Dans les heures qui ont suivi la destruction du Sukhoï Su–24 russe par l’aviation turque mardi matin au dessus d’une zone tenue par l’Etat islamique, le président Recep Tayyip Erdogan s’est défendu d’avoir jamais voulu en arriver à de telles extrémités, tout en soulignant dans sa déclaration que « tout le monde doit respecter le droit de la Turquie de défendre ses frontières » et que les mesures prises « étaient en tout point conformes aux règles d’engagement du pays en ce sens. » La Russie, elle, estime l’acte « prémédité ».
Le gouvernement turc s’est d’ailleurs empressé le jour-même de faire parvenir une lettre au président du Conseil de sécurité de l’ONU, par l’intermédiaire de son représentant permanent, justifiant ces mesures de représailles en raison de la violation de son espace aérien par un appareil non identifié pendant 17 secondes —sur moins de 2 kilomètres— et n’ayant apparemment pas répondu aux avertissements.
Ankara se retranche ainsi derrière les instances internationales de l’ONU et de l’OTAN, pour défendre la décision du Premier Ministre turc, Ahmet Davutoğlu, qui a reconnu avoir donné l’ordre de tirer sur l’avion.
F-16 abattu : une embuscade américano-turque à l’encontre de la Russie ?
Ces gesticulations au niveau international n’impressionnent pas le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, qui n’a pas hésité à qualifier ce geste de « prémédité » : « Les actions de la Turquie apparaissent comme préméditées, planifiées et entreprises dans un but bien spécifique », a-t-il déclaré.
Comment une telle décision a-t-elle pu être prise aussi rapidement, dans l’intervalle de 17 secondes qu’aurait duré l’incursion de l’avion russe dans l’espace aérien turc ? Le ministère de la Défense russe affirme d’ailleurs avoir fourni les preuves qu’il n’en a rien été, l’avion étant resté dans la zone de vol syrienne, ce que l’un des pilotes survivants, Konstantin Murakhtin,a confirmé par ses propos dès son rapatriement à la base aérienne de Lattaquié.
Erdogan, à la botte de Washington
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov pose désormais la question de savoir si les Etats-Unis n’ont pas joué un rôle dans cette affaire, dans la mesure où tous les membres de la coalition contre l’Etat islamique menée par Washington doivent coordonner leurs actions avec l’armée américaine : « Je me demande si cette exigence des Américains concerne également… la Turquie. Si c’est le cas, je me demande si la Turquie a demandé aux Etats-Unis l’autorisation de faire décoller l’un de ces avions de conception américaine [F16] pour abattre un appareil disons “non identifié” au-dessus du territoire syrien. »
Une frontière perméable au pétrole très convoitée par l’Etat islamique
Sergueï Lavrov, déplorant le manque de volonté de communication après l’incident de la part de son homologue turc, Mevlüt Çavuşoğlu, n’a pas hésité non plus à balayer les accusations d’Ankara selon lesquelles les Russes s’en prenaient aux populations turkmènes situées dans la zone de mission. Ces populations ne sont pas les seules présentes dans la zone, qui abrite également des centaines de combattants venus de l’étranger rejoindre des groupes terroristes bien identifiés qui y ont installé leurs infrastructures de guerre. Lavrov a même demandé à son homologue si « l’attention particulière de la Turquie portée à cette zone et son appel à la convertir en zone tampon » n’étaient pas motivés par un désir de protéger ces infrastructures de la destruction. Rappelons qu’il y a une semaine, l’aviation russe a détruit un millier de camions-citernes dans cette zone.
Sergueï Lavrov a également rappelé que la Turquie était impliquée dans le commerce illégal de ressources pétrolières organisé par l’Etat islamique, laissant ses frontières ouvertes aux convois de camions-citernes et favorisant ainsi l’accès des terroristes à cette manne financière par l’écoulement de pétrole vers l’allié de l’OTAN. Ces ressources pétrolières sont précisément stockées dans la zone où a été abattu le Sukhoï Su–24, mardi matin, ce qui apporte également un autre éclairage à l’incident, selon le média russe rt.com.
Une frontière à fermer contre l’Etat Islamique
Cet indicent et l’attitude d’Ankara ne manqueront pas de modifier les rapports entre la Turquie et la Russie. Lavrov a immédiatement annulé son déplacement prévu à Istanbul et les échanges de hauts fonctionnaires entre les deux pays sont suspendus. La liaison téléphonique Ankara-Moscou n’est pas coupée pour autant.
Si l’OTAN en appelle au calme et à la désescalade des tensions entre les deux pays, la solution pour prévenir ce genre d’incident à l’avenir serait de fermer hermétiquement la frontière entre la Syrie et la Turquie, comme l’a suggéré François Hollande à Barack Obama lors de sa visite à Washington. Si des négociations en ce sens aboutissaient, « cela permettrait d’éliminer la menace terroriste en Syrie », selon Lavrov – et constituerait un nouveau motif du réchauffement des relations entre Poutine et l’Occident.