“Fiducia supplicans” : les évêques de France affichent leurs divergences

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Le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France a publié un communiqué cauteleux au sujet de la Déclaration Fiducia supplicans par lequel le cardinal Victor Manuel Fernandez, préfet du Dicastère pour la Doctrine de la foi, approuvait le 18 décembre dernier – avec l’aval du pape François – la bénédiction des couples « irréguliers » et « de même sexe ». Près d’un mois pour en arriver là ! Les conseillers permanents, sous la houlette de Mgr de Moulins-Beaufort, y voient des « sujets sensibles » et reprennent quelques-unes de ses recommandations sur la pointe des pieds ou plutôt en marchant sur des œufs. Les évêques de France manifestent leurs divergences à cette occasion : bien avant la prudente circulaire de la CEF, les évêques de la province de Rennes avaient mis les points sur les i en refusant la bénédiction des couples qu’impose Fiducia supplicans, et l’évêque de Bayonne a proposé une longue réflexion aboutissant à la même recommandation de ne pas bénir les couples et, partant, la réalité de leur vie commune, mais les personnes.

Ma consœur Pauline Mille proposera une analyse plus fouillée de ce dernier texte de Mgr Aillet.

 

Le Conseil permanent de la CEF commente Fiducia supplicans

Celui du Conseil permanent de la CEF constate que Fiducia supplicans « a eu un retentissement certain dans l’opinion publique, en particulier à cause des sujets sensibles qu’elle aborde : celui de l’accompagnement dans l’Eglise des personnes homosexuelles vivant en couple d’une part et celui des personnes divorcées engagées dans une vie de couple d’autre part ».

Et le « reçoit » – que le mot est joli, pas question de l’analyser en vérité ! – « comme un encouragement aux pasteurs à bénir généreusement les personnes qui s’adressent à eux en demandant humblement l’aide de Dieu. Ils les accompagnent ainsi sur leur chemin de foi pour qu’elles découvrent l’appel de Dieu dans leur propre existence et y répondent concrètement ».

Une interprétation bienveillante porte à noter qu’il est question de bénir les « personnes », et non les couples évoqués précédemment, et encore, celles qui demandent l’aide de Dieu, sous-entendu : pour changer de vie.

Rien à redire à cela, et d’ailleurs les évêques ajoutent que Fiducia supplicans « appelle que ceux qui ne vivent pas dans une situation leur permettant de s’engager dans le sacrement de mariage, ne sont exclus ni de l’Amour de Dieu, ni de son Eglise. Elle les encourage dans leur désir de s’approcher de Dieu pour bénéficier du réconfort de sa présence et pour implorer la grâce de conformer leur vie à l’Evangile ».

 

Les évêques de France parlent de « personnes » plutôt que de couples : c’est discret…

Ce qui est bien court, tant la substance frelatée de la Déclaration compte d’ambiguïté et de scandale. Le Conseil des évêques s’est contenté de trier sur le volet quelques aspects positifs et évite soigneusement la moindre critique. Il ajoute même un couplet sur l’« amour inconditionnel » de Dieu, expression lénifiante qui dévalorise l’amour de Dieu et en fait une sorte de dû, alors que Dieu nous aime gratuitement en nous offrant le don totalement immérité de sa grâce et de l’« inhabitation » trinitaire dans nos âmes – que le péché mortel empêche radicalement.

Le Conseil permanent de la CEF achève son communiqué par ces mots : « C’est en particulier à travers des prières de bénédiction, données sous une forme spontanée, “non ritualisée” (n° 36), hors de tout signe susceptible d’assimilation à la célébration du mariage, que les ministres de l’Eglise pourront manifester cet accueil large et inconditionnel. » Mais il n’est nulle part question de l’impossibilité de bénir un péché ou pire, une situation durable et revendiquée de péché.

