C’est un vrai paradoxe : alors que le plus grand secret règne sur les opérations internes du Synode sur la synodalité, toute la communication à leur sujet étant réservée à la Salle de presse du Vatican et les participants ayant été invités au secret, même au sujet de leurs propres interventions, le site d’informations officiel Vatican News a publié un texte critique (quoique formulé avec diplomatie) quant à la nature prétendument synodale de la réunion qui se tient du 4 au 26 octobre à la salle Paul VI jouxtant Saint-Pierre. Il est vrai que l’auteur du texte est un évêque orthodoxe, le Métropolite Job (Getcha) de Pisidia, venu au titre de la présence lors de ce « synode des évêques » non seulement de laïcs catholiques, dont certains munis du droit de vote, mais de représentants (non votants) d’autres Eglises orthodoxes et de diverses églises protestantes.
Voilà qui renforce la conviction qui se fait de plus en plus insistante parmi les critiques de ce rassemblement que certains qualifient de « Révolution d’Octobre dans l’Eglise » : ceci n’est pas un synode. Autrement dit, les conclusions auxquelles il doit aboutir, ou plus exactement, en vue desquelles il a été taillé sur mesure, n’auront aucun poids véritable en elles-mêmes. Cela ne met pas à l’abri de manipulations mais montre bien que cet ovni dans l’organisation de l’Eglise ne peut à lui seul porter atteinte à cette dernière.
Le synode sur la synodalité n’est pas un synode
Cependant, le Métropolite Job ne va pas jusque-là, fournissant un exemple unique et révélateur d’une démarche similaire qui eut lieu à Moscou en 1917-1918, alors que la Révolution bolchevique battait son plein.
Voici la traduction intégrale de l’intervention du Métropolite Job :
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Intervention de Son Éminence le Métropolite de Pisidie Job (Getcha)
XVIe Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques
Vatican, 9 octobre 2023
Votre Sainteté,
Chers frères et sœurs dans le Christ,
Avant tout, je voudrais exprimer ma gratitude pour l’honneur qui a été fait à l’Eglise orthodoxe de participer à ce Synode des évêques, et au premier trône de l’orthodoxie, le Patriarcat œcuménique, d’être représenté ici, et de pouvoir s’exprimer pour témoigner de la pratique de la synodalité dans l’Eglise orthodoxe.
Pour les orthodoxes, la synodalité correspond à la pratique établie par le premier concile œcuménique (Nicée, 325) de réunir les évêques d’une région au moins deux fois par an sous la présidence de leur protos (cf. canon 5). Cette synodalité est parfaitement décrite par le canon apostolique 34 :
« Les évêques du peuple d’une province ou d’une région [ethnos] doivent reconnaître celui qui est le premier [protos] parmi eux, le considérer comme leur chef [kephale] et ne rien faire d’important sans son consentement [gnome] ; chaque évêque ne peut faire que ce qui concerne son propre diocèse [paroikia] et les territoires qui en dépendent. Mais le premier [protos] ne peut rien faire sans le consentement de tous. Car c’est ainsi que régnera la concorde [homonoia] et que Dieu sera loué par le Seigneur dans l’Esprit Saint. »
Ainsi, à la lumière de ce texte, il apparaît que :
1) Un synode est une réunion délibérative d’évêques, et non une assemblée consultative de clercs et de laïcs.
2) Il ne peut y avoir de synode sans primat/protos, et il ne peut y avoir de primat/protos sans synode.
3) Le primat/protos fait partie du synode ; il n’a pas d’autorité supérieure au synode et n’en est pas exclu.
4) La concorde/homonoia qui s’exprime à travers le consensus synodal reflète le mystère trinitaire de la vie divine.
C’est par cette pratique de la synodalité, telle que décrite par les Canons Apostoliques et les Canons du Premier Concile Œcuménique, que l’Eglise Orthodoxe a été administrée au cours des siècles jusqu’à nos jours, bien que la fréquence et la constitution des synodes puissent varier d’une Eglise locale autocéphale à l’autre.
A la lumière de ce qui précède, nous pourrions dire que la compréhension de la synodalité dans l’Eglise orthodoxe est très différente de la définition de la synodalité donnée par votre assemblée actuelle du Synode des évêques.
