François HUGUENIN,
Les grandes figures catholiques de la France

François HUGUENIN grandes figures catholiques France Livre
François HUGUENIN « Les grandes figures catholiques de la France », 2016, 23€

 
Les grandes figures catholiques de la France séduit spontanément le lecteur catholique par son titre. En effet, le Catholicisme, et c’est obstinément nié depuis 1789, est l’un des éléments absolument fondamentaux de l’identité française. Aussi leur foi catholique a-t-elle inspiré bien des Français exemplaire. Même des figures consensuelles de notre histoire, comme saint Vincent de Paul, ne se comprennent pleinement que dans le cadre catholique : la charité qu’il a pratiquée de façon héroïque va bien au-delà de la philanthropie laïcisée. Même des personnalités a priori purement politiques, de Clovis à Louis XVI, de Suger à Richelieu, ne se comprennent pleinement qu’en prenant en compte leur foi catholique. Le titre sous-entend quand même une exigence, un caractère catholique exemplaire, tout au long de la vie : ainsi une personnalité comme Charles VII, à l’excellent bilan politique final, avec les Anglais chassés de France, ne saurait figurer dans cette liste de grandes figures catholiques du fait du défaut de soutien à sainte Jeanne d’Arc durant ses derniers mois de guerre et sa captivité, et de sa vie intime fort peu exemplaire.
 
Dès le titre une dimension militante est annoncée, qui sera assumée et revendiquée par l’auteur, dans le livre lui-même et de nombreux entretiens. Les catholiques ont beaucoup apporté à la France, et ce du fait même de leur foi. Certains membres des médias officiels ont cru bon de reprendre les réflexes anticléricaux imposés dans les années 1880 par la Troisième République, en condamnant une initiative qui serait « scientifiquement » – on se demande bien sur quels critères ?- fausse et qui « diviserait les Français »…Rappelons que les mêmes, dans le même temps, se donnent beaucoup de mal pour inventer de grandes figures musulmanes dans la France médiévale, qui n’en a compté pourtant aucune, faute de musulmans…
 
Par contraste, les publications catholiques conservatrices ont généralement réservé un accueil enthousiaste au livre de François Huguenin. Cet auteur est un historien professionnel, spécialiste d’histoire politique et d’histoire religieuse. Nous ne doutons de ses bonnes intentions, et du caractère de manifeste catholique de son ouvrage, dimension qui a toute notre sympathie. Nous comprenons parfaitement qu’il a fallu faire des choix, qu’il ne s’agit pas d’un dictionnaire à 150 entrées, mais de proposer 15 portraits. Une seule a déjà fait l’objet de réserves publiques : ainsi, Alain Sanders, dans le quotidien Présent, a relevé le cas de De Gaulle, qu’il est quand même faux de qualifier de catholique exemplaire, guidé par sa foi ; mais s’il est le plus grand cas problématique dans la liste, il n’est selon nous pas le seul.
 
Aussi nous proposerons d’indiquer quelques hommages mérités, puis les cas problématiques.
 

Quelques hommages mérités

 
Parmi ces grandes figures catholiques figurent à juste titre, Clovis, Charlemagne, Suger, saint Bernard de Clairvaux, saint Louis, sainte Jeanne d’Arc, Richelieu, saint Vincent de Paul, Pascal, Louis XVI, Thérèse de Lisieux.
 
Cette liste est bien répartie dans le temps, du Vème siècle et la naissance de la France, par le baptême de Clovis en 496, au XIXème siècle avec sainte Thérèse de Lisieux. Les saints reconnus par l’Eglise, ce qui ne devrait pas surprendre, sont particulièrement nombreux : Charlemagne – jamais canonisé dans les formes, mais il existe une dévotion d’usage depuis le XIIème siècle au moins -, saint Bernard de Clairvaux, saint Louis, sainte Jeanne d’Arc, saint Vincent de Paul, sainte Thérèse de Lisieux. Les saints sont à admirer, à imiter encore pour les catholiques. Il n’y a aucun doute à avoir là-dessus, et leur place est des plus légitimes. Ils sont assurément des saints majeurs de la France.
 
