Sans doute les commentaires au sujet de l’exhortation apostolique Laudate Deum se focaliseront-ils sur les recommandations du pape François pour la sauvegarde de la « Maison Commune » – expression forgée par Gorbatchev au temps de la chute de l’Union soviétique – dans la suite qu’il a voulu donner à l’encyclique « écologique » Laudato si’. Mais quoi que l’on pense de cette ingérence du pape dans un domaine qui ne relève pas de son devoir de conforter ses frères dans la foi, il y a bien plus grave, précisément au sujet de la foi. Et c’est cela qui devrait être l’objet de nous inquiétudes et de nos supplications à Dieu pour mettre fin à une crise qui semble atteindre ces jours-ci dans l’Eglise un point climatérique.
Après de multiples considérations sur la « crise climatique », le pape François ajoute un petit chapitre sur les « motivations spirituelles » de son engagement au côté de la planète, c’est au paragraphe 61 :
« Je ne veux pas manquer de rappeler aux fidèles catholiques les motivations qui naissent de leur foi. J’encourage les frères et sœurs des autres religions à faire de même, car nous savons que la foi authentique donne non seulement des forces au cœur humain, mais qu’elle transforme toute la vie, transfigure les objectifs personnels, éclaire la relation avec les autres et les liens avec toute la création. »
La « foi authentique », pas moins ! Analysons les propos du pape : il attribue spécifiquement aux « frères et sœurs des autres religions » une « foi authentique », une vraie foi donc. Or cela est absurde. La foi ne peut être authentique et vraie que si son objet est vrai. Il ne peut en toute logique y avoir qu’une seule foi « authentique », car il ne s’agit pas d’un vague sentiment de l’homme mais d’une adéquation au réel, à la réalité divine.
Laudate Deum travestit la foi, vertu surnaturelle
Ce propos du pape révèle une ignorance abyssale, voire un travestissement volontaire, de ce qu’est la foi.
Il y a ici une confusion entre le plan naturel et le plan surnaturel. La foi, la foi authentique, la vraie foi, est une vertu théologale, une vertu surnaturelle, infuse, qui nous est donnée, avec l’espérance et la charité, par le baptême. Elle consiste à croire en la Révélation donnée par Dieu et Dieu seul, en toutes ces vérités que l’homme ne peut connaître par la force de sa seule raison.
La foi ne se confond pas avec la religion, vertu naturelle par laquelle l’homme, grâce à la raison, peut et doit même connaître l’existence de Dieu qui le transcende, et à qui il doit adoration et reconnaissance. La religion peut être vraie ou fausse en fonction de son objet, de l’être qu’elle adore.
En parlant de la « foi authentique » des « frères et sœurs des autres religions » – alors que notre fraternité spirituelle découle précisément et seulement de la grâce reçue au baptême, qui nous fait enfants de Dieu et donc frères dans la foi – le pape François dénature et dévalue notre foi catholique.
Que recevons-nous par le baptême ? La grâce d’être lavés du péché originel – et pour les adultes, de tout péché personnel –, la filiation divine par l’incorporation au Corps mystique du Christ et la capacité de devenir cohéritiers du Fils de Dieu, l’infusion des vertus surnaturelles que sont la foi, l’espérance et la charité, et l’inhabitation de la Sainte Trinité en notre âme, qui demeure tant que nous conservons la grâce sanctifiante. « Ne le savez-vous pas ? Votre corps est un sanctuaire de l’Esprit Saint, lui qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu », enseigne saint Paul.
Telle est la grandeur, l’immensité du don de la foi, la spécificité de la grâce insondable reçue par le catholique au baptême.
Prétendre que tout croyant en n’importe quoi – adorateur d’Allah, du soleil ou de l’oignon – possède cette foi vive que seul Dieu donne gratuitement en transcendant des limites de notre pauvre nature blessée, revient (Dieu nous pardonne) à nier la foi catholique dans ses racines elles-mêmes.
