Pour Robert Hardman, biographe du roi d’Angleterre, l’événement qui s’est produit lors de la visite d’Etat des souverains britanniques au pape François au mois d’avril dernier, et dont ceux-ci viennent seulement de témoigner, peut sans doute être considéré comme le moment le plus historique de la visite, voire du règne du roi Charles III. Si l’événement n’a pas été enregistré par les caméras, sa réalité ne fait pas de doute. Le Pape a insisté pour recevoir le roi Charles et la reine Camilla de manière privée et il leur a accordé une bénédiction pour leur vingtième anniversaire de mariage. C’était douze jours avant sa mort.
Cette bénédiction surprend à plus d’un titre. Premièrement, le pape était tout de même en présence du Gouverneur suprême de l’Eglise d’Angleterre. Ils ont prié de conserve, et c’est une première depuis que le roi Henri VIII s’est autoproclamé chef des Anglicans. Ainsi, la reine Elisabeth a-t-elle rencontré quatre papes, mais jamais elle n’a prié avec eux.
Deuxièmement, la bénédiction de l’anniversaire de mariage de Charles et Camilla s’appliquait à un couple illégitime. La reine des Anglais s’est mariée civilement avec le prince Charles en 2005 alors qu’elle était divorcée. On pourrait ajouter que le roi Charles, lorsqu’il a épousé Diana, a d’une certaine façon montré son mépris de l’institution en lui promettant fidélité, alors même qu’il fréquentait déjà cette bonne amie que le protocole ne l’avait pas autorisée à épouser.
La bénédiction a posteriori d’un remariage irrégulier
Il est vrai qu’au moment des faits, le Vatican n’a pas communiqué sur cette bénédiction en soi scandaleuse. Il avait simplement été précisé qu’au cours de leur rencontre, le Pape avait exprimé ses meilleurs vœux à leurs Majestés à l’occasion de leur anniversaire de mariage, tout en souhaitant meilleure santé à Charles, qui venait d’être hospitalisé en raison d’effets secondaires du traitement de son cancer.
Cette simple référence au mariage de Charles et Camilla avait déjà été considérée comme très significative. A l’époque, aussi bien l’Eglise anglicane que bien des sujets britanniques avaient manifesté leur mécontentement. La reine Elisabeth n’avait pas assisté à la cérémonie civile. Sur le plan religieux, les nouveaux mariés civils avaient exprimé devant l’archevêque de Canterbury, Rowan Williams, leurs multiples péchés et leur iniquité, selon des termes choisis dans le Book of Common Prayer, au cours d’un office d’« engagement » qui avait fait suite à l’union civile.
La révélation de l’existence d’une bénédiction à part entière du roi et de la reine de la part du pape François pose la question de la valeur du mariage sacramentel à ses yeux. On sait bien qu’il a un jour déclaré penser que les concubins, ou du moins certains d’entre eux, obtenaient par leur fidélité des sortes de grâces sacramentelles. En bénissant Charles et Camilla, il a poursuivi dans cette voie consistant à vouloir bénir tout le monde. C’est la logique de Fiducia supplicans qui autorise la bénédiction des couples irréguliers en tant que tels.
Charles III, un alter ego du pape François ?
Mais l’affaire se complique s’agissant du roi Charles. La séparation de l’Eglise anglicane d’avec Rome s’est produite justement parce que le pape de l’époque n’avait pas voulu déclarer nul un mariage qui ne l’était pas, celui d’Henri VIII et de Catherine d’Aragon, son épouse légitime. Henri VIII avait proclamé que le pape n’avait pas autorité sur lui en matière de mariage. Voilà que François est allé plus loin, en approuvant la démarche de remariage, alors qu’un des membres du couple était marié et que son conjoint était encore vivant. En bénissant le chef de l’Eglise anglicane, le pape a en quelque sorte justifié cette déchirure de la tunique du Christ.
Gavin Ashenden, Ancien chapelain de la reine Elisabeth II, qui s’est converti à l’Eglise catholique, a minimisé l’affaire. Pour lui, il s’agit simplement de « personnes d’un même statut s’échangeant des amabilités ». « C’est comme le fait de donner un verre d’eau à un athlète à la fin d’une course. Cela ne veut pas dire que vous approuvez la manière dont il s’est entraîné, c’est juste un verre d’eau », a-t-il commenté. Et d’ajouter : « Le pape bénit des foules de milliers de personnes depuis sa papamobile. Cela a-t-il quelque conséquence sur leur style de vie personnel ? Non, c’est un signe inconditionnel de l’amour de Dieu. »
La bénédiction de Charles III et Camilla aggrave la confusion
Que Dieu aime tout homme et veuille son salut, c’est le sens acceptable de l’expression « amour inconditionnel » de Dieu. Mais on l’utilise volontiers aujourd’hui pour laisser croire que l’amour de Dieu justifie tout. Or Dieu ne peut bénir le péché, il ne peut pas dire que le mal est bien. Pour recevoir l’amour inconditionnel de Dieu, celui qui a rompu son amitié avec lui, qui n’a pas la grâce, doit faire une démarche pour l’obtenir, une démarche qui conditionne le pardon.
En l’occurrence, Gavin Ashenden tord un peu le sens des mots et des choses. La bénédiction d’un couple ensemble à l’occasion de son anniversaire de mariage apparaît bel et bien une bénédiction de leur état et non simplement un appel à la conversion et à une vie conforme à la loi divine. C’est une approbation concrète, et il est difficile de soutenir l’inverse.
La confusion installée et laissée par le pape François va prendre du temps à dissiper. Cela ne peut se faire en un jour, ni sans l’aide et la grâce de Dieu.