Interdit par l’islam pour « propagande sioniste », Exodus est un grand film religieux

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Dès avant sa sortie, le dernier film de Ridley Scott, Exodus, a provoqué une polémique politique passionnée en pays d’islam et s’est trouvé interdit dans deux pays sensibles, le Maroc et l’Egypte, pour « propagande sioniste ». Il s’agit pourtant d’un grand film religieux qui retrace la fuite de Moïse et des siens d’une manière qui peut convenir tant aux chrétiens qu’aux hébreux de l’Antiquité, bien plus qu’aux Israéliens d’aujourd’hui ou aux juifs sionistes disséminés dans le monde.
 
Pour la période de Noël sont proposés aux spectateurs, assez régulièrement, des films à sujet religieux chrétien, destinés en priorité au public américain, le grand marché visé. Ils prennent souvent la forme de dessins animés, ciblant particulièrement les familles. Ainsi, l’épisode biblique de l’Exode a-t-il été proposé au cinéma dans le dessin animé le Prince d’Egypte, en décembre 1998, transposition fade et inoffensive. On oserait espérer un jour pour Noël un bon film sur le Christ, chose rare, qui ne s’est pas renouvelée depuis la Passion de Mel Gibson. Le film était d’ailleurs sorti pour le Carême 2004 et non l’Avent, ce qui correspond mieux au calendrier liturgique catholique.
 
A défaut de la figure du Christ est donc proposée à nouveau celle de Moïse, suivant le livre biblique de l’Exode. Fait agaçant, il est diffusé en France en dépit de la loi Bas-Lauriol de 1975, de plus en plus méprisée, sous le titre anglais original : Exodus, Gods and Kings. Le Québec impose Exode, dieux et rois comme il se doit. Exodus renvoie à juste titre à sa source d’inspiration principale, le deuxième livre du Pentateuque. Il n’y a nulle tromperie sur le produit. Les dieux et rois sont ceux de l’Egypte antique. Ils sont impuissants, malgré une gloire humaine apparente dans la situation originale, face à la volonté divine, exprimée par un ange et par Moïse.
 
Moïse est présenté de façon plutôt respectueuse comme chef des Hébreux, à leur tête dans leur cheminement de l’Egypte à Canaan, ou ses approches méridionales plus exactement. Il a accompli une œuvre essentielle de législation religieuse et civile, les deux ne se séparant pas à l’époque, ce qui est également montré. Le tout est placé sous le signe de l’inspiration et même de l’action divine, à travers les Dix Plaies d’Egypte et la Traversée pédestre de la Mer Rouge. Dieu communique ses ordres par un ange, agit par son intermédiaire, ce qui est très orthodoxe et correspond à la lettre grecque de la version des Septante de l’Exode, à la différence certes de la version hébraïque qui en reste à une divinité aux actions et pensées décrites de manière assez anthropomorphique.
 

Enfin un film religieux à voir

 
Le film, osons-le dire, est globalement excellent, donc à voir. Tout n’y est pas parfait évidemment, mais à notre époque peu portée à la piété, il surprend très positivement. Nous éviterons de tomber dans la facilité consistant à être contre en permanence. Cette surprise s’avère d’autant plus vive que le réalisateur Ridley Scott avait déjà commis un film opposé nettement aux Croisades, voire au catholicisme, le Royaume des Cieux, Kingdom of Heaven en 2005. Le message profond était alors plutôt sceptique, donnant aussi une bonne image des musulmans commandés par Saladin, et avait exaspéré de ce fait le public chrétien, malgré parfois d’indéniables qualités formelles. Rien de tel, au contraire, heureusement, dans cet Exodus.
 
Exodus dépassera même probablement la référence jusque-là, sur le sujet et dans les familles chrétiennes, les Dix Commandements de Cecil B. DeMille (1956). Le réalisateur Ridley Scott, tout comme son acteur principal Christian Bale, tous deux des phares du cinéma contemporain américain, indiscutablement talentueux, ont donc réussi cet exercice difficile de transposition de l’Exode, et la projection ne choque le moins du monde, au contraire, le croyant honnête. On ne se prononcera pas sur la foi personnelle de l’un et l’autre, affaire de leur conscience devant Dieu. Ils sont tombés parfois dans d’indiscutables maladresses dans tel ou tel entretien, où précisément les journalistes imprégnés de morale maçonnique actuelle reprochent à l’œuvre son fumet chrétien. Ils ont aussi refusé de se placer dans toute démarche apologétique. On ne les en félicitera pas, mais ceci ne change rien à la qualité intrinsèque du film.
 
Cet Exode est à opposer au Noé récent, film qui a tout pour choquer le croyant et construit une image du patriarche monstrueusement antipathique, chef de secte familiale millénariste, suicidaire et meurtrier. Ici, Moïse inspire confiance et respect.
 