Le pape François et l’alarmisme du climat au service du mondialisme
Ce constat étant posé, on n’abordera plus Laudate Deum comme un texte de plus où le pape François répète les poncifs de l’alarmisme du climat et se soumet aux préjugés et aux conclusions de ceux qui le prêchent.
Préjugés : il y a une crise climatique ; l’homme en est responsable ; elle est « globale » et systémique.
Conclusions : puisqu’elle est globale et systémique, elle est présente partout, et donc à combattre dans tous les détails de la vie. Ce totalitarisme – car c’en est un – est ce qui justifie toutes les mesures qui sont aujourd’hui préconisées et qui concernent aussi bien le prétendu devoir moral de prendre son vélo plutôt que sa voiture et d’éteindre la lumière en sortant, au niveau individuel, que la taxation mondiale du « carbone » et le respect par toutes les nations des Objectifs du développement durable (ODD), afin de réduire l’empreinte écologique de l’homme sur la Terre-Mère.
Ainsi le pape déclare-t-il au paragraphe 35 de Laudate Deum, adoptant le langage des mondialistes du jour, après avoir dit que pour combattre la « crise climatique », « les accords multilatéraux entre les Etats doivent avoir une place de choix » :
« Le multilatéralisme ne doit pas être confondu avec une autorité mondiale concentrée sur une seule personne ou sur une élite au pouvoir excessif : “Lorsqu’on parle de la possibilité d’une forme d’autorité mondiale régulée par le droit, il ne faut pas nécessairement penser à une autorité personnelle.” Nous parlons surtout “d’organisations mondiales plus efficaces, dotées d’autorité pour assurer le bien commun mondial, l’éradication de la faim et de la misère ainsi qu’une réelle défense des droits humains fondamentaux”. Il s’agit de les doter d’une véritable autorité pour “assurer” la réalisation de certains objectifs auxquels on ne peut renoncer. Il en résultera un multilatéralisme qui ne dépendra pas des circonstances politiques changeantes ou des intérêts de quelques-uns, et qui aura une efficacité stable. »
Il s’agit bien de doter les organisations mondiales, supranationales, « d’autorité », c’est-à-dire de pouvoirs contraignants. C’est un programme politique qui ne consiste pas à enseigner « toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit », mission divine et spirituelle confiée à son Eglise par Notre Seigneur au moment de son Ascension, mais à donner un mot d’ordre horizontal qui vise la soumission des nations à un objectif d’apparence naturelle. N’oublions pas le mot de Chesterton : « Chassez le surnaturel, il ne reste plus que ce qui n’est pas naturel. »
Laudate Deum personnifie la terre
Et tout cela au nom de la terre. Une terre personnifiée, une terre quasi divinisée… Le pape François, adoptant le langage de la religion écologique installée à la faveur du discours sur le climat, par des « gémissements de la terre » (paragraphe 5), ce « cri de la terre » théorisé par le théologien de la libération, Leonardo Boff dans son livre de 1995, Ecologie et pauvreté, le cri de la terre, le cri des pauvres.
Tout l’exhortation Laudate Deum est centrée sur cet horizon purement naturel qui cherche à sauver la planète plutôt qu’à sauver les âmes. Or, « que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il perd son âme », avertit Jésus. Si nous ne sommes pas d’abord centrés sur Jésus-Christ, il ne nous sert à rien de nous préoccuper d’un (supposé) réchauffement climatique. Les hommes mourront quoi qu’il arrive, avec ou sans réchauffement, et ce qui importe est qu’ils parviennent au salut éternel.
Nous le savons aussi : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu, et tout le reste vous sera donné par surcroît. » Cette phrase du Christ qui sous-tend toute la « doctrine sociale de l’Eglise » est la clef : il nous faut d’abord respecter la loi divine, il nous faut accueillir le royaume de Dieu par la vie de la grâce, il nous faut le chercher en toutes choses, et l’harmonie de la vie sur cette terre, la paix – y compris la paix sociale – qui est tranquillité de l’ordre nous est alors donnée. Ainsi les Bénédictins en cherchant Dieu ont-ils transformé l’Europe en jardin de chrétienté.
