Le féminisme qui voit le sexe comme le siège de l’oppression masculine et recherche l’abolition de la famille est issu en droite ligne du marxisme

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Après l’Eglise et après l’Etat, Marx voulait abolir la famille, sphère « bourgeoise » et « individualiste » de la société, terreau de foi, de liberté et de transmission. Seulement, les féministes de l’époque se sont accommodées plus ou moins de cette visée qui ne prenait pas en compte toutes leurs perspectives. Le marxisme réclamait une « femme nouvelle » et Staline a envoyé mères et filles au turbin, dans les usines, prendre leur place sur le marché du travail extérieur. Mais qu’en était-il du travail domestique qu’elles effectuaient toutes déjà ? En quoi était reconnu le « travail de reproduction » de la femme, qu’il s’agisse de l’engendrement et de l’éducation des enfants ou de la tenue du foyer, année après année ? Le marxisme faisait l’impasse sur ce travail invisible en ce qu’il n’avait pas de valeur directe produite – alors qu’il est « une production socialement nécessaire » comme le dira plus tard, en 1969, la féministe-marxiste Margaret Benston.

Dans les années 1970, sur fond de révolution tous azimuts, ce débat a effectivement refait surface au sein de la théorie féministe occidentale. Et la grille de lecture marxiste, construisant le monde à partir de la lutte des classes, sur des antagonismes entre dominants et dominés, a été élargie au genre, tout comme elle l’a été à la race et à d’autres entités… Le wokisme en est l’exacte transcription. Non seulement il ne doit pas y avoir de division sexuelle du travail, mais la femme doit s’émanciper de ce qui l’exploite encore socialement, fondamentalement : à savoir l’oppression par le sexe via le mariage, la famille. Avec, en sus, l’idée qu’il n’y a pas d’essence féminine, la nature humaine n’étant que le fruit de rapports sociaux établis.

Le marxisme n’a jamais été aussi présent dans le féminisme.

 

Féminisme marxiste ou marxisme féministe

« La ménagère peut passer toute la journée, du matin au soir, à nettoyer sa maison, elle peut laver et repasser le linge quotidiennement, faire tout son possible pour garder ses vêtements en bon état et préparer tous les plats qu’elle veut et que ses ressources lui permettent de préparer, elle terminera quand même la journée sans avoir créé aucune valeur. Malgré son industrie, elle n’aura rien fait qui puisse être considéré comme une marchandise. » Ainsi parlait celle qui fut la première femme ministre de plein exercice de la Russie révolutionnaire, en 1917.

Mais Alexandra Kollontaï ne fut guère entendue. Tout comme sa vision extrêmement libérée de l’amour, de la sexualité et de la fidélité jugée décadente par Lénine lui-même… Elle avait encore un peu trop d’avance sur son temps. Il fallut attendre les mouvements féministes dits de la seconde vague, dans les années 1960/1970, pour que la « lutte » se structure de façon plus claire autour du droit à l’avortement et de la politisation de l’espace domestique.

Mais alors, qui fallait-il accuser ? Le capitalisme ? Le patriarcat ?

Les premières féministes marxistes du début du XXe siècle ont toujours condamné le féminisme de l’époque jugé « bourgeois » puisqu’il délaissait la lutte des classes en affirmant qu’il n’y a pas qu’une domination économique de la femme, mais aussi une domination du sexe dit faible par les hommes. Pourtant, plusieurs décennies plus tard, les féministes socialistes ont bel et bien élargi le principe dialectique au genre. Même dans le féminisme, le communisme n’est pas qu’une histoire d’économie…

 

L’oppression par le sexe

C’est ce qu’explique le Professeur Augusto Zimmermann dans un article très étayé publié sur le site Mercator. Des penseuses influentes comme Simone de Beauvoir, Betty Friedan, Helen Gurley Brown ou Gloria Steinem « ont combiné les méthodes marxistes traditionnelles avec une interprétation post-moderne (distorsion) de la réalité. (…) Un tel féminisme est “axé sur les résultats” et il postule que, “lorsqu’il s’agit d’inégalités sociales, il n’existe pas de principes neutres” ». Et son impact est absolument destructeur.

Le mariage est son cœur de cible. La sociologue féministe américaine Marlene Dixon écrivait, au début des années 1970 : « Le mariage est le principal véhicule de la perpétuation de l’oppression des femmes ; c’est par le rôle d’épouse que la soumission des femmes est maintenue. » Dans Sexual Politics (1970), Kate Millet, écrivain et militante féministe américaine, déclarait aussi : « La destruction complète du mariage traditionnel et de la famille nucléaire est l’objectif révolutionnaire ou utopique du féminisme. »

Plus récemment, le professeur d’histoire à l’Université de New York et féministe notoire, Linda Gordon, affirmait que « la famille nucléaire doit être détruite… Les familles ne seront finalement détruites que lorsqu’une organisation sociale et économique révolutionnaire permettra de répondre aux besoins d’amour et de sécurité des gens d’une manière qui n’impose pas de divisions du travail, ni de rôles extérieurs ».

Le féminisme le plus dogmatique – le féminisme stalinien.

 

Reconstruction critique collective du sens de l’expérience sociale des femmes

Et pour cela la redéfinition de la femme, comme un phénomène socialement construit, a été nécessaire. La juriste féministe Catherine MacKinnon, parle d’une construction « patriarcale » qui obscurcit et légitime la manière dont le genre est imposé par la force, nous dit Augusto Zimmermann. Elle va même très loin : selon elle, les relations hétérosexuelles aboutissent inévitablement à l’oppression des hommes par le biais du viol ou d’autres formes d’abus et d’exploitation sexuels.