Et le fait a gêné même un Antoine-Marie Izoard, rédacteur-en-chef de Famille chrétienne, peu enclin à la critique de la hiérarchie catholique, qui commentait jeudi sur X : « Depuis mi-décembre, des fidèles sont troublés et l’Eglise traversée par des divisions bien attristantes, l’extrême prudence du communiqué de @Eglisecatho hier n’aura visiblement pas apporté de réponse claire. A moins que chaque “camp” reste sur ses positions. #regrets »

 

Les divergences des évêques de la province de Rennes à l’égard de Fiducia supplicans

Les évêques de la province de Rennes ont été tout de même plus clairs. S’adressant à tous les prêtres et diacres des diocèses de Quimper, Rennes, Saint-Brieuc, Vannes, Angers, Laval, Le Mans, Luçon, Nantes, ils se sont eux aussi abstenus de critiquer frontalement la Déclaration, préférant en extraire les citations qui rappellent la doctrine de l’Eglise (et qui lui servent, hélas, de cache-sexe).

Mais ils évacuent la distinction entre bénédictions « liturgiques » et « pastorales » opérée par Fiducia supplicans en affirmant :

« Bien que la Déclaration distingue les bénédictions liturgiques de celles qui sont données en dehors du cadre liturgique et qui peuvent être pratiquées avec “une plus grande spontanéité et liberté”, il faut souligner que le ministre ordonné donne la bénédiction de Dieu au nom du Christ. La Déclaration fait référence au Ressuscité qui vit son Ascension en bénissant (cf. Lc 24,50-51) (n. 18). Cette finale de l’Evangile selon saint Luc a une haute signification pour la foi. Le Christ ressuscité est notre nouveau et éternel Grand Prêtre. Rempli d’une charité extrême (cf. Jn 13,1), il agit en son Eglise et par elle, en bénissant toujours et sans cesse. Ministres ordonnés, nous sommes les médiateurs de sa sainte bénédiction. L’Eglise est en quelque sorte sacrement de l’éternelle bénédiction dont le Christ, par amour, bénit les êtres humains au long de leur vie avec leurs joies et leurs malheurs. »

Ces évêques de l’Ouest posent aussi la question : « Bénir les couples de même sexe ? » Et répondent :

« La 3e partie de la Déclaration commence en affirmant que “dans l’horizon ainsi tracé, il est possible de bénir les couples en situation irrégulière et les couples de même sexe” (n. 31). De fait, la Déclaration arrive à son objet : “Considérer diverses questions, formelles et informelles, sur la possibilité de bénir les couples de même sexe.” (n. 2) Alors qu’elle traite maintenant de son objet, la Déclaration n’explicite pas le raisonnement qui la fait passer des “personnes” aux “couples”, terme absent des 2 premières parties. Pourtant, le mot “couple” a une signification particulière qui aurait mérité une explicitation [1]. »

Les évêques ajoutent que la bénédiction des couples est une « possibilité » et non une « obligation », et la rejettent pour leur diocèse, en parlant, certes prudemment, de « confusion » et de « scandale » :

« Dans notre société où le mariage a été banalisé en devenant une notion de droit civil qui ignore la spécificité fondatrice de la différence sexuelle, nous avons la mission d’affirmer de façon prophétique, “avec douceur et respect” (1 P 3,16), la grande beauté du dessein de Dieu qui créa l’être humain, homme et femme, et que le Christ a rappelé. Dans ce contexte, il est donc juste, comme le souligne la Déclaration, de ne pas contribuer à créer de la “confusion” (n. 4, 5, 30, 31, 39) ou du “scandale” (n. 30, 39). C’est pourquoi, il est opportun de bénir de façon spontanée, individuellement, chacune des deux personnes formant un couple, quelle que soit leur orientation sexuelle, qui demandent la bénédiction de Dieu avec humilité et dans le désir de se conformer de plus en plus à sa sainte volonté. »

Les évêques de nombreux pays africains, du Kazakhstan, de Hongrie, de Pologne ou d’Ukraine ont été plus directs et plus nets. Les évêques français sont moins… courageux. Mais ils ont écarté, sans hésiter, la bénédiction des couples, et ils l’ont subordonnée à la recherche d’une vie conforme à la « sainte volonté » de Dieu. Au point où en sont les choses cela mérite d’être souligné. Mais ils ne vont pas jusqu’à demander la révocation de la Déclaration. Hélas…

 

Jeanne Smits