Quant à ceux qui n’ont pas été canonisés, la chose s’explique, car il s’agit des plus politiques de ces saints, ceux qui sont intervenus dans le domaine temporel, comme rois ou grands ministres : Clovis, Suger – grand ministre de Louis VI puis Louis VII -, Richelieu. Ils ont ordonné, dans le cadre de leurs fonctions, de faire couler le sang, d’exécuter des ennemis de l’Etat. Ils ont certainement obéi à des motifs politiques réels – même si quelques doutes peuvent subsister pour quelques cas rares chez Clovis et Richelieu -, mais l’Eglise a toujours répugné à élever aux autels des hommes qui ont fait couler le sang.
 
En outre, Richelieu, s’il a été assurément d’une piété exemplaire, n’a pas laissé pour autant une réputation de sainteté. Le sérieux de la pratique, condition sine qua non du salut, ne suffit donc pas pour être un saint, du moins autant que l’on peut mesurer la chose avec nos connaissances imparfaites sur terre. Richelieu n’a jamais eu la réputation de faire des miracles, même post mortem. Sa politique extérieure d’entente avec les puissances protestantes en Europe, sans être indéfendable, a aussi nui à sa réputation. Mais son caractère profondément catholique est hors de doute, et il a donc bien sa place dans cette liste.
 
Se distingue le cas différent de Pascal : ce chrétien profond, auteur des Pensées, s’est égaré à la fin de sa vie dans de virulentes polémiques en faveur de l’Ecole janséniste, école spirituelle à l’orthodoxie catholique parfois douteuse. Nous ne referons pas ici la querelle du jansénisme au XVIIème siècle.
 
Enfin Louis XVI n’a pas été canonisé pour des motifs fondamentalement politiques. Il est mort martyr, en haine de la foi, le 21 janvier 1793. Parmi les motifs de sa mise à mort figurent, outre des prétextes purement politiques, sa défense des prêtres réfractaires et des religieux persécutés par la Révolution. Il y aurait peut-être beaucoup à dire sur sa conduite de la France de 1774 à 1789, puis sa conduite personnelle en 1789-1792 : les bonnes intentions, vagues, confuses, ne font certainement pas une bonne politique. Et les catholiques en France ont souffert, bien malgré lui, des erreurs politiques de ce roi. Mais il est mort indiscutablement en martyr et en haine de la foi ; il a fait preuve durant ses derniers mois d’une piété vraiment profonde et exemplaire. Sa canonisation a été bloquée à partir de 1830 par des régimes politiques se réclamant tous, au moins partiellement, de la Révolution.
 

Les grandes figures catholiques de la France contient plusieurs cas poblématiques

 
Parmi ces grandes figures catholiques exemplaires figurent aussi selon nous aussi quelques cas problématiques : Philippe le Bel, Henri IV, Louis XIV, De Gaulle. Philippe le Bel a fait preuve d’une piété personnelle sincère, profonde, mais il a commis un geste grave contre un pape, le pape Boniface VIII : s’il a certainement pas ordonné le fameux soufflet d’Anagni, il l’a déclaré, de sa propre autorité hérétique, schismatique, sodomite, assassin, etc., donc de ce fait déposé, sentence à ratifier par un concile convoqué par lui-même en Italie, chargé aussi d’élire un successeur à Boniface VIII. Dans ce regrettable conflit entre le roi de France et le pape, le premier n’avait pas tout les torts, mais il n’en était pas exempt non plus, et cet épisode a montré une grande légèreté quant au droit ecclésiastique…Donc Philippe le Bel s’avère selon nous le premier de ces personnages problématiques.
 
Henri IV pose problème à deux titres : sa foi et ses mœurs. Il a changé de nombreuses fois de foi, alternant catholicisme et protestantisme – entre 5 et 7 fois depuis l’enfance. Il est certes devenu un catholique pratiquant régulièrement, en apparence ferme à partir de 1593. Mais il avait été durant 20 ans le chef du parti huguenot ! Quant aux mœurs, Henri IV a fait preuve, de l’adolescence à sa mort, de grands désordres publics. Il a eu des dizaines de bâtards au cours de sa vie. Certes, il a fait preuve de grandes qualités de gouvernement durant son règne (1593-1610), mais ceci ne suffit pas à en faire un catholique exemplaire.
 
