Malgré la désinformation systématique sur ce que subissent les chrétiens, les persécutions antichrétiennes en Irak sont connues. La grande majorité d’entre eux a été obligée de choisir l’exil après 2003. Quels que fussent ses torts, Saddam Hussein ne les persécutait pas, contrairement à ses successeurs, sous protectorat américain, puis après.
De même, le drame vécu par les chrétiens de Syrie finit par passer à travers la propagande hystérique en faveur des rebelles musulmans qui en sont responsables, alors que le régime baasiste de Damas, comme Bagdad jadis, ne les opprimait pas.
De façon surprenante, reste assez occulté le drame vécu depuis des décennies par les chrétiens d’Egypte, et plus intense que jamais depuis le Printemps Arabe de 2011. Ils forment pourtant la communauté la plus nombreuse du monde arabe, d’au moins 8 millions de fidèles. Islam contre Coptes : la partie est terrible, mais pas jouée. Par Octave Thibault.
Il s’agit d’une des chrétientés les plus anciennes du monde, remontant indiscutablement aux temps apostoliques, se revendiquant de l’évangéliste Marc en particulier, du fait du voisinage de la Terre Sainte et de la présence au premier siècle de notre ère d’une très importante communauté judéenne hellénophone, à Alexandrie et dans tout le delta. Ces chrétiens sont dits « coptes », c’est-à-dire égyptiens, et relèvent dans leur écrasante majorité de l’église copte, séparée de Rome pour raisons doctrinales au Vème siècle ; elle professe le monophysisme, soutenant qu’il n’existerait véritablement qu’une nature divine dans le Christ, qui n’aurait possédé qu’une apparence de corps humain (résumé très simplifié). Il y a eu dans l’adoption de cette hérésie une forme de résistance nationale égyptienne à l’empereur romano-grec de Constantinople, en principe gardien de l’orthodoxie.
Jusqu’à Nasser inclus
Les chrétiens d’Egypte sont tombés sous domination arabo-musulmane dans les années 640. Ils résistent durant plusieurs siècles à l’islamisation et l’arabisation. Celles-ci s’accomplissent autour de l’an 1000, sous les califes fatimides, curieusement chiites, et non sunnites ; pratiquement tous les musulmans d’Egypte sont aujourd’hui sunnites. Nonobstant des phases de franche persécution, avec de nombreux martyrs, et l’apostasie des moins convaincus, la minorité chrétienne survit jusqu’à nos jours, numériquement importante en valeur relative jusqu’aux années 1960, avec alors plus de 15% des Egyptiens. Aux XIXème et XXème siècle, la monarchie sunnite, d’origine albanaise, sous la pression de l’Europe et parfois par libéralisme sincère, ne les persécute pas, ni le socialisme nassérien qui lui succède jusqu’en 1970.
Sadate et les frères musulmans
Le drame récent des chrétiens d’Egypte commence donc dans les années 1970, avec la rupture voulue par Sadate, successeur de Nasser. Ayant choisi la paix avec Israël sous les auspices de l’Amérique par les accords de Camp David, il s’attira pour cela la haine et le mépris de la majorité des musulmans qu’il tenta d’amadouer en affichant sa piété islamique personnelle, et réislamisant la société égyptienne, donnant ainsi partiellement satisfaction aux frères musulmans, qui avaient été aidés à leur création par l’occupant anglais contre les officiers libres et les divers courants indépendantistes démocratiques. Mais cela ne suffisait pas aux Frères musulmans, dont l’objectif, indépendamment d’Israël, était l’islamisation radicale de l’Egype, et il finit assassiné par ceux qu’il n’avait cessé de flatter, en vain. Le nouveau président, Moubarak, durant les décennies suivantes, favorisa tacitement la poursuite de ce retour de la société à l’orthodoxie coranique, ou supposée telle ; lui-même intelligent, cultivé, francophone, il fut d’autant plus coupable qu’il ne partageait pas l’obscurantisme islamiste.
