“Intox, 1870-1914 : La presse française en délire” : Hubert Monteilhet

Intox 1870-1914 La presse française en délire Hubert Monteilhet
Le pamphlet fait souvent fort mauvais ménage avec le sujet historique – aux éclats des combats, il ne faut pas rajouter ceux du verbe. Hubert Monteilhet a passé outre et voulu rattraper la marée livresque qui accompagna la célébration du centenaire de la Grande Guerre, avec un petit ouvrage au titre provocateur : Intox, 1870-1914 : La presse française en délire.
 
Sus aux préjugés ! Monteilhet s’énerve et taille dans le vif. Du « plus bête et [du] plus hideux des massacres » il veut dédorer le blason, assombrir l’image d’Épinal, en dénonçant avec virulence la responsabilité de la presse française dans la préparation du conflit – et même de la France entière ou presque, de ses politiques à ses poètes. A juste titre, il se dresse contre l’axiome qui veut reporter toute la faute sur l’Allemagne. Mais il vitupère tant et tant, versant dans l’outrance et la démesure, qu’il donne à son tour matière à dénonciation… Ce qu’il fait de manière plus cuisinée dans ses romans se donne ici tout cru – et ça se digère moins bien.
 

Intox, 1870-1914 : La presse française en délire

 
La raison initiale ? Le matériau de la guerre, la chair à canon : les soldats. Monteilhet revient sur l’idée de « conscription », de service militaire obligatoire. L’armée française a oscillé dans son histoire entre l’appel aux petits et moyens propriétaires et le mercenariat. Depuis la Révolution, c’est la levée en masse, celle contre laquelle – en partie – s’est dressée la Vendée, la levée des prolétaires. Et ces « prolétaires », ces hommes du peuple ignorants de leurs voisins, aux ambitions naturellement limitées, il faut les persuader du bien-fondé de cette guerre qui ne les concerne en rien. Certes…
 
Monteilhet opère donc une revue de presse ciblée qui met « en valeur » la propagande belliciste qui sévissait alors dans cette France mal remise de sa honte de 1870. « Une presse sans rivale et sans retenue » qui fait de l’anti-boche à l’excès, et même jusqu’à la folie – l’Allemand y perd, il est vrai, jusqu’à son humanité ; les élucubrations pseudo-scientifiques du professeur Bérillon valent leur pesant… d’or.
 
Il faut réveiller « les instincts ataviques de la race gauloise » ! La guerre a sa valeur proprement régénératrice à laquelle il faut aller puiser le renouveau de la nation française. De Renan à Paul Bourget, ils l’ont tous dit ; de Péguy à Michelet, ils l’ont tous chanté… Nous récupérerons notre Alsace-Lorraine et en moins de deux ! Belle présomption à même de juguler les enthousiasmes. Monteilhet démystifie et il ne fait pas de quartier.
 

Un « piège ourdi par la France et la Russie » (Hubert Monteilhet)

 
Il en profite pour épingler la confiance aveugle qui régnait dans l’usage de l’arme blanche et la défiance face aux nouvelles armes de précision. Il est vrai, l’état-major français avait quelque retard et son « esprit résolument offensif » en aggrava le tort. Dans les journaux du tout début de la guerre, on se gausse de l’inefficacité des shrapnels – quelques millions de victimes plus tard, on en a moins reparlé. Totale méconnaissance, il y avait, total irréalisme. « Désinformation » coupable, c’est un autre pas qu’il est plus malaisé de franchir.
 
Sûr que la responsabilité du déclenchement de la guerre n’est pas à reporter sur la seule Allemagne, toujours prête néanmoins à saisir l’opportunité d’une confrontation pour parfaire l’unité de son empire maintenu morcelé depuis le traité de Westphalie. Mais pour Monteilhet, c’est un véritable – unique ? – « piège ourdi par la France et la Russie [qui] n’attendait qu’une occasion pour fonctionner ». La mobilisation de la Russie date du 30 juillet, l’avant-veille de la déclaration de guerre de l’Allemagne : c’est elle « qui a transformé un incident balkanique en guerre internationale » et la France, par les mensonges de Viviani à la Chambre des députés en 1922 sur les dates de ces déclarations, a couvert pour son guerrier intérêt, la faute russe.
 
Les meneurs ? Monteilhet n’hésite pas à évoquer « les bras sinistres de Maurras » et son bellicisme accrocheur, face au pacifique socialisme français, « l’exception »… L’histoire est-elle si simple ? Ces pacifiques ne prônaient-ils pas pour une bonne part la désertion pure et simple ? « Si vis pacem para bellum ». Et que dire du rôle rarement mis en lumière et pourtant éminent du Grand-Orient et de ses officines dans cette course à la guerre ?
 
Il est vrai que ces « millions de morts, de mutilés, de blessés », ce délire incandescent qui vit tomber la fine fleur de la jeunesse française dans une boucherie sans nom, fut une folie pure et simple. Il est sain d’en dénoncer la partiale analyse. Mais à condition de n’en point créer une autre.
 

Clémentine Jallais

 

 
Intox, 1870-1914 : La presse française en délire : Hubert Monteilhet, éditions de Fallois, 134 p. 16 €