Quant à Louis XIV, catholique exemplaire de 1685 à 1715, soit tout de même 30 ans – tout le monde ne peut pas hélas en dire autant -, il avait preuve, et de façon quasi-publique, d’une trop grande légèreté avec de nombreuses dames durant sa jeunesse, et ce jusqu’à la quarantaine. Il a été parfois, notamment avec Mme de Montespan, en situation régulière d’adultère double…C’est pour le moins scandaleux, et si le roi a fait par la suite de grandes pénitences, sincères, le poser en modèle est tout de même problématique.
 
Enfin vient le cas le plus scandaleux, De Gaulle. François Huguenin insiste sur son assistance régulière à la Messe. Mais était-ce foi profonde ou conformisme social de son milieu ? L’auteur évoque aussi son merveilleux amour paternel pour sa fille trisomique : c’est en effet très bien, mérite d’être cité en exemple à notre époque de dépistage de la trisomie conduisant systématiquement ou presque à l’avortement. Mais cet élément ne suffit pas à en faire un catholique exemplaire en général. Dans cette construction, ô combien artificielle, fragile, et fausse d’un De Gaulle saint de vitrail, figurent des oublis majeurs : une fréquentation régulière, au moins jusqu’aux années 1920-1930, de maisons closes – le vice général du milieu militaire n’excuse rien -, et l’existence de maîtresses, secret de polichinelle curieusement encore préservé pour cette idole de la République.
 
Surtout, les plus grosses difficultés viennent de l’action politique de De Gaulle : sous son autorité, en 1944-45, il a fait beaucoup couler le sang ; au-delà de l’épuration judiciaire, impitoyable, il a toléré de fait à l’été et l’automne une épuration sauvage, souvent menée par les milices populaires du parti communiste. Il aurait été certes difficile dans l’ambiance de la Libération de plaider la clémence, ou, dans sa fonction de chef de l’Etat provisoire, de commuer massivement les peines de mort…Mais une grande figure catholique aurait fait face avec énergie à l’adversité sur ces sujets, quitte à échouer. Or, De Gaulle n’a rien fait. Puis, vient la solution apportée par De Gaulle à la question algérienne : il a renié plusieurs fois la parole donnée. Un politique digne, catholique ou non, s’apercevant d’une erreur manifeste dans les promesses formulées, aurait démissionné ; il n’en a rien fait, a trompé délibérément les Français d’Algérie et les Harkis. Les admirateurs de De Gaulle en font un Machiavel génial ; nous ne partageons nullement cette opinion, et le compliment excessif dénonce au passage justement un esprit tout sauf catholique. Et ces manœuvres gaullistes ont abouti au massacre de milliers de Français d’Algérie et de dizaines de milliers de Harkis, abandonnés donc au massacre collectif, parfaitement prévisible, exécuté par le FLN en 1962. Non, un tel homme, complice du massacre de masse de compatriotes ou d’auxiliaires loyaux de la France, ne mérite certainement pas de figurer parmi les grandes figures catholiques !
 

on hésite à recommander l’ouvrage de François HUGUENIN

 
François Huguenin a eu une excellente idée avec sa décision d’écrire ses grandes figures catholiques de la France. Il est toutefois très dommage que l’on hésite franchement à recommander la lecture de ce livre, non du fait d’un cas douteux et d’un seul, ou d’un esprit parfois un peu libéral dans certaines pages, mais à cause de ces 4 cas problématiques parmi ces 15 catholiques. C’est certes trop. Au lieu de Philippe le Bel, Henri IV, Louis XIV, De Gaulle, nous proposerions, en nous en tenant à un total raisonnable d’une douzaine de personnages, volontiers, sainte Blandine et sainte Bathilde, ce qui augmenterait la présence féminine.
 

Octave THIBAULT