Le Moïse d’Exodus dans la tradition juive et chrétienne

 
Moïse est le véritable fondateur du judaïsme antique, qu’on peut nommer judéisme, religion des judéens, pour éviter la confusion lexicale avec le judaïsme moderne et les juifs actuels. Le judéisme, dans le cadre géographique restreint de Canaan et de Babylone, préfigure le christianisme. Au contraire le judaïsme est élaboré entre le IIIème et le VIème siècle de notre ère lors de l’écriture des Talmuds, recueil de commentaires de l’Ancien Testament et de coutumes juives compilés par de savants rabbins. Ils fondent leur croyance sur un rejet explicite du message chrétien et de la figure du Christ, objet de malédictions pour eux. Il reste que Moïse peut faire figure d’ancêtre commun majeur aux juifs et aux chrétiens, il y a plus de 3.100 ans et peut-être 3.500 ans. Le film, centré sur son personnage principal Moïse, est d’ailleurs acceptable pour des chrétiens comme des juifs. Ce statut de Moïse pour les juifs explique peut-être, partiellement, le traitement respectueux dont il fait l’objet en un film à grand spectacle hollywoodien. Toutefois, figure majeure commune, Moïse n’a pas le même sens pour les juifs et les chrétiens.
 
Les juifs voient en Moïse le fondateur de leur croyance, et le conquérant de la Terre-Promise, du moins précisément son initiateur, suivant une promesse divine qu’ils estiment toujours valable, contrairement aux chrétiens.
 

L’islam interdit la « propagande sioniste »

 
Aussi le monde arabo-musulman a-t-il hurlé au film « sioniste », en particulier l’Egypte et le Maroc, qui ont officiellement interdit la projection d’Exodus, qualifié d’œuvre de propagande en faveur de l’actuelle Entité Sioniste. Cette interprétation paraît excessive sans être totalement absurde. Du reste le film porte sur Moïse et non Josué et les Juges, ses successeurs, véritables conquérants de la Terre-Promise.
 
Pour les chrétiens, Moïse annonce la figure autrement supérieure et essentielle du Christ, qui n’est pas simplement un homme, mais Dieu incarné. Le départ des Hébreux d’Egypte, leur survie dans le désert face à un environnement et des populations hostiles, préfigurent les tribulations de ce monde et les épreuves spirituelles qui attendent le chrétien. Ce départ suit la célébration, modeste, instituée par Moïse à cette occasion, de la Pâques. Le christianisme a repris le symbole de l’agneau pascal, véritable agneau sacrifié et mangé pour la Pâques judéenne, et qualifie le Christ d’Agneau de Dieu qui enlève le péché du Monde.
 
Dans Exodus, Moïse chemine spirituellement, passe d’une incroyance générale fondée sur le constat de l’absurdité des rites superstitieux du polythéisme égyptien, ceux de son éducation égyptienne, à la découverte de la vérité religieuse à travers les interventions d’un ange qui dialogue à de multiples reprises avec lui. L’esprit moderne peut croire à une forme de maladie mentale, la schizophrénie, qui implique typiquement le dialogue avec des personnages imaginaires. Bien qu’ils n’usassent pas en la matière d’un vocabulaire pédant, les hommes de l’Antiquité n’étaient pas des imbéciles pour autant et savaient se méfier de leur imagination. La réalité de l’existence de l’ange est démontrée par ses actions. Un illuminé voulant libérer les Hébreux de leur sort funeste en Egypte ne serait arrivé à rien, ou, au plus, aurait péri dans le désert avec ses partisans. Là, non, l’ange agit, suscite une à une les différentes Plaies d’Egypte et les autres miracles. Son action est des plus claires dans la dernière Plaie, le massacre silencieux et non-sanglant, mais général, des enfants des Egyptiens. Mal nécessaire et inévitable selon lui, face aux protestations d’un Moïse répugnant à cette mesure extrême. Les anges n’ont pas de sentiments, vérité qu’il faut rappeler, encore qu’elle soit dure a priori pour notre sensibilité humaine. Ils servent Dieu. Les dialogues de Moïse avec l’ange rendent plutôt sympathique le chef des Hébreux.
 

Malgré certains détails, l’histoire est en gros respectée

 
Tout en possédant une dimension religieuse essentielle, ce Moïse s’inscrit dans l’histoire de l’Egypte de son temps, celle du Nouvel Empire, de -1500 à -1000. Le contexte général, surtout pour un non-égyptologue, ne paraît pas globalement aberrant et les décors sont beaux. Le film s’inspire visiblement aussi de romans historiques plaçant l’existence de Moïse au temps de Ramsès II (-1280,-1210), mais moins que les Dix Commandements. Moïse aurait sauvé sa vie à Qadesh, face aux Hittites, lors d’une bataille majeure mais confuse, Pharaon parvenant à ne pas se faire écraser sans qu’il n’y eût de vrai vainqueur. Elle est placée ici sous le règne du père de Ramsès II, Séthi. La chose n’est pas indéfendable. Le règne de Ramsès II, un des mieux documentés, ne conserve nulle trace des fameuses Plaies d’Egypte. En outre ce souverain eut la mainmise sur le pays de Canaan. Vouloir y fuir aurait donc tenu de l’absurde.
 
