Au nom de « Je suis Charlie » et de la sécurité : accepter surveillance, atteinte aux libertés et Etat policier…

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Tandis que la presse se pâme sur « l’unité nationale » et la mobilisation en faveur de la « liberté d’expression », il est temps de prendre conscience des vraies conséquences des attentats de ces derniers jours, et d’analyser les décisions qui sont prises, ou qui le seront, au nom de la lutte contre le terrorisme. Nous en connaissons déjà la trame : une surveillance accrue, des atteintes aux libertés individuelles, l’accentuation subreptice, et de préférence avec l’accord de la population, de l’Etat policier. Celui-ci étant en l’occurrence défini par la mise en place de mesures d’intrusion dans la vie privée sans ordre préalable de la justice. Et tout cela dans un cadre de plus en plus supranational.
 
Pendant que la foule défilait sous le slogan « Je suis Charlie » – ce qui est absurde et horrifiant à la fois, car c’est un mensonge et une affirmation de solidarité avec ceux qui vivent du blasphème – les politiques se mobilisaient déjà. Pour exploiter l’événement.
 

Un journaliste de Charlie pèse plus lourd qu’un Nigérian

 
Que celui-ci soit tragique, odieux et inacceptable, cela va de soi. Mais il y en a d’autres, plus odieux, plus tragiques, plus meurtriers – comme les massacres de Boko Haram au Nigeria – qui ne mobilisent pas les chefs d’Etat du monde entier. Pourquoi ? Parce qu’on n’en attend rien. Et aussi parce qu’une victime noire au bout de l’Afrique ne fait pas le poids face à un journaliste blanc tué à Paris, direz-vous, non sans raison. Mais une fois la poussière de l’actualité retombée, il faut en venir aux faits.
 
L’un des plus saillants est la déclaration de Manuel Valls, qui a reconnu les défaillances des services de renseignement français. Il déclarait, vendredi : « Il y a une faille bien évidemment. Quand il y a dix-sept morts, c’est qu’il y a eu des failles. » Ce n’est pas le discours politique habituel, qui s’empresse – l’œil rivé sur les cotes de popularité – d’accuser l’opposition qui n’a pas fait ce qu’il fallait lorsqu’elle était au pouvoir, ou de plaider l’impossibilité de tout surveiller. Le Premier ministre a donné le ton ; en reconnaissant l’existence de lacunes, de failles, il prépare le terrain. Tout le monde peut les constater par une simple recherche sur Internat : les frères Kouachi, Coulibaly et bien d’autres étaient des hommes marqués depuis longtemps. On n’a pas su les surveiller. Alors même qu’un des frères Kouachi était parti s’entraîner au Yemen en 2011. Tel Mohammed Merah, allant faire du tourisme en Afghanistan ?
 

Manuel Valls souligne les failles de sécurité

 
Il faut donc, suggère le discours de Valls, modifier les choses : sur le plan de l’exécution, puisque l’arsenal juridique est déjà bien étoffé en France. Une dernière brochette de mesures antiterroristes adoptées en novembre, pas encore appliquées dans leur intégralité, n’aura pas suffi. Dès vendredi, il annonçait « de nouvelles mesures » pour « répondre à la menace terroriste » : elles seront proposées à l’Assemblée nationale dès mardi. Son successeur au ministère de l’Intérieur a renchéri dimanche : Bernard Cazeneuve a annoncé http://www.lexpress.fr/actualite/politique/bernard-cazeneuve-annonce-de-nouvelles-mesures-anti-terroristes_1639533.html#xtor=AL-839 sa volonté de « filtrer certains contenus sur Internet ». Surveillance renforcée…
 
Empêcher les appels au meurtre, au crime, à l’attentat ? Qui pourrait s’en émouvoir ? Les Français, conditionnés par les médias, sont trop secoués par l’émotion contraire, celle de la peur face à une guérilla terroriste et islamiste qu’on désigne du doigt tout en faisant mine de blanchir l’islam, pour réfléchir plus loin. Une fois les outils mis en place pour contrôler Internet, d’autorité et sans contrôle de ces décisions, les dérives seront faciles. Nous savons déjà, au pays de la « liberté d’expression », qu’il est aujourd’hui des opinions interdites, surtout lorsqu’elles concordent avec l’enseignement de l’Eglise sur le mariage, la sexualité, la filiation.
 
Donc, Valls avoue pour mieux justifier les atteintes aux libertés qui s’installeront demain. Qui s’installeront de manière concertée et supranationale.
 

L’Etat policier supranational suite de « Je suis Charlie »

 
Bras dessus, bras dessous, de nombreux chefs d’Etat et responsables de l’Union européenne, mais aussi des représentants de la Turquie, d’Israël, de Jordanie et même Mahmoud Abbas pour la Palestine sont venus à la fois redorer le blason de François Hollande et donner l’image de cette mobilisation conjointe et concertée. Dès dimanche matin, un « Sommet » impromptu a réuni les ministres européens de l’Intérieur et le secrétaire américain à la justice, Eric Holder. Et c’est la Commission européenne qui va se charger de présenter un nouveau plan de lutte.
 