Vers le panthéisme
Laudate Deum va, hélas, encore plus loin, en dévalorisant ce royaume de Dieu qui, comme nous le savons, n’est pas de ce monde. L’exhortation apostolique – tout comme la religion du climat qui instaure en réalité une spiritualité globale à laquelle tous sont censés pouvoir adhérer – utilise un langage propre au panthéisme.
Quelques exemples :
§ 25 : Nous ne pouvons même pas dire que la nature serait un simple « cadre » où nous développerions nos vies et nos projets, car « nous sommes inclus en elle, nous en sommes une partie, et nous sommes enchevêtrés avec elle », de sorte que « le monde ne se contemple pas de l’extérieur mais de l’intérieur ».
§ 64 : Jésus « pouvait inviter les autres à être attentifs à la beauté qu’il y a dans le monde, parce qu’il était lui-même en contact permanent avec la nature et y prêtait une attention pleine d’affection et de stupéfaction ».
Lisez donc le Nouveau Testament, on n’y trouve rien de tel, Jésus y enseigne – comme au chapitre 6 de l’évangile de saint Mathieu et au chapitre 12 de l’évangile de saint Luc – que nous valons bien plus que les biens si merveilleux de la nature, et que notre œil doit être fixé sur ce qui est surnaturel. Notre trésor est dans le ciel, et dans cette grâce sanctifiante qui place la Sainte Trinité elle-même au fond de notre âme.
§ 65 : « Les créatures de ce monde ne se présentent plus à nous comme une réalité purement naturelle, parce que le Ressuscité les enveloppe mystérieusement et les oriente vers un destin de plénitude. Même les fleurs des champs et les oiseaux qu’émerveillé il a contemplés de ses yeux humains, sont maintenant remplis de sa présence lumineuse. » Si « l’univers se déploie en Dieu, qui le remplit tout entier, il y a donc une mystique dans une feuille, dans un chemin, dans la rosée, dans le visage du pauvre ».
§ 67 : La vision judéo-chrétienne du cosmos défend la valeur particulière et centrale de l’être humain au milieu du concert merveilleux de tous les êtres, mais aujourd’hui nous sommes obligés de reconnaître que seul un « anthropocentrisme situé » est possible. Autrement dit, reconnaître que la vie humaine est incompréhensible et insoutenable sans les autres créatures parce que « nous et tous les êtres de l’univers, sommes unis par des liens invisibles, et formons une sorte de famille universelle, une communion sublime qui nous pousse à un respect sacré, tendre et humble ».
Comment ne pas avoir ici la confusion entre la nature et la grâce qui est à la racine des erreurs véhiculés par Laudate Deum ?
Elles sont bien plus graves que les déclarations du pape sur le climat et le règlement mondialiste de la « crise du climat », qui – est-il nécessaire de le rappeler ? – ne bénéficient d’aucune garantie d’infaillibilité et ne lient pas les catholiques.
Si sur ce point, il nous est possible de rester détendus, les étranges déclarations du pape François qui touchent la foi elle-même ont de quoi nous secouer. Comment un pape peut-il dire de telles choses ?
En tant qu’homme, il le peut. Comme chacun de nous le sommes trop souvent, il peut être infidèle à la mission que Dieu lui donne. Mais l’Eglise, nous le savons aussi, bénéficie de la promesse divine : les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle (ce qui laisse comprendre, bien sûr, qu’elles s’efforcent de l’abattre depuis que le Christ l’a instituée), et Notre Seigneur restera avec elle jusqu’à la fin des temps.
Sommes-nous secoués ? Certainement. Mais alors l’heure est à la prière : la prière pour le pape. Et nous pouvons aussi crier : « Seigneur, nous périssons ! », mais en étant sûrs, déjà, de la réponse : « Pourquoi êtes-vous effrayés, hommes de peu de foi ? »
« Et moi, je suis avec vous jusqu’à la fin des temps. » (Mt 28, 20)