’engagement très à gauche de Mgr Enrique Angelelli l’a conduit à s’opposer durement à une partie de ses ouailles

 
Le dossier et sa lettre d’accompagnement ont été adressés au cardinal Robert Sarah et au cardinal Angelo Becciu, pour jeter le doute sur le martyre d’Angelelli dans la mesure où celui-ci a pu hâter la procédure de béatification. C’est la lettre qui a été rendue publique. Elle rappelle dans un premier temps que les différents éléments du dossier, qu’il s’agisse des rapports de police ou des éléments judiciaires, tout comme les conclusions des expertises des médecins légistes, ont conclu à la mort accidentelle de l’évêque. Les dossiers n’ont été rouverts en 1983 et en 2014 que sous l’effet de la « clameur » des organisations d’extrême gauche, « à l’intérieur et à l’extérieur de l’Eglise ». Pour ces avocats, juges et autres lettrés, la version de l’attentat criminel perpétré par les Forces armées ne repose que sur les dires du frère capucin Antonio Puigjané, « sans le moindre élément de preuve ». Ils affirment que le jugement par lequel deux chefs militaires ont été condamnés en 2014 comme commanditaires de l’assassinat du prélat a été rendu sans l’apport de nouveaux éléments par rapport aux procès antérieurs.
 

Des penchants pour les tiers-mondistes et les guerilleros

 
Le groupe apporte également d’abondantes preuves des penchants tiers-mondistes de Mgr Angelelli, qui faisait montre de sympathie à l’égard de groupes de guerilleros comme les Montoneros. A l’inverse, ils rappellent les « affrontements durs qu’il a suscités à l’encontre d’importants groupes de fidèles qui n’admettaient pas le tour idéologique » qu’il imprimait à son diocèse.
 
La lettre sollicite des deux dicastères qu’ils considèrent l’hypothèse de l’accident comme « la plus probable étant données les preuves existantes », et qu’il tienne compte de ce que la conduite de Mgr Angelelli dans son diocèse était compromise avec des théories et des mouvements éloignés de la doctrine catholique. Le groupe propose d’apporter davantage de données et de collaborer avec l’enquête.
 
Les uns et les autres n’auront pas été écoutés : on ne leur a même pas dit qu’ils avaient été entendus. A croire que la béatification prochaine de Mgr Angelelli obéit d’abord à des motivations idéologiques.
 

Jeanne Smits