L’inquiétant discours du pape François à Singapour sur « toutes les religions »

François Singapour toutes religions
 

Au dernier jour de son voyage en Asie du Sud-Est, le pape François a choisi de délivrer aux jeunes son message le plus choquant, le plus – osons le mot – scandaleux. Il tient en quelques mots, prononcés ainsi en italien : « Toutes les religions sont un chemin pour arriver à Dieu. » Cela revient à dire qu’aucune religion ne peut prétendre être vraie, et à des jeunes qui plus est, dépourvus de la formation, du recul, de la sagesse de savoir que des mots lancés ainsi au débotté par un souverain pontife ne sont de sa part qu’une déclaration personnelle et sans autorité.

« Un chemin pour arriver à Dieu » : voilà qui désigne un « chemin » efficace, un parcours abouti ou susceptible de l’être, capable de mener le voyageur à sa destination. Un chemin qui serait donc celui de chaque, de toute religion : les sikhe, musulmane, hindoue, chrétienne sont celles que le pape a citées. Exemples parmi d’autres.

La déclaration, impromptue et donc véritablement révélatrice de ce que François a voulu dire aux jeunes, est sidérante. Elle l’est, en tout cas, de la part d’un pape ; de la part d’un franc-maçon, ce serait un simple exposé de sa pensée, de ce qui se dit en loge… Et de la part d’un guénonien (mais les deux se recoupent), une application de l’idée selon laquelle les grandes religions traditionnelles détiennent toutes une parcelle, une partie de la religion originelle et mènent donc toutes à Dieu.

 

Si « toutes les religions » arrivent à Dieu, à quoi sert le pape ?

Il faut lire l’ensemble des propos du pape sur les religions (d’après le texte français officiel mais en corrigeant celui-ci pour mieux rendre texte italien d’origine), pour nous y attarder, et faire un peu de clarté :

« L’une des choses qui m’a le plus frappé chez vous, les jeunes, ici, c’est votre capacité de dialogue inter-religieux. Et c’est très important, parce que si vous commencez à vous disputer : “Ma religion est plus importante que la tienne…”, “La mienne est la vraie, la tienne n’est pas vraie…”. Où cela mène-t-il ? Où ? Quelqu’un répond : où ? [quelqu’un répond : “La destruction”]. C’est ainsi. Toutes les religions sont un chemin pour arriver à Dieu. Elles sont – je fais une comparaison – comme des langues différentes, des idiomes différents, pour y parvenir. Mais Dieu est Dieu pour tous. Et parce que Dieu est Dieu pour tous, nous sommes tous fils de Dieu. “Mais mon Dieu est plus important que le vôtre !” Est-ce vrai ? Il n’y a qu’un seul Dieu, et nous, nos religions sont des langues, des chemins pour arriver à Dieu. Certains sont sikhs, d’autres musulmans, d’autres hindous, d’autres chrétiens, mais ce sont des chemins différents. Understood ? »

Le message qu’il leur laisse est une feuille de route relativiste, qui n’encourage aucun de ces jeunes d’origine multiconfessionnelle à rechercher la vraie religion s’ils n’y sont pas, et à peine à y demeurer s’ils s’y trouvent. D’où le qualificatif de « scandaleux » : il s’agit ni plus ni moins que d’inviter ceux qui sont dans l’erreur à y demeurer, parce qu’ils y seraient aussi bien qu’ailleurs ; il s’agit de les inviter à ne pas chercher la vérité et à ne pas éviter d’adorer des idoles, et donc à passer outre au devoir impérieux de l’homme d’adorer Dieu, le vrai Dieu. Faites le mal et évitez le bien !

« Je suis le chemin, la vérité et la vie. Personne ne vient au Père, si ce n’est par moi », enseigne tout autrement le Christ. Il est le seul, l’unique chemin, il n’y en a pas d’autre pour « arriver à Dieu ».

 

Les langues et les religions sur le même plan : les confusions du dialogue inter-religieux

En présentant les diverses religions comme des langues différentes, c’est-à-dire comme des modes d’expression variées d’une même réalité, « un Dieu pour tous », le discours est fondamentalement trompeur, de la même façon exactement que l’était la Déclaration d’Abou Dhabi, signé par le pape et par l’imam Al-Tayeb du Caire affirmant : « « Le pluralisme et les diversités de religion, de couleur, de sexe, de race et de langue sont une sage volonté divine, par laquelle Dieu a créé les êtres humains. » Langue et religion ne sont pas sur le même plan.

Certes il n’y a, objectivement, qu’un seul Dieu, mais toutes les religions ne le connaissent pas ni ne l’adorent. Sans quoi la face du monde serait bien différente…

« Parce que Dieu est Dieu pour tous, nous sommes tous les fils de Dieu », a assuré le pape à ces jeunes de diverses religions qu’on suppose animés du désir de Le connaître. Mais là encore, ce n’est pas exact, ou alors il faut tenir le baptême pour rien. Le Catéchisme de l’Eglise catholique rappelle : « Par le Baptême nous sommes libérés du péché et régénérés comme fils de Dieu, nous devenons membres du Christ et nous sommes incorporés à l’Eglise. » Dans notre humanité déchue, on ne naît pas fils de Dieu, on le devient, pourrait-on dire : par la grâce de Dieu et par les mérites de son Divin Fils, au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit.

