Ray Kurzweil, « futurologue » influent, voit l’IA et la technologie réaliser pleinement notre humanité

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Ce n’est pas dans quelque obscure revue de science-fiction ou d’allumés sectaires que l’on peut lire les dernières prédictions en date du « futurologue » Ray Kurzweil sur les avancées de l’IA et de la technologie. L’article qu’il vient de commettre au sujet de ce qu’il appelle la pleine réalisation de notre humanité a été publié par la très sérieuse publication académique Technology Review du MIT, où il promet que l’intelligence artificielle conjuguée avec les avancées de la médecine nous assureront dans moins de dix ans une « liberté sans précédent ».

Certes il s’agit d’une tribune, et la revue précise que l’article reflète les seules opinions de l’auteur. Mais Kurzweil, 76 ans, ingénieur et inventeur, est pris au sérieux : c’est lui qui a annoncé il y a vingt ans l’avènement de l’IA générative (nous y sommes, plus tôt même qu’il ne le pensait alors). C’est encore lui, transhumaniste assumé, qui a inventé le concept de « singularité » aujourd’hui largement répandu : « Ce moment à partir duquel les machines s’autoamélioreraient, et où, pour rester pertinents, les êtres humains se croiseraient, se mixeraient avec. »

 

Le grand et inquiétant mélange de l’IA et de l’humanité

Alors, allons-nous vers une liberté sans frein, comme il l’assure ? C’est en réalité un esclavage sans précédent qu’il annonce, où l’homme risque de se voir engloutir par la technique et remplacer par des robots aux capacités démultipliées. Si l’homme compte se « réaliser » ainsi, c’est pure folie, car il n’est pas fait pour la finitude du monde, mais pour Dieu.

« D’ici à la fin de la décennie, l’IA aura probablement dépassé l’homme dans l’ensemble des tâches cognitives, déclenchant alors la révolution scientifique que les futurologues ont depuis longtemps imaginée. Les scientifiques numériques auront une mémoire parfaite de tous les articles de recherche jamais publiés et penseront un million de fois plus vite que nous autres. Nos progrès laborieux dans des domaines tels que la robotique, les nanotechnologies et la génomique prendront l’allure d’un sprint. Du vivant de la plupart des personnes vivant aujourd’hui, la société atteindra une abondance matérielle radicale et la médecine vaincra jusqu’au vieillissement », écrit Kurzweil.

Les êtres humains auront alors enfin le temps « d’apprendre, de créer, de nouer des relations », prédit cet homme qui avale plus de quatre-vingts comprimés par jour pour déjouer la maladie et la mort et qui, façon Hibernatus, a prévu de se faire cryogéner dans l’azote liquide en vue d’une éventuelle « résurrection » ici-bas.

 

Ray Kurzweil, futurologue et marchand de cauchemars

Il compare ce moment où la machine surpassera l’homme à la découverte de l’agriculture qui au cours de la préhistoire, a laissé assez de stabilité et de loisirs à certains pour inventer ou philosopher : dans sa perspective évolutionniste, il s’agit du fait qui a permis à la civilisation de faire son apparition, avec la littérature, le droit, la science et l’ingénierie. Et d’annoncer que, les biens et services étant devenus quasi gratuits grâce à l’IA (demain, on rase toujours gratis), tout le système éducatif en sera bouleversé, car il n’y aura plus de considérations utilitaires quant à la capacité de gagner sa vie, et « nous aurons la liberté d’apprendre pour apprendre, en nourrissant la connaissance et la sagesse qui définissent notre humanité », avec l’avantage supplémentaire de pouvoir découvrir le monde et son histoire à travers la réalité virtuelle (cette contradiction dans les termes).

Ce sera un système, ajoute Kurzweil, où l’on profitera d’un « tuteur numérique suprêmement patient entraîné par les meilleurs professeurs de la terre qui sait exactement comment vous apprenez le mieux ». Où l’on pourra, en quelques mots, appeler à l’être un tableau digne de Rembrandt, et chantonner une petite mélodie qui sera aussitôt transformée en symphonie par un « Wagner numérique ».

 

Kurzweil voit l’avenir de l’humanité en rose grâce à l’IA

Bref, nos vies ne seront pas seulement plus longues grâce à des « percées médicales » ; elles seront « mieux remplies » avec tout ce que l’humanité aura créé au cours des années de vie gagnées, et « partagées avec ceux qu’on aime le mieux ». A L’âge des machines spirituelles, comme le proclame le titre d’un livre qu’il écrivit en 1999… Car à l’époque, et sans doute encore maintenant, il était d’avis que les robots plus intelligents que les hommes pourraient sembler jouir du libre arbitre et avoir des « expériences spirituelles ». On se demande à quoi celles-ci pourraient être liées. Sans doute l’insondable orgueil de cette humanité qui aurait créé une intelligence infiniment plus puissante que celle qui fait avancer l’évolution à vitesse d’escargot (comme le pense Kurzweil) fournit-il un indice. « Vous serez comme des dieux », on l’a déjà entendu quelque part. Le nouvel âge d’or et les lendemains qui chantent, on connaît ça aussi, et cela finit toujours mal.

Pour entrer un instant dans la logique de ce prophète du transhumanisme, on posera tout de même une question : qui donc pourra « profiter » des incroyables bienfaits de la « singularité » promise ? Chaque être humain ? A l’heure où l’on nous explique déjà que l’un des principaux problèmes de notre temps est la surpopulation, quid d’un monde où l’on verrait, en pleine santé, ses arrière-petits-enfants grandir et devenir adultes ? Au rythme actuel, il n’y aurait guère de place pour eux.

M’est avis qu’il y a un loup.

 

Jeanne Smits