Le mini-sommet de dimanche à Bruxelles, censé préparer le Conseil européen des 28 et 29 juin, avait été convoqué par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker à la demande instante de la chancelière allemande, afin de parler immigration. Angela Merkel avait besoin d’un accord européen pour éviter une crise gouvernementale : son ministre de l’Intérieur Horst Seehofer lui avait en effet donné jusqu’à la fin du mois de juin, faute de quoi il promet de commencer les expulsions aux frontières des immigrants en situation irrégulière qui ont déjà demandé l’asile ou ont déjà été débouté de ce droit dans un autre pays de l’UE. Effet domino garanti : le chancelier autrichien Sebastian Kurz a déjà annoncé que l’Autriche rétablirait les contrôles aux frontières si les « migrants » arrivant d’Autriche sont refoulés à chaud par l’Allemagne. Plus au sud, l’Italie, qui milite activement pour la relocalisation obligatoire des « migrants », refuse désormais l’accès de ses ports aux navires des ONG chargés de nouveaux arrivants. Comme avec la fermeture de la route des Balkans réalisée début 2016 à l’initiative de l’Autriche et avec le soutien des pays du Groupe de Visegrád (V4), les politiques nationales et la coopération entre les gouvernements sans passer par Bruxelles pourraient s’avérer beaucoup plus efficace que les interminables palabres européens.
Un mini-sommet de Bruxelles convoqué pour sauver le gouvernement d’Angela Merkel mais boycotté par le V4 qui y voyait une réunion du « club des amis de la relocalisation »
Ce n’est pas la première fois qu’Angela Merkel sème la discorde au sein de l’UE en poursuivant ses objectifs de politique intérieure. C’est déjà elle qui, en décidant d’ouvrir de manière unilatérale les frontières de l’Allemagne aux immigrants clandestins, en violation des règles européennes, puis en poussant la Commission européenne à tenter d’imposer la relocalisation des demandeurs d’asile en septembre 2015, avait fait voler en éclat l’unité de l’UE. Elle avait réussi à faire plier le gouvernement polonais, mais c’est ce qui donna un mois plus tard la majorité absolue lors des élections législatives à un parti conservateur Droit et Justice (PiS) qui avait promis de refuser toute relocalisation.
Un axe Seehofer-Autriche-Italie désormais proche du V4 contre l’axe Merkel-France-Espagne
Aujourd’hui, malgré l’opposition entre, d’un côté, l’Italie, et, de l’autre côté, l’Autriche et le V4 sur la question des relocalisations, Rome est du côté du V4, de Vienne et de Seehofer en ce qui concerne la volonté de stopper l’immigration illégale face à l’axe immigrationniste Merkel-Paris-Madrid qui s’est dessiné ce week-end à Bruxelles. Et si l’Italie a basculé dans le camp anti-immigration avec l’avènement du gouvernement M5S-Ligue, c’est en grande partie grâce aux politiques nationales de la France, de l’Autriche et de la Suisse qui, en rétablissant les contrôles aux frontières, ont en partie bloqué depuis 2015 l’évacuation vers le nord de l’Europe des immigrants débarqués en Italie. Là aussi, il y a eu un effet domino, même s’il s’est fait sentir avec beaucoup de retard en raison de l’idéologie immigrationniste des gouvernements de centre-gauche de Matteo Renzi puis de Paolo Gentiloni.
La lutte contre les ONG pro-immigration lancée par Salvini plébiscitée par l’électorat italien et applaudie par la Hongrie
C’est en effet seulement en 2017, sous la pression d’un électorat mécontent et d’un net recul du Parti démocrate (PD) aux élections municipales, que le gouvernement de centre-gauche de Gentiloni avait fini par imposer un code de conduite aux ONG opérant en Méditerranée et négocier un accord avec Tripoli pour freiner le flot continu d’immigrants. Le nouveau ministre de l’Intérieur de la Ligue, Matteo Salvini, entend bien poursuivre et même étendre la mise en œuvre de ces mesures. Après avoir refusé d’accueillir l’Aquarius, le gouvernement italien prévient qu’il saisira le Lifeline et le Seefuchs de l’ONG allemande Mission Lifeline si ceux-ci viennent débarquer leur chargement d’immigrants dans un port du pays. Ils sont en effet accusés d’avoir violé le code de conduite imposé par l’Italie en naviguant trop près du rivage libyen, dans la zone normalement réservée à la Garde côtière de Tripoli. Samedi, la Garde côtière italienne a fait savoir que les navires des ONG devraient désormais entrer en contact avec Tripoli au lieu de Rome pour les opérations au large de la Libye. Dimanche, l’ONG espagnole Activa Open Arms s’est vu interdire une intervention par le centre de secours maritime de Rome concernant un millier environ de « migrants » qui venaient d’être mis à la mer par les passeurs. Ce sont les garde-côtes libyens qui sont intervenus et ont ramené les Africains à bon port.
Plébiscitée par les Italiens à en croire les sondages où la Ligue est désormais en tête des intentions de vote, à 30 %, la politique de Salvini contre les ONG, après avoir été vantée plus tôt par Viktor Orbán, a reçu vendredi le soutien officiel du Fidesz hongrois qui estime que l’Italie a raison d’empêcher les « navires de Soros » d’accéder à ses ports. Le parlement hongrois a lui-même adopté la semaine dernière les lois « Stop Soros » qui étaient en discussion depuis le début de l’année, dotant ainsi les autorités du pays de nouveaux instruments juridiques pour lutter contre la promotion de l’immigration illégale par certaines ONG et leurs militants.
Face à une UE dominée par l’option immigrationniste, la fermeture des frontières nationales par les gouvernements « populistes » génère un effet domino salvateur
Quant à la réunion de 16 chefs d’État et de gouvernement de l’UE dimanche, elle n’a permis que de confirmer les divergences. Les pays du V4 la boycottaient, considérant que ce n’est pas à la Commission européenne de convoquer de tels sommets, même si c’est Angela Merkel qui le demande. La Hongrie, la Tchéquie, la Slovaquie et la Pologne ne souhaitaient pas non plus reprendre la discussion sur les relocalisations, qui était au programme. Le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a parlé avec dédain d’une réunion du « club des amis de la relocalisation ». Après s’être mis l’Italie à dos, le président français Emmanuel Macron a, de son côté, demandé la mise en place de sanctions à l’égard des pays qui refuseront de prendre leur part d’immigrants.
Dans ces conditions, il semble que c’est la défense de leurs intérêts nationaux par les gouvernements « populistes » et assimilés comme tels, alliée à des coopérations intergouvernementales court-circuitant les institutions de l’UE et se faisant contre l’avis de Bruxelles et Berlin, qui pourrait bientôt stopper ou au moins freiner l’immigration illégale vers l’Europe. En juin 2016, le directeur de Frontex Fabrice Luggeri avait reconnu devant les sénateurs français que la fermeture des frontières dans les Balkans malgré l’opposition de ces deux capitales avait grandement contribué au « tarissement des arrivées par la route de Méditerranée orientale ».