La « quiche du couronnement » de Charles III : bobo, woke… ou pas ?

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A moins de trois semaines du couronnement de Charles III, roi d’Angleterre, et de sa reine divorcée remariée, le 6 mai prochain, les Britanniques se passionnent pour le plat « personnellement » choisi par le couple royal pour agrémenter les pique-niques géants qui marqueront le grand jour dans l’ensemble du Royaume-Uni. La « coronation quiche » coche (presque) toutes les cases du politiquement correct, ainsi qu’il sied à des souverains qui vivent en famille recomposée et prêchent l’écologisme et le « Great Reset ». Mais avec sa dominante végétale et ses ingrédients un tantinet snobs (outre-Manche, du moins), s’agit-il d’une quiche bobo ou d’une quiche woke ? That is the question.

Premier point : l’affaire a son côté traditionnel puisque l’élaboration d’une recette spéciale partagée dans les quatre coins du royaume remonte au couronnement de la reine Elizabeth en 1953. Ce fut alors l’école du Cordon Bleu Londres – célèbre pour ses recettes magnifiques développées avec maestria par sa fondatrice Rosemary Hume, ancienne élève du Cordon Bleu Paris – que sollicita la famille royale. Le « Poulet Reine Elizabeth », aujourd’hui connu sous le vocable de « Coronation chicken » – fut servi au grand banquet offert aux dignitaires de l’ensemble du Commonwealth et autres hôtes étrangers. Il fallait un plat qui puisse plaire au plus grand nombre, dans le contexte de restrictions et de pénurie qui faisait suite à la Seconde Guerre mondiale ; Rosemary Hume opta pour le poulet désossé poché dans l’eau et du vin et parfumé à la carotte, au bouquet garni, au sel et aux grains de poivre, avant d’être habillé d’une délicate sauce à la crème et au curry. Il était servi avec une salade bien relevée de riz, de pois verts et de piments.

 

Du couronnement d’Elizabeth II à celui de Charles III, quel chemin parcouru

Les convives s’en pourléchèrent les babines, assurent les historiens, et aujourd’hui encore nos voisins d’outre-Manche s’en délectent en plat principal chaud ou froid, voire comme garniture de sandwich.

1953, c’était le temps béni où il n’était pas mal vu de consommer de la viande et où le choix d’ingrédients venus des lointaines colonies ne vous faisait pas taxer d’appropriation culturelle.

Soixante-dix ans plus tard, le monde a changé. Charles et Camilla ont décidé de faire participer leurs sujets à la grande œuvre de miséricorde écologique de la décarbonation en leur enfonçant dans le gosier une quiche végétarienne, chichement garnie de fèves fraîches (ou de fèves de soja), 60 grammes par tarte, et de 180 grammes d’épinards bouillis et « légèrement hachés ».

Des épinards ! Oui, des épinards pour faire honneur à l’horticulture anglaise (produisez local !) peut-être, mais surtout pour faire souffrir des milliers d’enfants pour qui ce légume représente la géhenne culinaire au même titre que le chou de Bruxelles ou l’endive cuite à l’eau. Des journalistes britanniques ayant testé la recette sur leur propre progéniture confirment : les gamins prennent une bouchée, puis se sauvent en courant.

 

Garniture woke pour une quiche éco-consciente

La garniture de la quiche, dont la recette a été publiée sur le site officiel des monarques britanniques, comprend également 100 grammes de cheddar râpé (c’est peut-être ce qui la sauve, car le vieux cheddar est un vrai fromage), des œufs, de la crème, du lait et, au grand étonnement des Anglais, de l’estragon.

Quelle est donc cette herbe aux accents français, se demandent-ils, et qui mérite sans doute sa place entre une douzaine d’escargots et quelques cuisses de grenouille ? Peu utilisée dans la cuisine britannique, voilà l’estragon parée de lettres de noblesse. Il est vrai que la « quiche » elle-même est française, et, pour succulente qu’elle puisse être, y appartient plutôt au répertoire du simple dîner familial. On n’ose croire que ce plat ait été suggéré à leurs majestés avec des arrière-pensées insolentes. Si Camilla était une quiche, ça se saurait.

 

Charles III, le roi du Great Recette

Excellente chaude, froide ou tiède (nous dit-on), la quiche du couronnement est écolo avec ses ingrédients de proximité, végétarienne parce que la planète l’exige, cuite en moins de 40 minutes pour économiser le carburant, et peu festive, voire pénitentielle parce qu’il faut sacrifier à la mode du « light » et du « durable ». Car j’oubliais de vous le dire : la « coronation quiche » sera servie avec de la salade verte et des pommes de terre bouillies.

Il y a un hic, cependant, et de taille. Les plus audacieux ne se contenteront pas d’acheter un fond de tarte tout prêt, option qui est donnée dans la recette royale, mais devront le préparer selon celle-ci avec 25 grammes de beurre et 25 grammes de lard. Oui, du lard ! Cela fait des décennies qu’on ne s’en sert plus guère outre-Manche pour les tartes et autres steak and kidney pies confectionnés aujourd’hui avec du beurre, de la graisse de bœuf ou de la margarine. Oui, du lard ! Du lard de cochon gras, du lard de cochon émetteur de gaz de serre, du lard coupable en un mot ! Du lard identitaire qui plus est : ils ne vont tout de même pas servir ça aux communautés juives et musulmanes qui font pourtant partie intégrante du vivre-ensemble britannique ?

M’est avis que quelqu’un s’est malicieusement amusé…

 

Addendum : à l’heure de publier, la page officielle sur royal.uk contenant la recette de la quiche royale n’était plus accessible. Se serait-on aperçu de la boulette ?

 

Jeanne Smits