Par contre l’Etat égyptien connaît de grandes difficultés sous Ramsès III (-1180, -1150) par ailleurs un des derniers pharaons grands bâtisseurs et hommes de guerre. L’égyptologue rencontre des déplorations sur les malheurs des temps, souvent vagues et floues, pour plusieurs des successeurs de Ramsès II, dont Ramsès III. Fuir dans ce contexte pour les Hébreux vers Canaan prend tout son sens. Rien n’empêche d’assimiler le pharaon anonyme de l’Exode à un des successeurs de Ramsès III, mais lui-même semble le candidat le plus sérieux. L’itinéraire même de l’Exode, par la difficile route désertique du Sud et non la facile route côtière du Nord prend lui aussi tout son sens. La côte du Nord est encore parsemée de garnisons égyptiennes, en lutte contre l’invasion des « Peuples de la Mer », dont ont fait partie les Philistins de la Bible. Ces Philistins s’installent à peu près à ce moment au Sud-Ouest de Canaan, dans la région de Gaza.
 
Les Hébreux avaient été bien accueillis en Egypte du temps de la Deuxième Période Intermédiaire (-1700, -1500), entre le Moyen-Empire (-2000, -1700) et le Nouvel Empire (-1500, -1000). Cette Deuxième Période Intermédiaire, maudite des annales égyptiennes, n’avait pas été un temps de barbarie et de déclin, mais au contraire de culture éclatante, sous les dynasties des Hyksos, en Egypte du Nord et du Centre. Ces Hyksos étaient des sémites, parents des Hébreux, d’où ce bon accueil pour la large famille de Joseph. A l’inverse, le Nouvel-Empire se veut une restauration nationale égyptienne, imposant les dieux de Thèbes, au premier rang desquels Amon, expulsant ou réduisant dans un statut de soumission proche de l’esclavage les sémites demeurés sur place, dont les Hébreux.
 

Exodus concilie film réussi et message biblique

 
Leur emploi dans ce contexte comme main-d’œuvre forcée sur de grands chantiers n’a rien d’absurde. La tendance humaine à la tyrannie est aussi vieille que l’Etat, sinon le péché originel, et rien ne permet de rêver à une Egypte respectant les droits de l’homme actuels. Les romanciers historiques du XIXème siècle, à une époque marquée par la lutte antiesclavagiste, ont exagéré le servage en Egypte antique, mais il n’y a pas lieu de le nier. Le film propose des chantiers dans la Vallée du Nil, ou des constructions de pyramides, qui ne correspondent aux travaux menés sous Ramsès III. Les grandes pyramides sont en effet très antérieures, de plus de 1.000 ans. Ramsès III a ordonné de grandes réalisations, villes, temples, forteresses, surtout dans le large et plat delta du Nil. En somme, la lettre de l’histoire est visiblement erronée, sans que le sens général soit faux. Les oppositions sociales, religieuses, ethniques, entre Hébreux et Egyptiens, moteur de l’Exode, sont en effet parfaitement exactes.
 
Inutile donc de s’appesantir sur les nombreux anachronismes et maladresses de détail. Il est bien sûr ridicule d’imaginer Moïse manger ce qui semble bien être un cactus du désert mexicain, mais le film possède un souffle épique exceptionnel, qui transcende ces faiblesses.
 
Ainsi, cet Exode ne trahit jamais l’esprit de la Bible, suit souvent assez fidèlement la lettre grecque des Septante, ne s’éloigne pas trop de l’Histoire, et assure pour le spectateur un spectacle véritable. Les deux heures trente passent très rapidement, sans ennuyer jamais. Le public chrétien songe ému que les choses ont pu se passer ainsi et voit cette réalisation comme une représentation de ce qu’a pu être historiquement l’Exode. Le poids des images contribue à une forme d’apologétique. Non, le franchissement de la mer, les Plaies d’Egypte ne sont pas à mettre au rang de fables orientales absurdes ou au mieux, pour un esprit moderne, de mythe religieux dépourvu de tout sens littéral. Les miracles adviennent dans un cadre a priori familier.
 
L’extraordinaire, par l’action de l’ange, n’a pas besoin d’emprunter son registre aux extravagances des magiciens du cinéma fantastique. La volonté divine procède avec une certaine sobriété, mais constance, fermeté et aboutit à des résultats dépassant toute rationalité trop étroite.