Au mouvement des Frères Musulmans, toléré de fait à travers de multiples organisations satellites humanitaires, s’ajoutent dans les années 1980 des concurrents salafistes, tirant leur inspiration du sunnisme ultrarigoriste wahhabite d’Arabie Saoudite, répandu par des prédicateurs du Golfe ou des Egyptiens formés là-bas, tirés de la masse des millions de travailleurs pauvres immigrés provisoires.
L’exil ou la dhimitude
Les uns comme les autres rivalisent de zèle islamique en persécutant les chrétiens au quotidien, phénomène nettement perceptible à partir de ces années 1980, qui n’a jamais cessé. Les policiers n’enregistrent plus les plaintes, la justice refuse de poursuivre les persécuteurs, ou multiplient les jugements les plus iniques. Les conversions forcées à l’islam sont reconnues légalement, avec droit de fait à l’assassinat en cas de retour au christianisme –au nom de « l’apostasie » de l’islam-. Des jeunes filles chrétiennes sont régulièrement enlevées, parfois dès douze ou quatorze ans, pour être mariées de force à des musulmans, avec des enfants considérés comme musulmans, et des pressions psychologiques atroces pour les pousser à renier la foi chrétienne. Beaucoup s’exilent, notamment vers les Etats-Unis ou le Canada, surtout les riches ; les pauvres, de loin les plus nombreux, doivent rester sur place et subir.
Depuis des décennies, il se construit un climat de haine des chrétiens. Les films ou feuilletons égyptiens, très populaires dans le pays et tout le monde arabe, donnent systématiquement des rôles de personnages odieux aux chrétiens ; les rares qui se bonifient, après des péripéties interminables, ne le font qu’à travers la conversion à l’islam. La présence chrétienne se fragilise par la diminution nette de leur poids démographique relatif dans la société ; outre les apostasies, forcées ou opportunistes –fréquentes pour obtenir des promotions dans l’armée ou l’administration, ou des marchés publics-, les exils, s’ajoute le problème de la moindre natalité que les musulmans, explication majeure du fait que les chrétiens d’Egypte ne regroupent que moins de 10% de la population désormais, et en baisse constante.
L’armée fausse protectrice
Cette persécution structurelle s’est encore franchement aggravée depuis le renversement de Moubarak en 2011. Les chrétiens ont subi de la part des Frères Musulmans un temps au pouvoir avec le président Morsi (2012-2013), et des salafistes qui jouent un jeu trouble avec les militaires, des massacres réguliers, causant au total des centaines de morts, peut-être des milliers depuis trois ans. La dictature militaire actuelle ne protège pas les chrétiens ; elle tient à se monter bonne musulmane, c’est-à-dire de son point de vue tolérer la persécution des chrétiens pourvu qu’elle n’aille pas trop loin, n’empêchant en théorie que les massacres collectifs. Ses motivations n’ont rien d’élevé. Le maréchal Al Sissi, demi islamiste lui-même, nommé par Morsi à la tête de l’armée, tient avant tout à éviter les massacres pour l’image de son pays et la sienne propre. Cela lui a permis de justifier son coup d’Etat militaire sur le thème : moi ou le chaos des fous d’Allah, sur le même thème que le FLN en Algérie du temps du Fils dans les années 1990. Il n’oublie pas non plus que les aides économiques et les prêts internationaux sont de facto conditionnés par l’image de l’Egypte. L’Occident et la Russie sont donc les seules garanties, fragiles, des coptes.
La réislamisation de la société a conduit a une régression intellectuelle de l’Egypte, à sa condamnation au sous-développement. Des ingénieurs, des scientifiques, des économistes compétents, voilà qui est bien loin des préoccupations de l’Arabie du VIIème siècle, érigée en modèle absolu, si étranger au véritable héritage multimillénaire de l’Egypte. Les salafistes veulent du rester raser les pyramides, symboles païens. Face à l’échec flagrant, aux absurdités et à la dangerosité pour les musulmans eux-mêmes, de zélotes toujours plus excessifs et insatisfaits, des intellectuels égyptiens réussiront-ils à inventer un nouveau modèle pour leur pays ? Et surtout à le diffuser dans la population ? Rien n’est moins sûr. Il est hélas certain que l’avenir des chrétiens d’Egypte s’annonce extrêmement sombre, à court ou moyen terme.