Le professeur de droit Denise Meyerson résume ainsi l’approche de MacKinnon : « La domination des femmes en tant que classe par les hommes est fondamentale pour le système juridique, et en fait, pour l’ensemble de la société. L’oppression fondée sur le sexe est, en fait, la forme la plus fondamentale d’oppression sociale, et les abus sexuels contre les femmes sont le mécanisme indispensable par lequel les femmes sont soumises. Le pouvoir et la sexualité sont donc au cœur de l’analyse féministe radicale. »

Les femmes sont-elles si faibles que la suprématie masculine les a fait céder sur tout ? C’est finalement extrêmement insultant pour le sexe dit faible… Et c’est surtout extrêmement totalitaire parce que la solution réside alors dans l’ingérence tous azimuts de l’Etat, cet Etat marxisant qui soi-disant réglera d’un coup de baguette magique les rapports entre les sexes comme ils existent depuis des millénaires… Le plan idéologique doit tout régler – y compris la vie privée.

 

Egalité utopique : injustice criante

La théorie marxiste, nous dit Augusto Zimmermann, fournit à ces féministes l’idée que toutes les femmes mariées souffrent d’une « fausse conscience ». Les maris sont généralement représentés dans le rôle d’« oppresseurs » de la même manière que la bourgeoisie opprime le prolétariat – dialectique, toujours.

Et de citer le politologue canadien David T. Koyzis dans Political Visions and Illusion (2003) : « Si le marxisme localise effectivement le mal dans la division du travail, les féministes radicales le localisent dans la division sexuelle du travail, certaines allant jusqu’à prôner son abolition même dans le processus de reproduction biologique. La jurisprudence féministe devient ainsi un plaidoyer général en faveur des femmes contre les hommes, à l’instar de la jurisprudence marxiste a une prédominance en faveur du prolétariat et contre la bourgeoisie. Dans les deux cas, la justice, plutôt que de peser soigneusement et impartialement les revendications respectives des divers citoyens, devient captive d’un agenda idéologique. L’injustice en est le résultat inévitable, malgré les promesses roses des visions féministes et socialistes. »

Figure de proue du mouvement des femmes, Betty Friedan (1921-2006), est à ce titre emblématique. Elle dénonce « l’artefact patriarcal » qu’est le mariage, conçu en gros par les hommes pour forcer les femmes à les servir et à avoir des relations sexuelles avec eux. Dans The Feminine Mystique paru en 1963, elle a combiné son héritage stalinien avec les nouvelles revendications féministes : soutien au divorce sans faute, à la libération sexuelle des femmes et à l’avortement à la demande. Une femme au foyer c’est, en soi, honteux. Quant aux enfants, peut-être seraient-ils mieux élevés dans des foyers publics que chez leurs parents…

 

Ecraser l’infâme famille bourgeoise

Ces idées étaient, toutes, défendues par Friedrich Engels dans L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat (1884). Il y soutient, rappelle Mercator, que le pouvoir économique de l’homme au sein de la famille traditionnelle subordonne la contrepartie féminine à la condition d’« esclave de sa luxure et de simple instrument de production d’enfants ». Et propose ensuite l’élimination de la famille en tant qu’unité économique, appelant les femmes à se tourner vers l’industrie, à divorcer facilement et unilatéralement, et à élever collectivement chaque enfant.

On en a vu le résultat… une augmentation spectaculaire du nombre de foyers brisés et d’avortements. En 1934, à Moscou seulement, il y a eu 57.000 naissances vivantes contre 154.000 avortements, au cours desquels beaucoup de femmes mourraient qui plus est. Il en est résulté un grand nombre de mères célibataires et d’enfants sans père, situation amplifiée par la Grande Guerre. Les orphelins se sont multipliés, et la vie pour leurs mères contraintes de travailler et de les laisser seuls, était misérable.

Mais qu’importe, il fallait pulvériser « la famille bourgeoise » – et l’objectif, un siècle plus tard, est toujours celui-là.

Augusto Zimmermann écrit : « Comme l’a noté l’historien britannique Orlando Figes, la famille fut le premier champ dans lequel les bolcheviks s’engagèrent dans la lutte. Dans les années 1920, ils considéraient comme un article de foi que la “famille bourgeoise” était socialement néfaste : elle était introvertie et conservatrice, un bastion de la religion, de la superstition, de l’ignorance et des préjugés ; elle encourageait l’égoïsme et l’avidité matérielle, et opprimait les femmes et les enfants. Les bolcheviks s’attendaient à ce que la famille disparaisse à mesure que la Russie soviétique se transformait en un système pleinement socialiste, dans lequel l’Etat prenait en charge toutes les fonctions domestiques de base… Le mariage patriarcal, avec sa morale sexuelle qui l’accompagne, disparaîtrait – pour être remplacé, pensaient les radicaux, par des “unions libres d’amour”. »

Voilà pourquoi l’hostilité envers le mariage est l’une des caractéristiques du féminisme moderne auquel ces radicaux appliquent leur grille d’analyse marxiste. L’effet naturel, évidemment, est la diminution de l’engagement envers le mariage et la maternité, causes fondamentales de l’oppression des femmes par la mâle suprématie…

 

Clémentine Jallais