La pratique orthodoxe du synode
Néanmoins, il faut admettre que dans certaines circonstances historiques, l’Eglise orthodoxe a impliqué le clergé et les laïcs dans la prise de décision synodale. Dans l’empire ottoman, l’élection des primats était effectuée par des assemblées de clercs et de laïcs. Au XVIIe siècle, le Patriarcat œcuménique a prescrit que le Métropolite de Kiev soit élu par une assemblée composée de clercs et de laïcs à Kiev. Deux siècles plus tard, en Russie, les slavophiles, inspirés par la théologie de la communio de l’école de Tübingen, forgent le concept de sobornost [la conciliarité, NdT], voulant impliquer toutes les composantes de l’Eglise dans son administration. Cela a culminé au début du XXe siècle avec le conseil local de l’Eglise de Russie (Moscou, 1917-1918) qui proposait que les décisions ecclésiales soient prises par un conseil (sobor) composé de représentants de l’épiscopat, du clergé, des moines et des laïcs. Néanmoins, la révolution bolchevique n’a pas permis la mise en œuvre de ce nouveau mode d’administration dans l’Eglise. Cependant, dans l’Eglise de Chypre, jusqu’à aujourd’hui, les évêques sont élus non seulement par l’épiscopat, mais aussi par le clergé et les laïcs : dans un premier temps, toute la population de l’île vote à partir de la liste de tous les candidats, puis, dans un deuxième temps, le synode des évêques choisit l’un des trois candidats ayant obtenu la majorité des voix.
Néanmoins, le cas de l’Eglise de Chypre constitue un cas exceptionnel dans l’orthodoxie contemporaine, où, par ailleurs, la pratique de la synodalité implique exclusivement une assemblée d’évêques. Ainsi, le Saint et Grand Concile (Synode) de l’Eglise orthodoxe qui s’est réuni en Crète en 2016 était composé de 162 évêques délégués, tandis que les 62 conseillers (clercs, moines et laïcs) présents n’avaient le droit ni de s’exprimer, ni de voter.
Merci de votre attention !
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On note là plusieurs choses. Bien sûr et au premier chef, le fait que la synodalité orthodoxe dont se réclament les organisateurs du synode sur la synodalité ne correspond pas à une réalité. Dans une conférence donnée à la veille de l’ouverture de ce dernier, le cardinal Raymond Burke l’avait observé :
« On entend souvent dire que cette insistance sur la synodalité de l’Eglise n’est rien d’autre que la réappropriation d’une caractéristique ecclésiale que l’Eglise d’Orient a toujours sauvegardée. J’ai des contacts réguliers avec des évêques et des prêtres orientaux, tant catholiques qu’orthodoxes, qui m’ont tous dit que la manière dont le synode actuel est organisé n’a rien à voir avec les synodes orientaux. Cela vaut non seulement en ce qui concerne la place des laïcs dans ces assemblées, mais aussi, plus généralement, pour ce qui est de leur mode de fonctionnement et même des questions qu’elles abordent. Il y a une confusion autour du terme de synodalité, que l’on tente artificiellement de rattacher à une pratique orientale, alors qu’il a en réalité toutes les caractéristiques d’une invention récente, concernant notamment le laïcat. »
On remarque aussi que parmi les exemples donnés par le Métropolite Job d’interventions de clercs non évêques et de laïcs dans la prise de décision synodale, il n’est effectivement question que d’élections de primats ou d’évêques, ce qui n’a rien à voir avec une délibération sur un point de doctrine.
Un évêque orthodoxe renvoie au Concile de Moscou
Enfin, l’exemple unique du Concile de Moscou, qui s’est déroulé en Union soviétique, d’ailleurs en proie à la persécution communiste, est intéressant car ce Concile affichait à peu près les mêmes préoccupations et abordait, toutes proportions gardées, de nombreux thèmes à l’affiche du Synode sur la synodalité, cherchant cependant à affranchir l’Eglise orthodoxe de ses liens avec le pouvoir séculier, tout en restaurant le patriarcat de Moscou. Liens dont on sait qu’ils ont été finalement très étroits avec le pouvoir soviétique et demeurent toujours étroits avec le pouvoir actuel.
Curieux héritage, et il est à noter qu’un dominicain français spécialiste du concile de Moscou, le P. Hyacinthe Destivelle, est parmi les « experts et facilitateurs » participant au synode. Le résumé du livre du P. Destivelle reconnaît la pertinence de la comparaison de ce concile de Moscou avec Vatican II…