Kissinger, centenaire, prêche toujours le rapprochement avec la Chine communiste

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Le Global Times, média anglophone sous le contrôle du parti communiste chinois, consacre aujourd’hui un long entretien à Henry Kissinger par le truchement de son plus récent biographe, le Pr Thomas Schwartz, auteur en 2020 de Henry Kissinger and American Power : A Political Biography. Pourquoi maintenant ? Officiellement, les relations entre la Chine et les Etats-Unis ne sont pas au beau fixe, certains évoquent même des possibilités de conflit ; la presse gouvernementale chinoise cherche visiblement à faire revenir l’ami américain aux fondamentaux établis par le diplomate qui dès 1971, commença à « normaliser » les relations entre les USA et le bloc communiste. Dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine et les tensions avec la Chine, notamment au sujet de Taiwan, une chose ressort clairement de cet entretien : Kissinger, centenaire depuis le printemps, prêche toujours le rapprochement avec la Chine.

C’est pour « la paix », bien sûr. Gratifié du prix Nobel du même nom, Kissinger continue sur le chemin qu’il avait ouvert en tant que haut diplomate : accorder à la Chine, qui végétait dans la misère propre au communisme, des droits et des avantages dans les échanges économiques mondiaux qui l’ont propulsée au rang de grande puissance mondiale grâce à l’avantage de sa population élevée et de ses coûts salariaux des plus modérés, avec des avantages persistants au titre de son statut de pays en développement.

 

Henry Kissinger, l’ami de toujours de la Chine communiste

On comprend l’intérêt de la Chine pour ce grand bienfaiteur – qui n’est pas, on s’en doute, un cow-boy solitaire mais, au contraire, un homme proche de David Rockefeller qui l’embaucha des 1956 à l’âge de 32 ans, et une figure de la commission Trilatérale et du CFR (Council on Foreign Relations), au service d’une mondialisation dans laquelle les pays communistes jouaient et continuent de jouer un rôle clef. Pas plus tard qu’en 2022, Kissinger intervenait lors d’une visio-conférence avec Klaus Schwab au Forum économique mondial ; dès 1980, il avait pris la parole à Davos pour assurer que « nous sommes dans une ère d’interdépendance globale ». On peut dire que les deux hommes – des hommes de réseau tous deux, attachés aux objectifs de la franc-maçonnerie – y ont largement contribué.

Ainsi est-ce Kissinger, dénoncé comme agent communiste par Michael Goleniewski, qui a lancé la politique de la « Détente » avec l’URSS, ayant multiplié les contacts avec les leaders soviétiques depuis les années 1960, c’est lui encore qui poussa au retrait des Etats-Unis du Vietnam, au profit des communistes en 1972, l’année au cours de laquelle il rencontra Mao Zedong à Pékin.

 

Le biographe de Kissinger assure que celui-ci cherche toujours le rapprochement avec la Chine

Interrogé, donc, par le Global Times, Thomas Schwartz assure qu’aujourd’hui Kissinger souhaite que les bonnes relations soient rétablies entre la Chine et les Etats-Unis. Sans tout prendre pour argent comptant – le trompe-l’œil a toute sa place dans les relations de haut niveau avec les partis communistes du monde, l’histoire nous l’a appris – on peut parler d’un clair soutien au régime de Pékin, conduit par un Xi Jinping plus attaché que jamais au communisme et au pouvoir monolithique du parti communiste chinois, sans compter le culte de sa propre personnalité.

Schwarz commente :

« Lorsque Kissinger était en fonctions, il a commencé à organiser des consultations avec les dirigeants chinois. La grande qualité de Kissinger, au cours de ses 50 années d’engagement avec la Chine, est d’avoir servi d’intermédiaire entre la Chine et le gouvernement américain. Il a transmis des messages aux dirigeants chinois depuis les Etats-Unis et les a renvoyés aux présidents américains. Nous avons besoin d’un plus grand nombre de personnalités capables de communiquer entre les deux pays. Nous devons également mettre en place toute une série de dialogues institutionnels entre les responsables gouvernementaux, militaires et économiques, afin d’assurer une compréhension constante. »

Et de rappeler que, même après avoir quitté ses fonctions officielles, Kissinger a conservé son influence, fort de ses liens avec le pouvoir chinois ; c’est lui, ainsi, qui a « joué un rôle dans les normalisations des relations sous le président Carter ».

L’« anti-communiste » Reagan a lui aussi cédé devant les pressions de Kissinger, explique Schwartz :

« Lorsque Ronald Reagan est arrivé au pouvoir, il était un partisan traditionnel de Taïwan. Kissinger a convaincu Reagan, et je pense qu’il a également convaincu l’entourage de Reagan, que les Etats-Unis devaient accepter la politique d’une seule Chine du communiqué de Shanghai et qu’ils devaient comprendre l’importance que la Chine avait désormais dans la diplomatie américaine. »

Mieux :

« Kissinger a joué un rôle déterminant dans le fait que le premier pays communiste visité par Ronald Reagan a été la Chine en 1984. Il s’est rendu en Chine avant de se rendre en Union soviétique. Kissinger a été une sorte d’intermédiaire tout au long du processus. Il a encouragé les Etats-Unis et la Chine à mener des dialogues de haut niveau afin de se comprendre le mieux possible. Je ne pense pas que cela ait été le cas ces dernières années. Ce dont nous avons probablement besoin aujourd’hui, c’est de diplomates du même type pour mener à bien cette politique. Mais Kissinger a influencé la politique américaine à l’égard de la Chine tout au long de l’administration Obama. »

 

Kissinger a promu la Chine communiste auprès de Carter, Reagan, Obama, Biden…

Toutes tendances confondues, donc. C’est une leçon de choses sur le fonctionnement du Deep State qui se contente d’avoir des hommes en seconde ligne (mais en réalité au-dessus des acteurs politiques de premier plan) pour assurer la continuité tandis que Démocrates et Républicains se succèdent à la Maison Blanche.

Seul Trump, à en croire Thomas Schwartz, n’a pas suivi les conseils du chef officieux de la diplomatie américaine : il a parlé avec Kissinger, « mais ne l’a pas nécessairement écouté sur la Chine ».

Il n’en va pas de même pour l’administration Biden : le biographe souligne que « dans une certaine mesure, le fait que le secrétaire d’Etat Antony Blinken se soit rendu en Chine tout récemment pour rencontrer les dirigeants chinois témoigne de l’influence de Kissinger, qui a encouragé l’administration Biden à tenter d’améliorer les relations. »

A cent ans, Kissinger reste sur sa lancée. Schwartz raconte que « Kissinger, par exemple, a été très encouragé par les efforts de la Chine pour ramener la paix en Europe, entre la Russie et l’Ukraine. Kissinger encourageait donc la Chine à prendre des initiatives dans ce domaine. C’est le type d’influence qu’il exerce encore, en encourageant l’idée que les Etats-Unis et la Chine devraient collaborer pour tenter d’instaurer la paix et la stabilité. »

Ce n’est pas exactement ça. La collaboration est au service d’une globalisation orientée dans le sens des objectifs de l’ONU – égalisation des revenus entre les pays « riches » et les autres, collectivisation mondiale, culture de mort, révolution arc-en-ciel et « woke », abolition des souverainetés nationales – où le pays communiste est un acteur politique comme un autre, voire plus respecté.

Quelque part, il n’est pas si étonnant que Kissinger n’ait pas voulu « aborder certains sujets » pendant les entretiens qu’il accorda à son biographe. Sans doute étaient-ce les plus importants.

 

Jeanne Smits