Le ministre de l’Education nationale, Elisabeth Borne, vient de lancer un vaste plan intitulé Filles et maths dont l’ambition est d’arriver, à terme, à la parité hommes femmes dans les filières scientifiques, avec un premier calendrier ainsi conçu : au moins 50 % de filles en mathématiques et en sciences dès 2030 dans les classes de 4ème et 3ème, et au moins 30 % dans les prépas scientifiques. Avec toute une usine à gaz pour sensibiliser « aux biais de genre », former contre les « stéréotypes dans l’apprentissage des mathématiques », assortie de classes à horaires aménagés et d’une « charte ». Ce plan, qui reprend les recommandations de l’Inspection générale de l’éducation, montre une bien faible intelligence du problème qui se pose en France en la matière : il ne relèvera pas le niveau en sciences et lèsera la liberté des élèves en mobilisant en vain de l’énergie et de l’argent, parce qu’il ne comprend pas les raisons psychologiques et sociales du peu d’appétit des jeunes Françaises pour les sciences dites dures ou pures.
Les filles plus diplômées mais le niveau en maths baisse
Elle-même polytechnicienne, Elisabeth Borne s’inquiète à juste titre du niveau en maths des jeunes Français. Que ce soit dans le classement PISA qui étudie les membres de l’OCDE, que dans l’enquête TIMSS de 2023 qui les classe parmi les plus mauvais d’Europe, nos élèves de tout âge sont situés en queue de classe. Et cette chute est rapide et continue. La réforme du lycée par Jean-Michel Blanquer en 2019 n’a rien arrangé : en supprimant les filières classiques menant au bac, L, ES et S, il n’a pas enrayé le déclin mais accru la différence entre les garçons et les filles : en 2021 par exemple, seule une fille sur quatre a conservé les maths en terminale, contre un garçon sur deux. Et Mme Borne a regardé les statistiques dans le détail. Elle n’ignore pas que les différences de niveau en sciences entre garçons et filles sont négligeables en CP, mais qu’en terminale, 55 % des garçons choisissent deux options scientifiques, alors que seulement 36 % des filles en font autant. Elle sait aussi que le niveau d’intelligence des uns et des autres n’est pas en cause. Elle relève que, dans la tranche d’âge 25 à 34 ans, la part des diplômées est supérieure de 10 % à celle des diplômés (46 % contre 35 % en 2020, 37 % contre 29 % en 2010). Elle en a tiré comme enseignement que les filles, pourtant plus diplômées que les garçons, étaient victimes d’une oppression systémique plus ou moins douce, et conçu en conséquence son plan pour la combattre.
L’intelligence commande de distinguer goût et capacité
Ce faisant, elle a fait preuve de plus d’esprit de géométrie (ou plutôt d’algèbre) que d’esprit de finesse : elle pense en comptable de l’égalitarisme idéologique de l’Education nationale, sans s’interroger sur les raisons psychologiques et sociales de la sous-représentation des filles dans certaines filières scientifiques. Si elle avait pris la peine d’entrer dans le détail, elle aurait noté qu’en 2022 65 % des étudiants en médecine et en « sciences de la vie » sont des filles, et plus de 70 % en pharmacie. Elle a raison de ne pas préparer de loi pour corriger cette inégalité de fait, car celle-ci est simplement le résultat du libre souhait des uns et des autres. Les femmes en France préfèrent la biologie à l’informatique et la médecine à la robotique. Et les méta-études en psychologie sociale expliquent pourquoi. Les comparaisons internationales montrent en effet que, plus les filles sont libres de faire leur propre choix, moins elles choisissent les filières dites STEM (Science, Technology, Engineering et Maths).
Plus les filles sont libres, moins elles tendent vers la parité
C’est ce que les psycho-sociologues nomment le gender equality paradox : dans les pays où « l’égalité homme femme » est bien établie et où l’on s’attendrait à tendre vers la parité, notamment en Scandinavie, Finlande, Suède, Norvège, les filles choisissent moins la filière STEM, et, à l’inverse, dans des sociétés inégalitaires comme en Arabie saoudite, l’Iran, l’Algérie, la Turquie ou la Syrie, les filles tendent vers la parité, elles sont proportionnellement plus attirées par les sciences ou l’ingénierie. En somme, plus on est libre de choisir et plus on s’éloigne de la parité, les femmes s’orientant vers le lien humain, les garçons vers le mécanique ou le numérique. L’explication avancée par les psycho-sociologues et que les filières scientifiques permettent aux filles de s’en sortir dans des sociétés difficiles, alors qu’un contexte plus favorable leur donne la liberté de choisir des métiers qui leur plaisent davantage – quitte à ce que soit à temps partiel et moins rémunérateur.
Un plan injuste et néfaste pour le niveau en maths
Le plan fille et maths d’Elisabeth Borne tend donc à brimer sans raison valable le libre choix des filles. En outre, il risque sans le dire de mener à une politique des quotas injuste, et menace de priver, pour atteindre artificiellement la parité, de nombreux garçons de places qui leur plairaient et pour lesquelles ils ont les aptitudes nécessaires. Enfin, le problème qui se pose à la France en matière d’études des maths et des sciences n’est pas de « rééquilibrer » la proportion des garçons et des filles en fonction d’un objectif arbitrairement fixé par l’obsession égalitariste, mais de relever le niveau d’une Education nationale en perdition, qui ne sait plus former des élites parce qu’elle est malade de son idéologie.