Des documents explosifs révèlent la mainmise de la Russie sur les fournitures de gaz à l’Europe, avec des violations délibérées des lois européennes et des intimidations politiques depuis une dizaine d’années. Cette enquête, parmi les plus approfondies de l’histoire de l’Union européenne et qui met en cause les dirigeants de l’UE, révèle que le géant de l’énergie Gazprom, contrôlé par le Kremlin, a utilisé ses énormes moyens pour faire pression sur les Etats les plus vulnérables de l’Europe orientale – Pologne en tête – et pour fragmenter le marché unifié européen de l’énergie grâce à des politiques commerciales arbitraires. Le rapport d’enquête relève que l’Allemagne a bénéficié d’un accord très avantageux avec Gazprom, obtenant un avantage compétitif grâce aux prix du gaz qui lui étaient facturés, cela aux dépens d’autres économies de l’UE, laissant les Etats voisins de la Russie à la merci de Moscou qui leur impose des prix écrasants.
Gazprom a imposé des prix exorbitants à la Pologne
La Bulgarie a ainsi été traitée par la Russie comme une colonie et la Pologne, qui a refusé certaines exigences de Moscou, a dû payer un prix exorbitant pour importer des quantités de gaz depuis la Sibérie. Ces éléments révélés par des députés européens – dans un rare exercice de dévoilement – constituent une véritable bombe politique et diplomatique. Elles sont singulièrement embarrassantes pour le directoire européen, pourtant obsédé par la concurrence. L’enquête révèle ainsi que Bruxelles connaissait toute la vérité mais que les patrons de l’UE ont fermé les yeux, alors même qu’ils préparent un accord avec Moscou, laissant enfreindre les principes fondamentaux de l’Union européenne. Gazprom est à l’évidence le bras armé de l’influence russe.
« C’est énorme. Ce que montrent ces documents, c’est un abus permanent de position dominante, et cela avec des intentions clairement politiques », estime le Pr Alan Rigley, expert de la législation énergétique européenne à l’Atlantic Council. « Gazprom divisait tant qu’elle pouvait le marché européen de l’énergie et maintenant la Commission européenne entend passer un accord qui traite les pays de l’Europe de l’Est comme s’ils n’étaient pas des Etats membres », dénonce-t-il. Le contexte politique est hautement inflammable. La commissaire à la concurrence de l’UE, Margrethe Vestager, est l’auteur d’une violente campagne contre les entreprises américaines de technologie telles que Google et Apple, accusant les patrons de la Silicon Valley de menacer la démocratie européenne. Pourtant, face à Gazprom, cet accord à deux niveaux prouve que la même Commission européenne a cédé à des pressions extérieures, preuve de schizophrénie idéologique.
Gazprom a imposé un prix de 350 dollars à la Pologne, contre 200 dollars à l’Allemagne pourtant plus éloignée !
Le document principal est une mise en cause confidentielle par l’Autorité de la concurrence. Il a été rédigé en 2015 après quatre années d’investigations. Il établit que Gazprom a violé de multiples lois et règlements européens et a mené « des actions délictueuses », imposant « des prix abusifs » et tirant profit « sa situation dominante ». La Commission a demandé des amendes s’élevant à 30 % des ventes concernées, ou de 10 % du total. Le texte indique que « la Commission considère que les violations ont été perpétrées intentionnellement » et que « Gazprom est totalement conscient de la nature illégale d’au moins certaines des mesures contractuelles et non-contractuelles » qui ont été imposées.
Les enquêteurs ont découvert que Gazprom avait imposé un prix de 350 dollars pour 1.000 M3 de gaz, à rapporter aux 200 dollars demandés à l’Allemagne à l’arrivée du gazoduc Yamal, prix qui eût dû être supérieur en raison de la distance. La raison de cette pénalité imposée à la Pologne serait que cette dernière a refusé de céder à la Russie le contrôle sur sa section du gazoduc. Le prix favorable concédé à l’Allemagne pourrait expliquer pourquoi ce pays a été le plus ardent avocat des intérêts de Gazprom à Bruxelles.
Gazprom, le bras armé de la Russie contre l’UE
Cet épisode révèle la vacuité de la rhétorique en cours à l’Union européenne et de ses postures moralisatrices. Il pourrait devenir un scandale européen majeur. Des dirigeants polonais ont accusé l’Allemagne d’avoir mis à profit son énorme influence à Bruxelles pour censurer les conclusions de l’enquête et favoriser un règlement l’amiable avec Gazprom, qui préserverait le statu quo. « On nous dit que la Commission veut un accord à l’amiable et a déjà décidé de le passer. Ce serait gravement déloyal avec la Pologne et les autres victimes », dénonce Jacek Sariusz-Wolski, élu au Parlement de Varsovie et ancien secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes.