Une nouvelle loi américaine sur les restitutions des biens des juifs morts dans la Shoah menace les bonnes relations américano-polonaises

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La loi de « Justice pour les survivants non indemnisés aujourd’hui » (JUST Act) que craignait la Pologne a été adoptée mardi par la Chambre des Représentants des États-Unis selon une procédure accélérée. Elle avait été votée par le Sénat à l’unanimité le 12 décembre dernier. Présentée en février 2017 par un groupe de 21 sénateurs démocrates et républicains, cette loi exige du département d’État qu’il informe le Congrès des efforts faits en vue de soutenir par une action diplomatique les restitutions de biens non seulement aux rescapés de la Shoah et à leurs héritiers, mais aussi, en l’absence d’héritiers, aux organisations juives. Les Polonais soupçonnaient la polémique suscitée par les violentes réactions israéliennes et juives à leur récente loi mémorielle d’être motivée justement par cette question des restitutions. Vu que la Pologne d’avant-guerre abritait environ 3,3 millions de juifs (dont quelque 3 millions ont été tués dans le génocide allemand), ce pays sera en effet la première cible de cette loi américaine. Ceci alors que, se défendent les Polonais, les organisations juives devraient plutôt se tourner, pour obtenir des compensations au titre des biens perdus en Pologne, vers l’Allemagne, héritière du IIIe Reich auteur des destructions à grande échelle des biens juifs et non-juifs, et vers la Russie, héritière de l’Union soviétique qui a imposé à la Pologne un régime communiste spoliateur.
 

Une loi américaine inédite pour exiger des restitutions aux rescapés de la Shoah ou aux organisations juives en l’absence d’héritiers

 
Si la loi JUST permet à l’administration présidentielle américaine d’exercer des pressions sur ses alliés pour les pousser à mettre la main au portefeuille en faveur des organisations juives israélo-américaines, elle ne l’y oblige pas. Les Polonais espèrent donc que le président Donald Trump, qui s’est jusqu’ici attaché à donner à la Pologne un rôle de premier plan dans l’Alliance atlantique, n’exercera pas de telles pressions (par exemple en conditionnant le maintien de troupes américaines en Pologne au versement de compensations par ce pays). Ils craignent cependant qu’une future administration américaine adopte une attitude moins favorable et mette à mal l’alliance entre les deux pays. Cette loi JUST américaine fait partie de ces lois nationales qui permettent aux États-Unis de s’ingérer dans les affaires intérieures de ses alliés. Ceci dit, la loi CAATSA autorisant le président américain à adopter des sanctions contre toute entreprise américaine ou étrangère impliquée dans des opérations visant à renforcer le quasi-monopole de Gazprom pour la fourniture de gaz à des pays alliés des États-Unis (voir le dossier du gazoduc Nord Stream), applaudie par les Polonais, relève de la même approche.
 

Craignant pour les futures relations américano-polonaises, Varsovie adopte un ton plus conciliant avec Bruxelles.

 
La loi JUST, dont le parcours était suivi de près par les dirigeants et les médias polonais, a peut-être contribué à l’approche plus conciliante du gouvernement de Mateusz Morawiecki face aux critiques de Bruxelles. C’est ainsi que Varsovie s’est engagée à respecter le verdict de la Cour de Justice de l’UE sur la question de la forêt de Białowieża et que le Parlement polonais a adopté quelques amendements à sa réforme de la justice pour tenir compte de certaines critiques de la Commission. La Pologne, pays de 38 millions d’habitants voisin de la Russie, peut en effet difficilement se permettre d’être en conflit en même temps avec Bruxelles et Washington, au contraire de la Hongrie qui peut toujours jouer la carte russe.
 

L’administration américaine demande à Israël de ne pas endommager l’alliance avec la Pologne

 
Ceci dit, l’adoption accélérée de la loi JUST semble être en contradiction avec le programme du président Trump, comme le sont souvent les décisions du Congrès et du département d’État depuis son arrivée au pouvoir, des décisions souvent attribuées à « l’État profond ». En effet, alors que cette loi porte en elle un fort potentiel destructeur pour les relations américano-polonaises, le journaliste Barak Ravi de la chaîne de télévision israélienne Channel 10 affirmait le 12 avril dernier, à partir de ses sources au sein du gouvernement israélien, que l’administration Trump avait enjoint plusieurs fois le gouvernement israélien au cours des semaines écoulées de chercher à résoudre la crise entre Israël et la Pologne sur fond de loi mémorielle polonaise. Washington, y compris par l’intermédiaire du vice-président Mike Pence, aurait aussi demandé aux leaders de l’opposition israélienne de tempérer leurs propos à l’encontre du gouvernement polonais afin de ne pas causer du tort à l’alliance de la Pologne avec les États-Unis et Israël.
 
Quoi qu’il en soit, avec la loi JUST, la Pologne est prévenue : en politique étrangère, mieux vaut ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
 

Olivier Bault