Bien sûr, on pourra se réjouir de ce que ce plan mette un terme au laxisme introduit par la mise en place de la liberté de circulation au sein de l’Union européenne. On parle de renforcer les contrôles aux frontières extérieures de l’espace Schengen, notamment pour les citoyens européens – dont la liberté de circulation n’est donc déjà plus un dogme européen… Les diverses mesures proposées ont pour caractéristique cependant d’ignorer et de réduire encore les droits souverains des nations, tout en passant à côté du problème premier : les terroristes islamistes qui ont ensanglanté Paris sont franco-français, nés en France et élevés dans les écoles de la République.
 
Quoique Valérie Pécresse le réclame, il n’est pas question d’un « Patriot Act » européen, assurent divers titres de la presse française. Voire. France-Inter, tout en l’affirmant, annonce : « Mais pour le reste, l’exigence de tout remettre à plat : le contrôles aux frontières de l’UE, les échanges de données sur les passagers aériens – un projet de fichier bloqué depuis deux ans par le parlement européen – le PNR, première pierre angulaire d’un vaste plan de lutte antiterroriste à l’échelle du continent pour les premiers flics d’Europe. »
 

Surveillance ou Patriot Act européen ?

 
Si bien que l’on s’apprête aussi à discuter avec les Etats-Unis sur les mesures à prendre, et à s’aligner sur eux si les pourparlers aboutissent : dès le 18 février prochain, la Maison Blanche organisera un Sommet contre l’Extrémisme violent afin de « mettre en évidence les efforts pour empêcher les extrémistes violents de radicaliser, de recruter ou d’inspirer des individus ou des groupes » dans divers pays démocratiques, a annoncé son porte-parole. Le sommet était prévu pour novembre 2014, il avait été annulé sans raison. Le revoici, réclamant des « efforts rendus encore plus nécessaires à la lumière des attentats tragiques récents à Ottawa, Sydney et Paris ».
 

Les Echos

rapportent les propos de Matteo Renzi, le Premier ministre italien, et à l’instar de bien d’autres titres font résonner dans l’opinion l’idée qu’il est temps de prendre des mesures drastiques, quitte à limiter les libertés individuelles : « Comme l’a souligné Matteo Renzi, l’Europe a une monnaie, mais il va lui falloir se doter de nouveaux instruments communs pour garantir sa sécurité (renseignement, défense…), que ce soit à ses portes (Ukraine, Syrie, Libye…) ou en son sein. C’est sans doute plus d’Europe qu’il faudra, pas moins, et ce ne sera pas simple… De même faudra-t-il que l’ensemble des pays représentés hier fassent la preuve de leur détermination partout où le terrorisme prend racine, eux qui ont laissé la Syrie sombrer. »
 
Plus d’Europe, pas moins. Plus de surveillance, qui peut viser les honnêtes gens et d’ailleurs les atteindra bien plus facilement que les commandos rompus au terrorisme et qui bénéficient de ces « failles » si étonnantes des services de renseignement et de police. Plus de lois… d’exception.
 

Bernard Cazeneuve annonce des atteintes aux libertés

 
S’il y a un texte à méditer aujourd’hui, c’est celui de Bernard Cazneuve, prononcé lors de la « réunion européenne et internationale de lutte contre le terrorisme » dimanche matin, tel qu’il paraît sur le site du gouvernement. Il dit notamment : « Sur les plans européen et international, nous disposons déjà d’un certain nombre de textes importants pour mener ce combat, notamment de résolutions des Nations unies et de conclusions prises par le Conseil Justice Affaires Intérieures et par le Conseil européen qui est, comme vous le savez, l’enceinte de décision européenne du niveau le plus élevé. Ces textes constituent les cadres européen et international dans lesquels notre action doit s’inscrire mais ils ne suffisent pas bien évidemment car notre action doit se projeter dans une approche globale et opérationnelle. »
 
Il ose le faire au nom de ceci : « Il s’agit tout simplement d’assurer la sécurité de nos concitoyens et de garantir partout en Europe parce que c’est là quelque chose qui est consubstantiel avec sa culture l’exercice des grandes libertés publiques. »
 
Trois terroristes ont secoué la France, dans des circonstances qui, au-delà du tragique, ont eu leur côté rocambolesque, avec toutes les questions que cela pose : hommes dangereux en liberté qui ont eu accès à de véritables arsenaux et dont la cavale fortement médiatisée a des aspects invraisemblables. « Même pas peur ? » Non, à longueur d’images choc, les médias ont au contraire alimenté la peur, démultipliée par les images de ces chefs d’Etat qui se serrent les coudes comme si la guerre était déclarée contre l’Europe. Au nom de la liberté d’expression, ils font le tri et le feront davantage entre ce qui peut être dit et pensé et ce qui ne pourra plus l’être. Il faut apprendre à aimer Big Brother !