Le baptême est l’une des victimes de ce discours, mais il n’est pas le seul. S’il est vrai que toutes les religions permettent d’« arriver à Dieu », à quoi servent les sacrements, que seule l’Eglise catholique dispense dans leur intégralité ? Seraient-ils inutiles ? Ou réduits à une simple aide dont on peut se dispenser sans dommage ? N’aurait-on plus besoin du baptême pour être lavé du péché originel, ni de l’absolution pour être pardonné des péchés individuels, ni de la nourriture de l’âme qu’est l’Eucharistie ? Et s’agissant de ce dernier, Notre Seigneur aurait-Il enduré pour rien, ou simplement pour nous assurer un petit « plus » accessible dans la religion catholique, sa passion et sa mort douloureuses, ce sacrifice inouï que chaque messe renouvellerait donc, encore une fois, pour rien ? La communion, cette « co-union » avec Dieu que l’Eucharistie signifie et réalise en nous comblant de grâces imméritées, en nous faisant réellement participer au sacrifice du Christ, ne serait-elle qu’une version parmi d’autres, et d’égale valeur, de ces « chemins » qui font « arriver à Dieu » ?

Mais alors, notre foi est vaine ! Toute l’économie du salut, tout le mystère de la Rédemption se retrouvent réduits à une histoire sympathique, mais interchangeable avec d’autres récits et croyances.

 

A Singapour, « toutes les religions » sont grises

Et même avec la foi judaïque, qui pourtant annonçait le Messie, sa naissance virginale et son sacrifice sanglant… La foi des Hébreux était-elle du même ordre et de la même valeur que celle des adorateurs de Baal ou des religions d’Ur ? Surtout, aurait-elle encore le même statut que jadis, alors que le Temple a été détruit…

En fait, c’est même du point de vue de la simple logique que la déclaratoin de François s’effondre. Foi, doctrine, morale sont incompatibles d’une religion à l’autre. Un seul et même Dieu ? Comment le prétendre lorsque l’hindouisme idolâtre plusieurs dieux ? Comment concilier le Dieu un et trine avec Allah qui ne souffre pas d’avoir un fils (et encore moins un Saint Esprit procedenti ab utroque) ?

Et puisque nous parlons de l’islam, il va falloir comprendre aussi comment le Dieu des chrétiens qui institue le mariage un et indissoluble peut être le même qu’Allah autorisant quatre femmes (on ne parle ici que des légitimes). Et l’esclavage, par-dessus le marché. Il va falloir expliquer comment les juifs peuvent avoir crucifié le Messie et que le Coran puisse prétendre qu’il n’en est rien, et qu’il n’y eut jamais de Résurrection, sans tomber sur d’irréductibles contradictions.

Aux jeunes, François a donné l’exemple de « toutes » les religions, même s’il en a nommé expressément quatre. Toutes, cela englobe les esclavagistes et les religions orgiastiques de l’Antiquité, les adeptes des sacrifices humains chez les Aztèques ou les Incas et ceux du suttee pour les veuves hindoues, le carnage des enfants jetés dans la gueule de Moloch, les membres amputés pour les voleurs et la peine de mort pour les apostats convertis au Christ chez les musulmans…

 

A Singapour, le pape François nie la hiérarchie des religions : exit la vérité

Oui, il y a une hiérarchie des religions, du vrai au faux, du divin jusqu’à l’infernalement cruel, et on ne peut en tant que tel dire : « Mon Dieu est plus important que ton dieu » (ou meilleur) car le seul Dieu est par définition le seul vrai Dieu, à l’exclusion de tout autre. Et certains s’en font une idée qui le fait ressembler au démon, engendrant haine, violence, mensonge et injustice, ou à des personnages criblés de vices et plein de rivalités comme le sont les faux dieux des religions polythéistes.

Il faut décidément ne pas croire que l’Eglise est « une, sainte, catholique et apostolique », comme nous l’affirmons (et le pape François aussi…) au Credo pour mettre les autres religions sur le même pied. Sa sainteté est réelle, elle est visible (et soit dit en passant, elle n’est pas atteinte par les faiblesses et les péchés de l’homme qui la composent) : l’Eglise est le Corps mystique du Christ et elle donne aux hommes sa loi d’amour et, par les sacrements, sa grâce. Elle enseigne le Bien, elle rejette et condamne les pratiques mortelles d’autres religions, elle s’en distingue par la vérité de son objet quelles que soient les défaillances des hommes à la nature blessée qu’elle a pour mission de sauver et de faire entrer dans la vie éternelle, dans l’amitié de Dieu…

Mais quid alors, dira-t-on, des hommes qui n’ont pas la vraie foi ? Nous savons qu’ils peuvent être sauvés, mais toujours malgré leur foi et par le Christ, par le truchement de l’Eglise, s’ils se montrent dociles aux inspirations du Saint-Esprit en vivant une vie droite, selon leurs lumières ; mais privés de l’aide puissante des sacrements. Le chrétien sait que la grâce prévenante peut les ouvrir à la recherche de la vraie foi et que celle-ci peut être rationnellement trouvée ; et il sait que Dieu ne refuse pas alors la grâce, don gratuit à celui qui la recherche et demande avec humilité.

Si Jésus-Christ a existé – Il est cette pierre d’achoppement dont parle l’Evangile –, s’Il est Fils de Dieu comme Il l’a lui-même enseigné, s’Il est mort et ressuscité comme le montre pour ainsi dire en images le Saint-Suaire, s’il est ainsi « démontrable » qu’Il est la Vérité et la Vie, la religion n’est pas une question d’opinion comme on l’imagine aujourd’hui, ni une hypothèse à rejeter en compagnie d’un Occident apostat, ou une « chemin » parmi tant d’autres. Il est celui dont il faut reconnaître la bonté infinie ; celui que nous n’avons pas le droit de taire ni d’occulter face aux hommes qui sont tous invités à « savoir le don de Dieu ».

 

Jeanne Smits